Retour à Ratisbonne : la tentation de refuser la raison est aussi chrétienne
Article rédigé par Gérard Leclerc*, le 29 septembre 2006

L‘énorme scandale provoqué dans le monde musulman par quelques citations isolées de la conférence de Benoît XVI à Ratisbonne a dispensé généralement les commentateurs d'une analyse sérieuse du document. Or on ne saurait trop recommander une lecture approfondie de ce

libertepolitique.com/public/decryptage/article.php?id=1671">texte dense et dont l'enjeu intellectuel et doctrinal est considérable. Benoît XVI n'a traité que de façon incidente la question de l'islam.

Ceux qui lui reprochent de méconnaître ce que Léo Strauss appelait les Lumières médiévales et qui concernaient tout un brillant milieu intellectuel musulman, imprégné d'aristotélisme, auraient dû comprendre qu'un homme aussi cultivé que ce pape ne les ignoraient pas, et qu'au demeurant l'objet de sa réflexion concernait la pensée chrétienne aux prises avec le double impératif de la fidélité à la Révélation et les exigences de la raison.

S'il y a bel et bien tentation dans une certaine approche musulmane d'un Dieu inatteignable et de refuser toute médiation rationnelle, ce n'est pas un trait ignoré dans l'histoire et l'actualité de la pensée chrétienne, a expliqué Benoît XVI. Au Moyen Âge, avec un Dun Scott, une rupture s'est produite avec l'intellectualisme augustinien et thomiste qui conduisit "à l'image d'un Dieu arbitraire" où le pape discerne le déni implicite du Logos johanique.

Or cette tentation va se reproduire plus tard avec la Réforme, où le refus luthérien de la scolastique pour mieux adhérer à la sola scriptura (l'Écriture seule) aboutit à la séparation de la foi et de la raison. Il en va de même au XIXe siècle avec la théologie libérale d'un historien aussi éminent qu'Adolf von Harnack qui influença presqu'autant ses amis protestants que les universitaires catholiques. Harnack veut explicitement libérer la Révélation de ce qui la rend trop dépendante de l'hellénisme, afin qu'elle puisse s'inculturer plus aisément dans les différentes aires de civilisation.

Aujourd'hui, avec la volonté de promouvoir le dialogue universel entre les religions du monde, la même dissociation se produit, avec des dommages que Benoît XVI dissèque avec force. Vouloir ramener la Révélation à un message moral délié de ses structures dogmatiques, assimilées à la contingence d'une première inculturation qui serait grecque, est ruineux pour la foi : "Les décisions de fond qui concernent précisément le rapport de la foi avec la recherche de la raison humaine, ces décisions de fond font partie de la foi elle-même et en sont les développements, conformes à sa nature."

Ainsi, le propos de Benoît XVI n'est-il pas simplement de l'ordre de l'érudition, il renvoie à une actualité directe, celle de la rencontre des cultures à travers des processus de globalisation en relation au statut singulier du christianisme qui ne se rapporte pas seulement à un message moral qui dessinerait une identité parmi d'autres. Le Christ qui est le Verbe incarné, se définit comme la Vérité de Dieu révélée aux hommes. L'insistance constante de Benoît XVI sur ce qui est pour lui l'essence même du christianisme est une invitation pressante à un ressaisissement de l'intelligence de la Foi.

* Éditorial à paraître dans le prochain n° de France catholique

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