Résistance chrétienne aux dérives de la démocratie
Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 05 avril 2007

Nous sommes à la fin d'une époque, écrit le cardinal Ratzinger dans la Note doctrinale sur l'engagement des catholiques dans la vie politique (2002). Le pacte moral sur lequel s'appuie l'unité politique des sociétés démocratiques a éclaté.

Désormais, on s'oppose sur le sens de la personne humaine, de sa dignité, sur la signification et la place du mariage, sur les fins de l'éducation. Ce pluralisme éthique se présente même, dit la Note, comme la condition de la démocratie . Pour fonctionner, celle-ci doit dresser des règles du jeu qui deviennent de plus en plus contraignantes. La liberté humaine se dissout dans le conditionnement.

Ce n'est pas la première fois dans l'histoire qu'un régime politique assoit son pouvoir sur sa propre définition du bien et du mal. Ce n'est pas la première fois non plus que le peuple de Dieu se trouve en première ligne pour s'y opposer.

En premier lieu, ne pas fuir. La compromission, le repli sur soi, la révolte... ces échappatoires sont un refus de la réalité, des exigences de la raison politique et des sacrifices qui, le cas échéant, vont avec. Au contraire, ne pas se dérober, assumer ses responsabilités, faire face, se protéger, sans doute, mais pour mieux aller au contact, minoritaires ou pas.

Dans une réflexion sur les aspects bibliques de la responsabilité politique chrétienne en situation de résistance, le cardinal Ratzinger suggérait trois axes d'engagement (Église, Œcuménisme et Politique, 1987) :

1/ Affirmer sa présence. Devant le mythe irrationnel de l'État tout puissant et de la société sans maître, la mission première des chrétiens est d'affirmer leur présence pour rappeler aux puissants que leur pouvoir est inscrit dans un ordre qui ne leur appartient pas. Pour le chrétien, cela signifie également accepter la pauvreté de la politique, et ses contraintes : ce n'est pas parce que la société est malade, que la démocratie est corrompue dans ses principes, que l'ordre politique a cessé d'être. Apprendre le sens des limites, c'est laisser sa place à l'espérance.

2/ Combattre le mal par le bien. Aux Hébreux asservis à Babylone, Jérémie dit : Bâtissez des maisons..., plantez des jardins, recherchez la paix pour la ville où je vous ai déportés (29, 5-7). Le Cardinal va très loin dans son interprétation : Le chrétien est toujours un élément constructif de l'État dans le sens où il réalise ce qui est positif, ce qui est bien, ce qui unifie. Il ne craint pas de favoriser ainsi le pouvoir du mal, mais il est convaincu que seul un renforcement du bien peut abattre le mal, diminuer le pouvoir du mal et le pouvoir des mauvais.

3/ Éclairer les consciences sur les principes fondamentaux de la vie politique (vie, mariage et famille, liberté d'éducation). La démocratie n'est pas en cause : l'Église dit oui au pluralisme politique mais non au pluralisme moral qui abolit l'homme (Lewis) et divise les communautés. C'est pourquoi le magistère demande aux chrétiens de ne céder à aucun compromis sur les conditions éthiques de la démocratie.

En période électorale, on comprendra que le chrétien ne peut sacraliser son vote. L'isoloir n'est pas le lieu de la définition du bien et du mal, et les fondamentaux de la vie politique échappent à la sanction démocratique (Benoît XVI, Discours sur le droit moral naturel, 12 février). Le sens de son vote est donc subordonné aux décisions que chacun prend pour éclairer les consciences, enrayer le mal et faire progresser le bien à travers ses divers engagements. Autrement dit, voter pour la paix et refuser de se battre, ou se battre seulement dans les cénacles chrétiens à coup d'incantations moralisantes, ce serait mal élevé..., et d'une résistance totalement stérile.

L'engagement politique chrétien est une petite voie, au sens thérésien, une voie humble, déterminée, constante. Comme le cardinal Ratzinger l'écrivait joliment, la voix de la raison est moins forte que le cri de la déraison . L'espérance ne fait pas de bruit, mais là est le salut des hommes.

 

Philippe de Saint-Germain est délégué général de la Fondation de Service politique.
Article paru dans La Nef n° 181, avril 2007.

 

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