Article rédigé par Charles de Lauzun*, le 16 mars 2007
ResPublica Nova organise le 24 mars prochain la finale du prix "Jeune Ciceron" du discours politique pour les jeunes au Sénat, à laquelle chacun peut assister (entrée libre, inscription infra). Trois membres du conseil éditorial de Liberté politique sont membres du jury.
Pourquoi un tel prix dans la crise morale qui traverse notre société ?
Sortir de l'unitarisme en politique
Cinquante années de marxisme en France ont détruit la légitimité de systèmes de pensée politique alternatifs. Devant la force des systèmes et des idéologies, et malgré la chute du mur, le débat politique continue à se cristalliser autour de l'héritage impossible dont parle le sociologue Jean-Pierre Le Goff : Mai 68. Mais le vrai scandale ne consiste pas dans la victoire d'une pensée politique sur une autre. Il est dans l'incapacité qu'ont les différents acteurs du débat politique français à nourrir un débat dans des termes qui ne soient pas sournoisement totalitaires. L'esprit politique français, facilement qualifié de partisan, est en fait spontanément unitariste. Joyeux paradoxe qui empêche les idées politiques de sortir de la grandiloquence d'avoir réponse à tout, et stérilise la culture saine de la prudence qui gouverne toute action politique. Prudence , c'est-à-dire réflexion.
Le problème est plus complexe qu'il n'y paraît, et pourtant les réponses sont plus simples, et partant, plus exigeantes. Le problème en effet ne se résout pas à critiquer depuis son corpus de valeurs et de principes les autres . Combien de gens aujourd'hui sont capables de refaire le monde en privé, mais se sentent démunis, et souvent frustrés, lorsqu'il s'agit de passer de la sphère privée à la sphère publique ? Combien de Français sont incapables, lorsqu'ils passent à la télévision de dire ce qu'ils pensent à la maison, et qui transparaît parfois dans certains sondages aux résultats spectaculaires ? Combien de jeunes enfin, sitôt sortis du cocon familial, ont peur d'aller dans le grand monde à la rencontre d'autres milieux et d'autres personnes, parce qu'ils ont peur de perdre leurs convictions chèrement acquises dans l'éducation ? Une seule réponse : N'ayez pas peur !
La politique manque de charité dans les idées et la confrontation
Devant la puissance conceptuelle de la pensée de gauche, bien que fondée sur les erreurs qu'on connaît et qui ont construit l'expérience désastreuse du totalitarisme communiste, la France ne parvient pas à incarner une pensée émancipée des désillusions qu'elle-même vit depuis deux siècles suite à la grande déstabilisation de la Révolution française – pour cause, on parle très sérieusement d'une VIe république...
Face aux idéaux si généreux mobilisés par cette pensée, qu'oppose-t-on encore aujourd'hui ? Une pensée qui ne parvient pas à exprimer la même force idéale, le contrepoids d'une autre vision de l'homme fondée sur une autre dignité, tout aussi cohérente. C'est pourquoi face à la dynamique et à la force d'inertie de la pensée fondée sur la seule solidarité, pensée de gauche dont les meilleurs aspects sont aujourd'hui acquis dans les consciences, il faut trouver les chemins d'une pensée fondée sur la charité. Vertu si décriée et si méprisée par la pensée socialiste qu'on se retrouve pantois aujourd'hui à chercher à motiver les personnes, à inventer toutes sortes de réenchantement du monde, passant par l'exaltation de l'individu, la découverte de nouvelles minorités toujours plus proches des passions subjectives, la fameuse démocratie participative, expression pudique cherchant à masquer le dégoût des citoyens abstentionnistes pour la politique révolutionnaire des grandes masses, des masses désincarnées tuant la dignité de chacun dans des mesures à l'arbitraire sentant l' Ancien Régime ...
Mais de la charité, il en faut aussi pour se remettre en cause et voir quelle part de responsabilité on exerce dans la crise actuelle. Combien de pensées politiques, d'idées et d'intuitions restent prisonnières de notre fausse humilité, de notre timidité injustifiée ? Il faut dire que la désaffection pour la politique est telle que nous préférons rester purs seuls, que risquer une tache ensemble... Pas de politique sans charité, tel est le premier axiome. Car dans le domaine de l'action civique, il faut accepter le pardon de soi et le pardon des autres, pour avancer toujours et ne jamais faire reculer la communauté dont on détient une part de responsabilité. Or, rien de tel, pour être honnêtes, que commencer par le constat que nous sommes les premiers responsables de la situation actuelle. Nous ne pouvons pas, tel Pilate, nous en laver les mains et laisser les autres en faire à leur tête.
