Retraites, publicité et perspectives de réforme
Article rédigé par Jacques Bichot*, le 23 avril 2010

Les Français, selon un récent sondage, sont 80 % à reconnaître la nécessité de réformer leur système de retraites. En voyant le gouvernement inonder la presse de publicité sur le thème nous devons trouver des solutions pour sauver nos retraites , on peut donc se demander s'il est bien utile de dépenser ainsi l'argent du contribuable pour enfoncer une porte ouverte. Néanmoins, cette publicité contient une information intéressante, relative à une donnée importante du problème : l'accroissement de la longévité.

Elle indique en effet que l'espérance de vie est passée, en France, de 66 ans en 1950 à 81 ans en 2010. Il faudrait ajouter :

1/ que l'âge moyen de retrait du marché du travail était supérieur à 65 ans en 1950, et qu'il est de 59 ans aujourd'hui. 1
2/ que l'espérance de vie en bonne santé a évolué parallèlement à l'espérance de vie tout court . Les gains d'espérance de vie ne se traduisent pas par de longues années à passer en situation de dépendance, mais par la multiplication des jeunes retraités de 55 à 75 ans, majoritairement alertes, physiquement et intellectuellement [1].

Le premier complément explique l'essentiel des difficultés actuelles. Les Français ont été poussés à s'arrêter de travailler de plus en plus tôt, notamment par les dispositifs de préretraite (fin des années 1970), puis par la retraite à 60 ans (2003), et enfin par la disposition carrières longues (2003). Si les majorités successives n'avaient pas été inspirées par l'idée fausse selon laquelle il faut pousser les seniors hors de l'emploi pour faire place aux jeunes , nous n'en serions pas là ! Nous avons maintenant un demi-siècle de bêtise et de démagogie à rattraper.
Le second complément indique la direction à suivre pour sortir du pétrin où la France est tombée en dépit d'une situation démographique que la plupart de ses voisins européens lui envient : comprendre qu'on ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire des pensions représentant un pourcentage élevé des revenus d'activité perçues à partir d'un âge précoce.
Devant la réalité
Est-ce à dire que les pouvoirs publics devraient forcer les Français à travailler jusqu'à un âge plus avancé ? Pas du tout ! En démocratie, le bâton et la carotte sont à prohiber. La solution consiste tout simplement à mettre les citoyens devant la réalité : sauf à exploiter les actifs en leur faisant supporter des prélèvements exorbitants, il est impossible de consacrer aux retraités un pourcentage sans cesse croissant du PIB, et par conséquent c'est à chacun de choisir entre prendre de très longues vacances de fin de vie avec un budget mensuel restreint, ou vivre une retraite moins longue mais moins serrée pécuniairement.
Concrètement, cela veut dire la possibilité de liquider sa pension à tout âge dans une certaine fourchette, par exemple entre 58 ans et 75 ans, avec une pension mensuelle d'autant plus élevée que l'on partirait plus tard.
La retraite à la carte avec neutralité actuarielle , dénomination technique de ce système où chacun est responsable de ce qui le concerne, est en vigueur en Suède, pays qui ne se fait pas remarquer par un rejet de la protection sociale ! Elle est plus facile à mettre en place dans les régimes par points, comme ceux de nos amis allemands ou suédois, mais on peut aussi la greffer sur les régimes par annuités.
Pour notre régime général, il suffirait de limiter l'usage de la durée d'assurance au coefficient de proratisation [2] , qui rend la pension proportionnelle à cette durée, et de faire dépendre décote et surcote uniquement de l'âge à la liquidation, en laissant les actuaires faire les calculs à partir des tables de mortalité (concrètement, elles seraient remplacées par un coefficient actuariel ). Le taux de la pension à un âge de référence, par exemple 62 ans et 6 mois (moyenne de nos deux âges légaux, 60 et 65 ans) servirait de variable d'ajustement, comme la valeur de service du point à l'ARRCO et à l'AGIRC. Le Conseil d'administration, dont les pouvoirs seraient renforcés, prendrait année après année les décisions requises pour assurer l'équilibre financier du régime, comme ses homologues le font dans les régimes complémentaires, et l'on cesserait ainsi de politiser des décisions de simple gestion.

