Article rédigé par Roland Hureaux, le 23 juillet 2010
Même si le gouvernement n'en tient pas compte, le débat sur les retraites a ramené à la surface le serpent de mer des retraites par capitalisation. Hypothèse mythique à bien des égards.
D'abord parce qu'elle s'inscrit le plus souvent dans la rhétorique du dénigrement du modèle social français . On oublie que la retraite par répartition est largement dominante en Europe continentale, même en Allemagne où la capitalisation ne vient qu'en appoint.
Dans les pays anglo-saxons, la retraite par capitalisation, qui n'est pas non plus généralisée, est loin d'être la panacée : s'agissant des retraites maison , qu'en pensent les anciens salariés de Maxwell, d'Enron ou de Lehman Brothers, impitoyablement privés de toute ressource ? Et que dire des fonds de pension qui avaient tenu le titre BP pour un placement de père de famille ?
Ensuite, la retraite par capitalisation désigne des réalités différentes sans que l'on se soucie toujours de préciser ce dont on parle.
Des réalités différentes
Il peut s'agir d'une retraite par capitalisation individuelle. Un salarié verse volontairement chaque mois, soit à un fonds d'entreprise, soit à un fonds grand public, une cotisation, se substituant en tout ou en partie à la cotisation versée aujourd'hui la caisse de retraite. Au lieu que cet argent soit reversé aux retraités d'aujourd'hui, il est placé et restitué au cotisant au moment de la retraite.
Quelle différence avec la bonne vieille épargne ? Une seule : les tenants de ce système attendent que les versements soient déductibles de l'impôt sur le revenu. Le bon vieux Keynes nous ayant appris que la capacité d'épargne est proportionnelle au revenu, bonjour la justice !
Instauré à l'échelon national, ce système a une contrepartie implicite : la diminution des retraites versées au titre de la répartition. Aucun gouvernement ne l'envisage sérieusement à ce jour et on comprend bien pourquoi.
Cette idée n'est pas pour autant restée lettre morte. Elle a connu un commencement d'application, d'abord ouvert aux seuls fonctionnaires sous l'égide de Préfon Retraite, puis élargi au reste de la population sous la forme du Plan d'épargne retraite populaire (PERP). Les actifs qui le souhaitent (surtout les mieux payés) peuvent déduire de leur revenu imposable les cotisations versées en vue d'améliorer leur retraite. On mesure l'absurdité d'un tel système dans un pays qui bat tous les records d'épargne alors que ses finances publiques, notamment à cause de ce genre de niches fiscales, sont déficitaires.
Mais la retraite par capitalisation a une autre signification : non point individuelle et facultative mais obligatoire et mutualisée. Les caisses de retraite (ou tout autre organisme en lien avec elles) peuvent aussi, au lieu de reverser mois après mois les cotisations des actifs aux retraités comme cela se fait aujourd'hui, les mettre de côté pour constituer un portefeuille de placements dont le revenu servira, le jour venu, à verser les pensions des cotisants d'aujourd'hui.
Système séduisant en soi mais dont on oublie généralement de dire ce qu'il implique : ou bien on arrête pendant vingt ans (le temps qu'un fonds d'un montant suffisant puisse être constitué) de verser les retraites, ou bien on double les cotisations ! Doubler les cotisations au moment où elles n'ont jamais paru aussi lourdes et où elles constituent, tout le monde en convient, un frein à l'emploi ! Dire que l'on aurait pu promouvoir un tel système en 1945 est une chose, envisager sérieusement de le faire aujourd'hui, c'est nager en pleine utopie.
L'objection démographique
Le système de retraite par capitalisation se heurte à deux autres objections.
L'une est démographique. Toutes les études montrent que la capacité d'épargne décroît avec le nombre d'enfants. Or ce sont ces enfants qui, par leur travail, soutiendront demain les retraités. Combien injuste serait un système qui donnerait les retraites maximum à ceux qui auront fait le moins de sacrifices pour préparer la relève des générations ! La retraite par capitalisation est antifamiliale par essence.
L'autre est économique : si le versement d'une retraite se traduit par un pouvoir d'achat réel, c'est que, au moment de ce versement, les magasins sont achalandés. Et par qui le sont-ils, sinon par le travail des actifs contemporains ? Certes, parmi les facteurs de production, figure aussi, à côté du travail, le capital et donc l'épargne des vingt ou trente dernières années. C'est la seule légitimité qu'aurait en définitive l'introduction d'une part de capitalisation dans nos systèmes mutualisés.
Mais il faut choisir le bon moment pour cela. Dans les années soixante ou soixante-dix, quand les retraites étaient encore faibles et la croissance forte, c'eut été plus facile qu'aujourd'hui. Las ! La génération des baby-boomers, peu généreuse pour ses anciens (au moins jusqu'en 1975), a préféré jouir sans entraves . Aujourd'hui, c'est un peu tard.
À moins que la Bourse ne connaisse un très grave effondrement, plus grave encore que celui de 2009. Dans ce cas, il faudrait en profiter pour constituer un fonds de retraite à bas prix. Si, entretemps, la possibilité en a été restaurée, comme cela sera un jour inévitable, un emprunt massif de l'État ou des caisses de retraite à la Banque centrale pourrait financer cet investissement de départ.
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