L'affaire Vincent Humbert est-elle close ? Avec la réquisition de non-lieu à l'encontre de Marie Humbert et du Docteur Chaussoy par le procureur de la République, son épilogue judiciaire est certes proche : une prudente – certains diront lâche – démission des juges.
En se défaussant, la justice veut éviter un procès à grand spectacle. Ses "accusés" y auraient triomphé comme deux victimes innocentes, solennellement blanchies. Leur acquittement, plus que ce non-lieu, aurait valu dépénalisation jurisprudentielle de l'euthanasie. Et c'est pour éviter cette instrumentalisation de plus en plus fréquente de l'institution judiciaire que les magistrats ont préféré clore l'affaire en catimini, avant même qu'elle ait été ouverte au public. Avec un effet pervers cependant : donner l'impression, par ce précédent, qu'on fermera désormais les yeux sur les euthanasies, dès lors qu'elles seront "consensuelles". Cette approche satisfait nombre de politiques. Elle soulage le Docteur Chaussoy et, au moins partiellement, Madame Humbert – même si elle s'en défend – car tout procès est une épreuve qui recèle des risques...
Mais justement, l'absence du procès Humbert ne nous prive-t-il pas d'entendre des voix essentielles, jusqu'ici trop discrètes? Certes, toute la France semble avoir applaudi à la mise à mort annoncée de Vincent Humbert, en deux temps, d'abord par sa mère, à la veille de la publication du livre qu'on attribue à son fils, ensuite, le surlendemain, par un réanimateur poussant la piqûre létale dans la panique et sous la pression, alors qu'il ne connaissait pas vraiment Vincent. Or que disent les soignants qui ont entouré de leur attention le jeune homme pendant des mois ?
Le message des soignants
Ce n'est pas qu'ils se soient tus mais ils ont singulièrement manqué de porte-voix. Témoins privilégiés du drame de Vincent au chevet duquel ils se sont relayés pendant des mois, ils n'ont pas la même version que Marie Humbert, ni d'ailleurs que le docteur Chaussoy. Et ce sont des soignants meurtris. Il y a Hervé Messager, "kiné" de Vincent Humbert, Christophe Herengel, infirmier en neurologie à l'hôpital de Berck, le docteur Pierre Mielcarek qui appartenait au même service que le docteur Chaussoy mais a désapprouvé son injection létale et a même quitté son service. Il y a aussi le docteur Pascal Rigaux, spécialiste de rééducation fonctionnelle et de médecine physique, chef du service qui accueillait Vincent, et son chef de département, le docteur François Danzé.
Tous se disent choqués par l'exploitation médiatique de la mort de Vincent mais surtout par ce qui n'a pas été dit à son propos. Ils se sentent manipulés, voire salis. L'émotion à sens unique qui s'est emparée de la France, faisant de Marie Humbert une mère courage incontestable, a censuré leur voix. Elle a même jeté le discrédit sur ceux qui se battent pour faire vivre le mieux possible les accidentés, au risque de pousser ces derniers au suicide en laissant croire que l'euthanasie est la solution que suggère "l'amour". Certes, on s'est beaucoup interrogé sur la sortie d'un livre au lendemain d'une mise à mort programmée tant cette simultanéité avait quelque chose d'indécent (cf. Décryptage, 3 octobre 2003). Mais ce ne fut pas suffisant pour ouvrir les yeux sur l'outrance de la manipulation. Face à des témoignages, il en fallait d'autres et, à ceux-là, on n'a pas voulu donner trop de poids.
Ce n'est donc que dans le très local mais courageux Réveil de Berck du 26 octobre 2003, qu'Hervé Messager a réussi à publier son "Hommage à Vincent", une tribune qui aurait dû suffire à réveiller, justement, les consciences endormies. Celui qui témoigne d'une relation d'une profonde amitié pour le jeune homme y révèle que ce fameux livre "qui porte ton nom", n'a été "que suggéré, non écrit", et que Vincent "ne connaissait le 22 septembre [2003], que les quelques lignes que l'on a bien voulu [lui] lire".
Il dénonce la médiatisation qui, selon lui, fut si forte que même Mme Humbert "s'y est noyée en oubliant [la] vie [de son fils] et en [le] faisant culpabiliser de celle qu'elle menait". Dans un mélange de tendresse pour Vincent et de colère pour ceux qui ont tiré profit, sur les plans idéologiques mais aussi pécuniaires, de son drame, Hervé Messager brisait le consensus. Il ose dire que le handicap dont souffrait Vincent avait un impact cérébral qui expliquait son obstination ("persévération" dont il n'était "pas maître"), et que c'est sur cette fragilité psychique, induisant la peur de l'inconnu, que "beaucoup de monde s'est servi de [sa] souffrance morale pour faire de [sa] mort un hymne à l'euthanasie". Affirmant ne pas supporter "ces médias et associations qui ne [l'] ont pas connu mais n'ont rien fait pour empêcher [son] destin fatal", il conclut sur le "respect" qu'il a pour Vincent et la "tristesse" qu'il ressent, s'excusant même "de n'avoir su faire mieux".
