Le colloque de la Fondation de Service politique et de l’Association des économistes catholiques qui se tiendra le 11 février à Paris n’est pas un énième colloque sur la crise, comme on en voit fleurir un peu partout. Son originalité est dans son titre (« Crise économique, crise politique, crise morale ») et surtout dans ses sous-titres : « La France face aux racines morales de la crise » et « VIe colloque d’actualité de la doctrine sociale de l’Église ».
La crise a évidemment une dimension économique, donc « technique », ce qui justifie la présence et l’intervention d’économistes. Jacques Bichot, Pierre de Lauzun, Gérard Thoris et moi-même, nous aborderons ces questions : d’abord la partie la plus visible et la plus immédiate, qui est la crise des dettes souveraines. Il ne s’agit pas de l’écume des choses (comme le débat sur les agences de notation), mais du fond du problème : un État surendetté est un État dépendant, qui perd toute souveraineté.
On peut accuser les prêteurs, les marchés, les spéculateurs, tout cela joue un rôle, mais fondamentalement le vote du budget est un acte politique, qui engage la responsabilité des gouvernements et des parlements, et qui a des conséquences économiques et sociales. Lorsqu’un budget est en déficit depuis 1974, lorsque la dette publique, qu’il faudra bien rembourser, atteint 25 000 euros par habitant, bébés compris, comme en France, il n’y a pas besoin d’agences de notation pour comprendre qu’il y a là un problème majeur : les États vivent au dessus de leurs moyens, donc de nos moyens.
Dialoguer pour comprendre
Mais il y a en amont la dimension monétaire et financière, venue des fameux subprime, donc des prêts irresponsables de banques américaines, poussées par une banque centrale et un gouvernement US pour le moins imprudents ; au-delà, de nombreuses questions techniques se posent sur la création de monnaie, la place de la Banque centrale européenne par rapport aux pouvoirs politiques, le crédit aux ménages, etc.
Aujourd’hui, c’est toute l’économie qui est atteinte, qui paraît comme déboussolée, avec la récession, le chômage, les déficits extérieurs, et pour conséquence la montée de la précarité et de l’exclusion.
Se priver d’analyses économiques de ces situations comporterait un risque. Benoît XVI lui-même, avec une grande humilité, n’a-t-il pas déclaré en 2009 aux prêtres de Rome que pour aborder ces questions d’un point de vue éthique, il fallait en comprendre les mécanismes techniques, à moins d’être dans l’incantation et de prendre le risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. C’est ainsi que certains de nos compatriotes en viennent à rejeter le mécanisme même du crédit, dont Benoît XVI a rappelé qu’il jetait un pont entre le présent et l’avenir : sans crédits, pas d’investissements, donc pas d’emplois.
Que dirait-on d’un jugement moral posé sur une question de médecine ou de bioéthique, sans prendre la précaution de comprendre le fonctionnement de la vie ou du corps humain ? Ne pas vouloir dialoguer avec les économistes, en leur collant a priori une étiquette pour les disqualifier avant de les avoir écoutés, revient à se priver d’une partie de la compréhension de la crise.
La primauté du politique
Mais cela nécessite aussi une double humilité de la part des économistes. La première est d’admettre que les sciences sociales, dont fait partie la science économique, n’ont pas la rigueur des sciences physiques, puisque c’est l’homme qui est en jeu et que celui-ci n’est pas une mécanique. Il y a des éléments sur lesquels la plupart des économistes sont d’accord ; il y en a d’autres pour lesquels il existe légitimement des analyses diverses. D’où l’intérêt de débattre sereinement et de confronter les points de vue.
L’autre motif d’humilité, c’est de reconnaître que l’économie ne se déroule pas dans un vide politique, institutionnel et moral. Un prix Nobel d’économie disait qu’un économiste qui n’est qu’un économiste est un mauvais économiste. C’est là que la rencontre d’économistes et de la Fondation de Service politique est essentielle. La politique a un rôle majeur à jouer, ne serait-ce que parce qu’elle fixe le cadre institutionnel et la politique économique (qu’on pense à la gouvernance mondiale, ou à la démocratie, à l’indépendance ou non des banques centrales comme au vote du budget).
La gouvernance mondiale, la démocratie, ce sont des thèmes qu’aborderont lors du colloque François Martin et Damien Le Guay. Jamais les économistes n’ont prétendu gommer le rôle du politique, et si une politique maladroite a aggravé la crise, les décisions de redressement, dont parlera François de Lacoste Lareymondie, ont une dimension politique. Une économie de marché, qui est le monde réel dans lequel on se situe, a besoin d’un cadre institutionnel, de règles du jeu, d’hommes politiques ayant conscience du bien commun.
