Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 17 mars 2010
On ne gagne jamais en délaissant son propre camp. Nicolas Sarkozy semble avoir oublié cette règle élémentaire : si la victoire nécessite de dépasser les limites de son camp pour s'attacher une partie des électeurs flottants, en revanche, la défaite s'annonce dès que le cœur de l'électorat lâche prise. Il suffit parfois de peu, d'un fléchissement marginal, pour changer le cours d'une élection ; ensuite le mode de scrutin et la dynamique politique font le reste. À chaud après le premier tour, et sans négliger ce qu'un second tour peut éventuellement corriger, quatre leçons se dessinent.
1/ La région, une structure en porte-à-faux
D'abord, l'abstention, pour importante qu'elle fût, n'empêche pas l'analyse ; au contraire, elle dit quelque chose d'important qui concerne la nature même de la région. Cette collectivité n'a pas et n'acquerra pas la légitimité politique des communes et des départements.
On a accusé la mauvaise qualité de la campagne électorale où les programmes auraient été négligés et où les questions de personnes auraient pris trop de place. Mauvaise querelle : les questions de personnes sont de toutes les campagnes ; au demeurant, elles ne sont pas illégitimes car les électeurs ont le droit de savoir si les candidats sont ou non dignes de leur confiance.
Il faut plutôt accuser la structure régionale elle-même. On voudrait y voir une collectivité majeure, à l'échelle du monde moderne et de l'Europe ; la réforme engagée par le gouvernement tend même à l'ériger en second niveau d'administration après l'État et à lui faire absorber plus ou moins le département. C'est une erreur typiquement technocratique. Les seules collectivités locales vivantes, parce qu'elles sont proches du citoyen et que leurs élus sont personnellement accessibles, sont la commune et le département : la vitesse des transports n'a pas modifié cette condition d'accessibilité dans la mesure où elle n'a pas changé le rapport nécessaire entre les gens et les lieux politiques. L'échelle optimale demeure celle du contact direct avec l'élu.
La région ne répond pas et ne peut pas répondre aux exigences de proximité que l'on attend des collectivités locales : d'ores et déjà elle fonctionne comme une administration centrale, loin du terrain. Quant aux élus régionaux, à cause de la dimension géographique et des contraintes qu'elle impose au mode de scrutin, ils resteront forcément éloignés des électeurs.
2/ Un scrutin dont la portée n'a rien de régional
En réalité la région a été conçue dès l'origine comme un espace commode de programmation des équipements : ce qu'elle est en vérité. Rien ne justifie d'en attendre davantage et, par conséquent, d'en élire directement les conseillers, sinon l'esprit de système ou la démagogie. Un mode de désignation à deux degrés à partir des conseils généraux, c'est-à-dire du département, serait certainement plus conforme à la nature des choses et plus efficace. Par conséquent, il ne faut pas s'étonner de l'abstention record enregistrée dimanche dernier : elle traduit la faible visibilité intrinsèque de la région et son inaptitude à prendre place dans la pyramide politique qui structure notre pays.
Le scrutin régional souffre du même vice congénital que le scrutin européen : fruit d'une conception technocratique de la politique, illisibilité de l'enjeu, déphasage entre la réalité et les discours convenus, éloignement irrémédiable. Les électeurs, à défaut de l'expliciter, le sentent suffisamment pour utiliser ces deux scrutins de la même façon : ils s'en servent de sondage en grandeur nature.
D'ailleurs les partis politiques en font autant : les candidatures se multiplient sur tout l'éventail, chacun saisissant l'occasion pour se faire entendre. C'est ce qui rend comparables ces deux scrutins et leur confère une continuité que saisit l'analyse. Or la comparaison du premier tour des élections régionales de mars 2010 avec le scrutin européen de juin 2009 révèle que, derrière un faible déplacement du clivage droite/gauche, d'importants mouvements de fond se sont opérés qui engagent l'avenir.
3/ Pour le PS, la question est celle du dépassement du pouvoir local
Globalement, la gauche a gagné près de trois points ; et en son sein les équilibres ont été bouleversés. Alors que le PS avait enregistré un mauvais score en juin 2009, avec 16,5% des suffrages exprimés, il opère presque un doublement en atteignant 29,5% en mars 2010. Certes, il bénéficiait de l'avantage des sortants ; encore que la majorité d'entre eux ne jouissent d'aucune notoriété.
En réalité, tout s'est passé comme si un quadruple transfert avait eu lieu à son bénéfice :
- Le soufflé d'extrême gauche continue de se dégonfler : il perd encore 2,5 points en neuf mois et dégringole nettement en-dessous du seuil des 5%. Sanction de l'inaptitude au gouvernement et d'un comportement groupusculaire dans la plus pure tradition trotskiste ; signe aussi qu'en dépit de la crise, nul ne croit à la révolution.