Pouvoir travailler plus longtemps

Certes, il faudrait en même temps améliorer les possibilités d'emploi des seniors, faute de quoi la liberté de choix de l'âge de départ en retraite resterait purement théorique. Des mesures ont été prises, et leur effet commence à être perceptible : il faudra accentuer les plus efficaces, et en trouver d'autres encore. Mais l'impact positif de la retraite à la carte avec neutralité actuarielle ne doit pas être sous-estimé : nombreux seront ceux qui manifesteront leur volonté de travailler plus longtemps, et cette offre de travail fera réfléchir les employeurs, qui s'adapteront progressivement à cette nouvelle donne en matière de main-d'œuvre.
Faire cela ne dispenserait pas de mettre à l'étude des réformes plus importantes, à l'horizon 2020, par exemple la fusion des quatre douzaines de régimes par répartition qui existent en France [3] ; mais ce serait un grand pas dans la bonne direction, réalisable d'ici la fin de l'année.
*Jacques Bichot est économiste, auteur notamment de Retraites. Le dictionnaire de la réforme, l'Harmattan, avril 2010.

COMMENT REFORMER A COURT TERME LES REGIMES DE SALARIES ?
1/ Régime général et régime des fonctionnaires
Aujourd'hui la pension P est calculée en utilisant la formule suivante :
P = S x CP x ½ x (1-D) x (1 + Su) où :
. S est le salaire de référence (moyenne des 25 meilleures années, ou traitement de fin de carrière)
. D est la décote
. CP est le coefficient de proratisation, quotient du nombre de trimestres validés par une durée de référence (actuellement 162 trimestres pour les salariés du privé nés en 1950). CP est bridé par 1, ce qui est très injuste pour les carrières longues. Ce bridage doit évidemment être supprimé.
. Su est la surcote.
Nous proposons de passer à la formule suivante :
P = S x CP x T x CA où :
. T, taux de la pension, est une variable de commande, ajustable chaque année en fonction des données économiques et démographiques. Plus précisément, on définira un taux par année de naissance, de façon à éviter que la perspective d'une baisse du taux n'incite les assurés sociaux à liquider plus tôt.
. CA est un coefficient actuariel, dépendant uniquement de l'âge, égal à 1 pour les liquidations réalisées à l'âge pivot (62 ans ½ par exemple).
Désormais la durée d'assurance interviendrait uniquement à travers CP, et l'âge à la liquidation uniquement par le coefficient actuariel CA.
L'usage des coefficients actuariels CA rend le régime financièrement indifférent au comportement des agents : ceux qui partent plus tôt perçoivent moins chaque mois, de telle façon qu'ils ne coûtent finalement pas plus cher au régime que s'ils attendaient davantage.
2/ Régimes complémentaires
Aujourd'hui la pension P est calculée en utilisant la formule suivante :
P = NP x VSP x CAN où :
. NP est le nombre de points
. VSP la valeur de service du point
. CAN le coefficient d'anticipation, qui dépend de l'âge et de la durée, et ne prend que des valeurs inférieurs ou égales à 1, ce qui fait de tous ceux qui partent après 65 ans de véritables dindons de la farce .
Nous proposons de passer à la formule suivante :
P = NP x VSP x CA
Le coefficient d'anticipation CAN est ainsi remplacé par le coefficient actuariel CA (le même que pour les régimes par annuités) qui ne dépend plus que de l'âge à la liquidation, et dépasse la valeur 1 si la liquidation a lieu au delà de l'âge pivot.
La variable d'ajustement reste comme aujourd'hui la valeur de service du point VSP, mais il n'y a plus d'incitation à partir tôt si l'on a le nombre d'annuités requises pour bénéficier de ce que l'on appelle aujourd'hui le taux plein . Les salariés du privé qui veulent prolonger leur carrière pourront enfin le faire sans travailler pour le roi de Prusse ! En contrepartie, bien sûr, ceux qui voudront partir à un âge précoce ne bénéficieront plus de l'espèce de prime, d'encouragement financier, qui leur est accordé actuellement, en contradiction avec tous les beaux discours sur la nécessité de travailler plus longtemps. J.B.

[1] On trouvera plus de détails dans les ouvrages d'Hervé Le Bras, Les 4 mystères de la population française, Odile Jacob, 2007, et de Joël de Rosnay, Une vie en plus, Seuil, 2005.
[2] Pour la définition de ce terme et des suivants, et pour une réflexion sur l'usage de ces instruments, on pourra se référer aux rubriques correspondantes de notre ouvrage Retraites. Le dictionnaire de la réforme (L'Harmattan, 2010).
[3] Voir notre interview dans Le Monde du 16 janvier.
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