L’unité des principes
Tout ceci, bien d’autres que nous pourraient le dire. Mais l’élément fondamental qui nous unit, c’est la dimension catholique, c’est la doctrine sociale de l’Église. C’est elle qui nous fait prendre conscience de la dimension morale de la crise, qui, au-delà de tous les éléments techniques et politiques, vient avant tout, dans sa racine même, d’un refus de la morale naturelle la plus élémentaire. C’est ce que rappellera en introduction Mgr Éric de Moulins-Beaufort, en parlant des pistes de sortie de crise proposées par Benoît XVI. Ce sont aussi ces exigences que rappellera Pierre Deschamps en montrant comment le don et la gratuité, dont le Saint Père a tant parlé dans sa dernière encyclique, peuvent contribuer à résoudre la crise.
La foi fait l’unité de toutes les interventions de cette journée, au-delà des divergences d’analyse qui ne manqueront pas d’apparaître. Nul catholique ne peut ne prétendre faire autorité doctrinale en matière contingente. Il y aura d’ailleurs débat entre nous comme avec le public, dans le respect du fait que nous essayons, avec toutes les maladresses et faiblesses humaines, de rester fidèles à cette foi, ce qui n’est jamais simple dans des sujets si complexes. Notre boussole, c’est la doctrine sociale de l’Église. Celle-ci est d’autant plus essentielle qu’elle s’adresse, au-delà des croyants, à tous les hommes de bonne volonté.
Mais elle n’est pas un petit livre rouge qui nous donne chaque matin le programme de chacune de nos actions. Jean-Paul II n’avait cessé de rappeler que l’Église n’a pas de solutions techniques à offrir ; en revanche, avec fermeté, il rappelait aussi, comme le fait Benoît XVI, que la doctrine sociale comporte des éléments doctrinaux qui obligent le croyant. Le laïc fidèle du Christ doit accueillir avec respect et attention toute parole du magistère. Il sait aussi distinguer les « principes qui appartiennent au patrimoine doctrinal de l’Église », l’espace de la recherche ouverte dans le respect de ces principes et les réflexions d’ordre prudentiel, pour lesquelles « on n’entend pas exprimer des jugements définitifs en développant ces considérations car, en elles-mêmes, elles n’entrent pas dans le cadre propre du magistère », selon la distinction de Jean-Paul II dans Centesimus annus (n. 3).
Une boussole pour progresser ensemble
La doctrine sociale de l’Église est une boussole qui nous aide à comprendre l’essentiel, et, ici, les racines morales de la crise. Elle est un « fondement pour l’action » comme aimait à dire Jean-Paul II. Elle n’est donc pas un simple « supplément d’âme », mais la base solide de notre action économique et politique. Mais si elle indique la route et l’objectif, elle ne donne pas toutes les modalités du voyage et ne nie pas notre liberté, à condition que nos consciences soient éclairées par nos pasteurs, par la parole du magistère. Voilà pourquoi il nous faut débattre et confronter les points de vue sur des questions techniques.
Cela nécessite deux conditions que nous voulons essayer de remplir dans ce colloque. La première est de savoir discerner l’essentiel, les principes non négociables, la morale naturelle, la dignité de chaque homme créé à l’image de Dieu, le bien commun, le fait que l’homme ne vive pas seulement de pain, le respect d’une éthique naturelle et chrétienne, le développement intégral, y compris spirituel, de l’homme. Il n’y a pas de solutions économiques et politiques sans s’appuyer sur ces éléments incontournables pour un croyant. Voilà pourquoi nous pensons qu’au-delà de la technique la crise a des racines morales.
La seconde condition est le respect mutuel, surtout entre croyants. La période pré-électorale est propice aux anathèmes, mais aussi aux divergences légitimes ; tous les chrétiens ne marchent pas au même pas, surtout dans des domaines de solutions prudentielles. Le dialogue, le respect de l’autre et de ses choix faits en conscience, et la certitude de partager une même foi, et, disons-le, la prière, doivent nous conduire à progresser sur le plan technique et prudentiel d’autant plus facilement qu’on reconnaîtra dans l’autre un frère et non un adversaire.
Jean-Yves Naudet est président de l’AEC (Association des économistes catholiques).
« Crise économique, crise politique, crise morale : la France face aux racines morales de la crise »
VIe Colloque Actualité de la doctrine sociale de l’Église
Paris, 11 février, St-Pierre-du-Gros-Caillou, 9h-18h
Une rencontre de la Fondation de Service politique et de l’Association des économistes catholiques
Renseignements, programme, réservation
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