Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 19 mars 2004
Combien de Français se rendront-ils aux urnes, ce dimanche ? Et combien de gaieté de cœur ? Tous les efforts citoyens pour intéresser les Français à l'enjeu de ces élections régionales et cantonales sont tombés à plat.
Tout concourt à susciter la méfiance ou l'ennui : le nouveau mode de scrutin fait la part belle aux combinaisons d'état-majors ; les candidats sont moins représentatifs de la population que les représentants des partis. Et que dire des effets de la décentralisation ?
Dans un essai magistral qui vient de paraître (Les Nouveaux Féodaux, Gallimard), Roland Hureaux fait remarquer : " La décentralisation en cours surprend d'autant plus que personne ne la demande vraiment. Tous les sondages montrent qu'elle vient en dernier lieu dans les préoccupations des Français. " Les quelques électeurs qui se déplaceront seront donc plus enclins à manifester leur mauvaise humeur que leur enthousiasme.
Pourtant cette vaste entreprise de décentralisation offre a priori l'opportunité de rapprocher politique et citoyenneté. Un chrétien n'y trouve-t-il pas l'amorce d'un retour au principe de subsidiarité ? Même imparfaite, l'intention n'est-elle pas positive ? Mais l'intention, aussi sincère soit-elle, procède toujours de cette logique pragmatique propre à la Modernité selon laquelle la politique se pense avant tout en termes d'efficacité. Le discours peut emprunter à la justice, aux droits de l'homme, à la morale, la chaleur qui lui manque pour habiller ses objectifs, il s'agit avant tout de réussir. La subsidiarité des eurocrates et des post-girondins s'inscrit dans cette perspective : déléguer le pouvoir au bon niveau, de telle sorte que les objectifs de l'action envisagée soient réalisés de manière " suffisante " (cf. traité de Maastricht, 3b). Ainsi pourra-t-on bâtir une société de progrès, plus juste, éclairée par l'élite du corps social.
Tout autre est la subsidiarité classique, qui procède de la justice : il s'agit de respecter le droit de chaque sujet politique, citoyen ou communauté, tel que l'histoire et la culture l'a établi. Dans cette perspective, la politique est un service, la vie de chacun est politique, la politique est en vrai partage. Mais le pouvoir est ici abnégation. Peu exaltant.
Tant que la logique du " faire " dominera la res publica, aux dépens d'une logique de l'" être ", la politique demeurera subie. Elle se réduira à une technique, portée par l'idéologie, et la responsabilité, à un enjeu de pouvoir. Pas étonnant donc, que les Français se lassent (abstention), se révoltent (protestation) et répugnent à s'engager politiquement.
Sensibles à cette montée du mépris pour la chose publique, et ses effets sur de nombreux drames sociaux, les prélats du Conseil permanent de l'épiscopat français ont publié un " appel à la justice et la solidarité ", invitant les chrétiens à voter. Face à la " désespérance " des Français touchés par le chômage ou les restructurations industrielles, écrivent ces évêques, " il s'agit d'organiser la solidarité ". " Entre un protectionnisme jaloux de ses avantages et un libéralisme aveugle, ne faudrait-il pas favoriser une harmonisation des différents niveaux de pouvoir ? Ne faudrait-il pas également promouvoir les subsidiarités indispensables à une vie équilibrée dans la justice et la solidarité ? "
Qu'on me pardonne cette interrogation, que j'ai maintes fois soulevée. Ce type de message peut-il être entendu quand il épouse le constructivisme de cette politique du faire qui prétend recomposer la société selon les lois de l'efficacité, et quand bien même il s'agit de la corriger, ou de lui apporter des " valeurs fortes et généreuses " ?
Comme toujours pour échapper à l'abstraction, les valeurs du faire finissent par se limiter à une régulation de l'avoir. Pas une seule fois, le texte évoque l'homme dans sa dignité et ses interrogations intimes, la société française dans sa mission collective, et le sens du bien commun, qui perfectionne chacun et le comble dans ses aspirations profondes.
C'est à un véritable changement de perspective politique auquel nous sommes appelés si nous voulons servir les hommes et la société, tels qu'ils sont. Rétablissons une politique de l'être et du droit. Et si nous le voulons, faisons-le au nom de la responsabilité de l'Eglise, dont la mission est aujourd'hui de sauver la politique. C'est le sens ultime du dernier document du Magistère consacré à l'engagement politique des catholiques : la " Note Ratzinger ", publiée il y a un an.
Lors du colloque organisé à son sujet par la Fondation de service politique au Sénat, le 5 mars dernier, le père J.-M. Garrigues a clairement souligné la portée de cette responsabilité : l'Eglise doit intervenir pour sauver la société contre elle-même, et cette responsabilité relève du pouvoir direct de l'Eglise.
Pour en savoir plus, avant d'aller voter :
> La déclaration du Conseil permanent de l'épiscopat à propos des élections
> La Note doctrinale de la Congrégation pour la doctrine de la foi sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique
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