La foi en politique ne vaut rien sans la raison
Pas de politique sans charité, mais aussi pas de charité sans vérité. On énerve les jeunes dans des études censées leur apprendre à affronter le monde : du coup, les jeunes Français en grandes écoles et universités accumulent les diplômes sans réfléchir au sens de leur vie. On verra bien ! Non, vous ne verrez pas mieux, car d'autres penseront à votre place, et vous mèneront dans des systèmes où vous ne vouliez pas aller. Aussi, faut-il accepter la recherche de la vérité, non celle qui mène au dogmatisme, cet ennemi chagrin de la politique, mais celle qui fait poursuivre le bien commun, l'idéal, malgré la nécessité de la conquête du pouvoir, malgré les indispensables manœuvres politiciennes.
Vérité qui mène au courage des idées. Mais aussi vérité qui mène à l'humilité du débat, celui qui vous permet de confronter vos convictions à celles d'autres mentalités, de façon à apprendre à sortit des particularismes de sa vie pour ériger ses convictions en une pensée universelle, acceptable par tous. Comment voulez-vous que votre foi perce, si elle ne chercher pas à s'exprimer en un discours audible ? Aussi le prix ResPublica Nova défend un espace de débat qui ne revendique aucune identité politique ou religieuse, pour que les convictions s'affrontent à nu et que leur rencontre produise un discours créatif. Il faut que les meilleures convictions de tout un chacun sortent de leur milieu, il faut qu'elles passent dans le débat public, dans l'arène.
Si vous avez la vérité, mais que vous ne savez pas dialoguer pour convaincre et persuader, à quoi bon avoir la lumière ? De ce point de vue, comment les catholiques ne regretteraient-ils pas les Lumières du XVIIIe siècle et leurs salons où les jésuites rencontraient Voltaire, le prix des académies royales capables de s'incliner devant un discours bien argumenté de Rousseau, comme l'académie royale de Dijon ? Ce qui est choquant, ce ne sont pas les Lumières, c'est l'exploitation politique de ces débats par la Révolution, destinée à faire taire par l'échafaud les pauvres hommes de bonne volonté de ces salons où ils s'affrontaient avec les philosophes, où les meilleures idées s'affirmaient avec énergie, sans consensus, et pourtant avec la politesse de la civilisation française !
Le prix ResPublica Nova repart de cet esprit civilisé qui permettait un véritable débat aux termes non faussés et une confrontation de personnes opposées par l'anthropologie, sans juger l'un ou l'autre, sans considérer que chacun doive ignorer les autres pour mieux s'accomplir et doive se réfugier dans l'esprit de parti qui hante aujourd'hui le débat politique et ne vise qu'à rechercher le pouvoir au lieu de servir ensemble le bien commun !
Briser le discours de l'expertise
En clair, le prix ResPublica Nova a deux principes éthiques. Le premier consiste à briser le discours de l'expertise, celui qui veut tuer l'élan de la jeunesse qui crie ses convictions folles aux yeux des politiques exaspérés par les compromis, celui qui enferme les diplômés en grandes écoles et universités dans leurs études en leur faisant promettre que lorsqu'ils seront énarques, ils auront le droit d'avoir des idées politiques parce qu'ils connaîtront les dossiers...
Mais notre second principe, c'est de rendre crédible notre discours par un cadre d'action qui donne à la pensée un caractère sensé et réfléchi. Le prix du discours politique, que nous organisons au Sénat, chercher à placer les jeunes devant la responsabilité de la prise de parole, en les invitant d'une part à prendre la parole avec conviction, d'autre part à persuader, enfin à répondre de leurs propos devant le jury et le public librement constitué qui écoute leurs prestations. De la sorte, nous formulons le vœu et l'idéal exigeants de promouvoir de jeunes talents politiques, qui ne soient pas d'abords partisans, et qui écoutent en eux l'appel de la noblesse de la politique tout en se donnant les moyens d'aller à la rencontre de leur société.
Cette année, c'est une réflexion ambitieuse que nous proposons dans le cadre du concours du discours politique : La France doit-elle changer ? Attendrons-nous la fin du monde pour prendre la parole ? Attendrons-nous d'avoir glissé un bulletin dans l'urne pour croire avoir fait notre devoir de citoyen Français ? Ou croyons-nous que si nous avons de vraies convictions, il n'y a aucune raison qu'avec un minimum d'efforts, elles ne soient pas audibles aussi par le discours politique ?
*Charles de Lauzun est membre de ResPublica nova.
Pour en savoir plus :
■ Le Prix Jeune Cicéron du discours politique a pour but de remettre à l'honneur chez les moins de trente ans la prise de parole responsable en politique, par un concours, avec un écrit, puis un oral. Pour servir la vigueur de la pensée, et l''articulation du politique à une anthropologie solide. Les finalistes viennent prononcer leur discours à l'oral, le 24 mars prochain, au Sénat, sous la présidence de Michel Déon, de l'Académie française. Cette année, ils auront à répondre à la question : "La France doit-elle changer ?"
■ ResPublica Nova est une association, maintenant âgée de quatre années, d'élèves de grandes écoles soucieux d'apporter une réponse volontaire et jeune à la culture du débat politique en France par un regard neuf et audacieux sur les problèmes contemporains, ainsi que sur les conditions de la politique aujourd'hui.
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