Le président de la République a souhaité qu'un député, Yves Bur, soit chargé d'une réflexion sans tabou relative au financement de la branche famille de la Sécurité sociale [1], qui est assuré majoritairement par une cotisation patronale de 5,4 %.
Reprenant à son compte la complainte des organisations patronales, la lettre de mission émanant du Premier ministre suggère que les cotisations patronales peuvent être pénalisantes pour la croissance et l'emploi ; elle demande au chargé de mission de faire des propositions d'évolution du financement de la branche famille, en précisant quelles recettes de substitution pourraient, le cas échéant, être mobilisées . Ainsi ressurgit un vieux serpent de mer. Comment le harponner ?
Les pouvoirs publics disposent pour cela d'une arme efficace et simple : il leur suffirait de dire : Chiche ! nous allons supprimer toutes les cotisations sociales dites patronales. Ce serait une vraie rupture , qui ne diminuerait pas le coût du travail, mais changerait en profondeur les mentalités dans un sens tout à fait favorable à la croissance [2].
Une réforme simple dans son principe
Supposons que les cotisations sociales, sur un salaire brut de 2 000 €, s'élèvent à 20 % pour la part salariale, et à 40 % pour la part patronale. Le travailleur perçoit net 1 600 €, l'employeur débourse au total 2 800 € (salaire super-brut ), et les organismes sociaux (Urssaf, Arrco, Unedic, ...) touchent 1 200 €. Il serait facile d'obtenir les mêmes résultats (coût du travail pour l'employeur, salaire net, recettes des organismes sociaux) en remplaçant par des cotisations salariales l'intégralité de leurs homologues patronales :
- Base de calcul des cotisations salariales, le salaire super-brut (2 800 €)
- Taux de cotisation salariale : 42,86 %
- Recette des organismes sociaux : 2 800 x 42,86 % = 1 200 € (inchangée)
- Salaire net : 2 800 – 1 200 = 1 600 € (inchangé)
- Coût du travail pour l'employeur : 2 800 € (inchangé)
Un intérêt immédiat
Les cotisations continueraient à être recouvrées auprès des employeurs, mais les salariés recevraient une fiche de paie où une seule colonne suffirait pour indiquer les cotisations, exclusivement salariales. Cela ferait apparaître clairement l'importance du prélèvement subi par le travailleur sur le fruit de son labeur : la prise de conscience du vrai coût de la protection sociale s'améliorerait ; l'idée saugrenue selon laquelle une partie de ce coût ne serait pas à la charge des intéressés régresserait.
De plus, la France pourrait proposer à ses partenaires, notamment européens, une harmonisation des pratiques, ou au moins des statistiques : le salaire brut, simple base comptable dépourvue de signification économique, sert aujourd'hui aux comparaisons internationales, notamment pour les rémunérations et les taux de prélèvements, alors qu'il faudrait utiliser le salaire super-brut. La réduction apparente des taux de prélèvement en France (de 60 %, soit 20 % salarial plus 40 % patronal, sur la base de l'ancien salaire brut, à 42,86 %, sur la base du nouveau) rendrait visible l'absurdité de la base retenue par les organismes statistiques officiels et amènerait les producteurs et diffuseurs de données internationales sur le coût du travail et le financement de la protection sociale à choisir une base permettant des comparaisons non biaisées.
Enfin, les allègements de charge apparaîtraient désormais pour ce qu'ils sont : une subvention aux salariés modestes, de même nature que la prime pour l'emploi et le RSA.
Commencer par la branche famille ?
Le mieux serait d'effectuer en une seule fois le basculement de l'ensemble des cotisations patronales sur les cotisations salariales. Mais la rupture , en Sarkozie, consiste à faire de petits pas plutôt que des pas minuscules ou du sur-place. On pourrait donc effectuer d'abord le basculement pour la seule branche famille.
En reprenant l'exemple simplifié précédent, le salaire brut passerait de 2 000 € à 2 108 € et la cotisation famille patronale au taux de 5,4 % serait remplacée par une cotisation salariale de 5,12 % ; le salaire net resterait à 1 600 €, le coût du travailleur pour l'employeur à 2 800 €, et le montant versé à l'URSSAF à destination de la CNAF serait toujours de 108 €.