Orchestration
Comme lui, le docteur Rigaux contestait, cette fois dans Le Quotidien du Médecin du 7 octobre 2003, le diagnostic que la presse avait relayé à propos du jeune homme qualifié de tétraplégique : "En fait, il n'était pas du tout médullaire, c'était plutôt un double hémiplégique après traumatisme crânien. Il présentait un tableau proche d'un locked-in syndrom." Et le praticien de confirmer que "malgré une certaine intégrité dans ses capacités intellectuelles", Vincent "présentait, comme souvent avec les traumas crâniens une rigidité de pensée qui l'empêchait de changer d'idée".
À ces témoignages, les professionnels de Berck ajoutent à mots plus ou moins couverts des remises en cause des fonctionnements de ceux qui ont "orchestré l'énorme plan média" qui a précipité la fin du jeune homme. Vers sa fin, les soignants ont même, pour ainsi dire, "baissé les bras" tant leur semblait irrépressible la puissance du mouvement militant qui dirigeait les opérations de l'extérieur. Il arrivait même que des familles de soignants reprennnent à leur compte une part de la réprobation générale relayée dans toute la presse à leur encontre !
Pourtant, ces soignants peuvent témoigner qu'il n'y a jamais rien d'irréversible dans les intentions suicidaires légitimement exprimées par des patients aussi atteints. Christophe Herengel cite même un cas presque similaire à celui de Vincent : un homme ayant fini, après un long enfermement, par accueillir et mettre en œuvre un projet de vie. Et le docteur Rigaux explique avoir dû tenter de rassurer plusieurs patients atteints de locked-in syndrom : ils craignaient que l'euthanasie de Vincent puisse "mener à leur élimination" !
Chape de silence
Un an après le drame, La Croix a redonné la parole aux soignants. Ils persistent dans leur fidélité à la mémoire du jeune homme : le docteur Danzé y explique que son euthanasie a anéanti brutalement plusieurs années d'efforts de ceux qui se sont battus à ses côtés pour qu'il vive.
Quant aux familles représentées par l'Association d'entraide aux malades traumatisés crâniens, elles s'expriment au travers de leur présidente, Monique Faure : "Leur avis, c'est qu'on maintienne en vie leurs proches." Et d'aller jusqu'à confier combien sont "intenses" les moments passés avec des personnes dépendantes dès lors que rien n'est fait pour abréger leur vie. Le contraste est saisissant avec le combat de Marie Humbert qui affirme revendiquer au nom de "toutes les mamans" qui ont "le droit de donner la vie" qu'on leur octroie celui d'administrer la mort à leur enfant dépendant.
Pour toutes ces personnes dont l'expérience contredit l'interprétation habituelle du drame de Berck, le non-lieu qui s'annonce a quelque chose de profondément frustrant. Le docteur Mielcarek, affirme depuis longtemps à propos de l'euthanasie pratiquée par le docteur Chaussoy que "la décision qui a été prise était l'arrêt de la ventilation assistée. Il n'a jamais été question [...] de l'accompagner d'un geste actif pour arrêter la vie" (La Croix du 4 décembre 2004). Il déplore aujourd'hui que le non-lieu "laisse entendre qu'un médecin aurait le droit de pratiquer l'euthanasie sous la pression des événements" (La Croix du 4 janvier 2005).
Un chef de service de Berck qui garde l'anonymat regrette finalement, dans les colonnes du Quotidien du Médecin du 6 janvier, un procès qui "aurait permis de mettre en lumière les conditions exactes dans lesquelles les personnes mises en cause ont agi, moins isolément qu'on l'a dit" ; pour conclure : "En l'absence de procès public, la chape de silence continuera de peser sur toute cette affaire et nous resterons frustrés et ignorants de la vérité sur le mécanisme caché des événements."
Le 6 janvier, Hervé Messager, révèle à France Catholique qu'il n'a même pas été entendu par le SRPJ enquêtant sur l'affaire Humbert. Il vit "très mal" le non-lieu tout en se disant "très partagé". Car il sait qu'un procès "aurait été exploité avec la même indécence" que ce qu'a vécu son ami Vincent. "Tant de mensonges ont été dit sur lui !"
*Tugdual Derville est délégué général de l'Alliance pour les droits de la vie, auteur du Bonheur blessé, CLD, 2005.
Pour en savoir plus :
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EXPLOITER (OU INVENTER) UN FAIT-DIVERS POUR OBTENIR UNE LOI : LES PRECEDENTS
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