Qu'est-ce qui changerait ? On cesserait de s'imaginer que la cotisation famille est une charge pour l'employeur ; on comprendrait plus facilement que la branche famille réalise, grâce inséparablement aux cotisations et aux prestations, une péréquation entre les actifs qui élèvent des enfants et ceux qui n'en élèvent pas, et que cette péréquation ne concerne pas directement les employeurs. Quant au monstre du Loch Ness, il regagnerait les profondeurs.
Et pour aller plus loin ?
Travailler sur une réforme du financement sans se préoccuper de ce à quoi sert ce que l'on finance conduit à considérer cela, par défaut , comme un transfert social pur et simple, une redistribution de revenu en faveur de bénéficiaires malheureux ou malchanceux. S'agissant de la branche famille, cette conception par défaut tombe complètement à côté de la plaque.
La branche famille finance un investissement, le plus important de tous : l'investissement dans les jeunes générations. Les parents ne sont pas des pauvres auxquels il conviendrait de faire l'aumône, mais des entrepreneurs dont l'activité requiert un financement extérieur, rémunérateur – et cette rémunération, ce sont les pensions de retraite futures, qui seront payées dans une vingtaine d'années par les enfants élevés aujourd'hui.
Dans cette perspective, deux modalités du financement actuel sont à revoir :
- La classification de la cotisation famille au sein des cotisations patronales. Cette classification n'a aucun sens. Ce sont les actifs qui la versent, et elle sert à assurer l'avenir des retraites par répartition : tout cela est l'affaire des ménages, pas des entreprises.
- L'absence de toute rémunération, qui fait des cotisations famille un prélèvement obligatoire sans contrepartie. Normalement, puisque cet apport en capital finance un investissement productif, il devrait donner droit à une sorte de dividende. Autrement dit, les droits à pension devraient être attribués pour une part au prorata des cotisations famille versées par les actifs. Dès lors, il apparaîtrait clairement que ces cotisations ne sont pas de l'argent consacré à de pauvres hères dont il n'y a rien à attendre en retour, si ce n'est un remerciement, mais le financement d'un investissement hautement productif, l'entretien et l'éducation des enfants.
Certes, les cotisations famille ne sont pas seules à financer les générations montantes ! Un petit bout de CSG, destiné à la branche famille, joue le même rôle – et il ne serait pas malvenu de le convertir en cotisation. Surtout, les impôts finançant la formation initiale, une petite fraction des cotisations et de la CSG qui financent l'assurance maladie (celle qui correspond à la couverture gratuite des enfants et à l'assurance maternité), et bien entendu l'apport en nature et en argent effectué par les parents en élevant leurs enfants, devraient contribuer à l'ouverture des droits à pension.
Mais, dira-t-on, quid des cotisations aux régimes de retraites par répartition ? Eh bien, il serait temps de comprendre qu'elles n'ont aucune utilité pour la préparation des retraites de ceux qui les versent : ceux-là remboursent à leurs aînés ce qu'ils ont reçu d'eux dans leur âge tendre, et rembourser ce que l'on doit aux retraités n'a pas à ouvrir des droits sur la génération montante. Les cotisations vieillesse, en répartition, n'ont absolument pas le même sens économique que les cotisations aux fonds de pension !
Le rapport Bur serait bien inspiré de s'intéresser à tout cela. S'il se limite au financement d'une branche famille considérée implicitement comme une subvention à une catégorie particulière d'économiquement faibles, il ne vaudra rien de plus que le prix du papier utilisé pour l'imprimer. Par contre, s'il ouvre des perspectives de rupture par rapport aux mensonges dans lesquels nous vivons depuis des décennies relativement à la branche famille et aux retraites – deux sujets indissociables – alors il aura fait œuvre très utile.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'Université Lyon 3, vice-président de l'Association des économistes catholiques.
[1] Le décret de nomination, signé par le Premier ministre, a été publié au JO du 25 avril
[2] Pour une analyse plus détaillée, voir notre Note de l'Institut Montaigne, TVA, CSG, IR, cotisations ... Comment financer la protection sociale , mai 2006, 80 p.
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