- Le PC se maintient péniblement à 6% malgré le Front de Gauche, ce qui signifie d'une part qu'il souffre des mêmes faiblesses que les gauchistes, d'autre part que les voix reprises à ces derniers compensent (mal) celles qu'il perd par ailleurs.
- Malgré la triple alliance réalisée, des listes racoleuses et la complaisance médiatique, le mouvement Europe-Écologie perd un quart de ses suffrages au profit du Parti socialiste (soit près de quatre points) : la carpe rouge, le lapin faucheur et le juge retraité forment peut-être un amalgame original, mais ils ne débouchent pas sur une synthèse politique ; ceci dit, le mouvement pèse encore assez pour monnayer chèrement auprès du PS la constitution des alliances de second tour.
- Enfin, les électeurs socialistes un moment tentés par le MoDem sont revenus au PS ; sans doute dépités par la façon dont François Bayrou a instrumentalisé le parti à ses seules fins présidentielles et par la vanité de son positionnement. Ici aussi, le transfert de voix est important (quatre points), et réduit le MoDem à la portion congrue.
À quoi s'ajoute le gain propre du PS dû à la dynamique de l'élection, d'environ deux points. Ainsi, s'est-il réinstallé au centre du jeu à gauche : il s'est construit une image de gestionnaire et la dispersion du scrutin en vingt-six compétitions lui a évité les déchirements internes. Mais la remise en ordre n'est pas encore faite et les ambitions personnelles ne sont pas éteintes : au contraire, la réélection triomphale de quelque président(e) de région risque de tout relancer. La question est de savoir si, finalement, le PS exorcisera ses vieux démons ou s'il se satisfera du pouvoir local, bien plus confortable et bien moins vulnérable que le pouvoir national.
4/ Pour l'UMP, le risque du retour de la machine à perdre
À la vérité, si échec il y a, c'est incontestablement celui de l'UMP. Alors que déjà le résultat des élections européennes avait été en demi-teinte, et malgré l'intégration du MPF et des chasseurs, elle fait encore moins bien. À 27,3%, elle perd plus de cinq points par rapport au score théorique résultant de l'addition des alliés. Où sont-ils passés ? Au FN qui, de son côté, gagne 6,5 points...
L'explication n'est pas à chercher très loin. À cet égard, la crise n'est que l'alibi de la paresse ou de l'aveuglement ; c'est dans les évènements des neuf derniers mois qu'on la trouve. Les facteurs qui sont susceptibles d'avoir joué sont au nombre de trois :
- D'abord, la maldonne sur les réformes les plus récentes : au premier rang, le Grenelle de l'environnement avec la taxe carbone alors que le candidat Sarkozy s'était engagé à diminuer la pression fiscale et réglementaire ; mais aussi la réforme des collectivités locales qui s'avère un chef d'œuvre de technocratie et dresse contre elle les élus locaux, toutes tendances confondues ; et la réforme de la justice, trop focalisée sur la suppression du juge d'instruction, mal vendue parce que mal amenée ; tandis que la remise en ordre de l'État et des finances publiques a disparu du champ de vision au moment même où la crise de la dette s'aggrave.
- Ensuite, le doute sur la fermeté de la direction : report systématique des décisions difficiles ; replis rapides devant la moindre offensive syndicale ; décisions individuelles contraires aux orientations générales en matière de sécurité publique ou d'immigration ; remise en chantier de réformes votées peu auparavant ; à quoi viennent de s'ajouter les inexplicables propos sur la pause .
- Enfin, le ras-le-bol suscité par la complaisance et les récompenses en faveur des adversaires : l'affaire Frédéric Mitterrand, les nominations de Didier Migaud et de Michel Charasse, ont laissé des traces ; sans parler de l'épisode Jean Sarkozy et des suspicions sur le comportement intéressé de certains proches du chef de l'État.
En d'autres termes, le récent scrutin laisse penser que les électeurs de Nicolas Sarkozy ont commencé de douter, comme ils le firent naguère de Jacques Chirac ou de Valéry Giscard d'Estaing. En neuf mois, Nicolas Sarkozy a perdu une partie du bénéfice acquis lors de la présidentielle, et qui avait résisté jusqu'au milieu de 2009 grâce à la réussite de la présidence française de l'Union européenne face à la crise naissante. Décourageant une partie de son électorat au profit de franges improbables, il a réussi à remettre en selle le FN, c'est-à-dire à replacer l'UMP dans une tenaille infernale. Ce qui guette sa majorité à présent, c'est le retour de la machine à perdre.
Nicolas Sarkozy et François Bayrou se ressemblent sur plusieurs plans : trop sûrs de leur génie politique, au demeurant incontestable, et trop assoiffés de pouvoir, ils en sont venus, l'un et l'autre, à s'arc-bouter sur leurs certitudes. L'un et l'autre donnent le sentiment qu'ils se voient désormais en démiurge exclusif de leur propre réussite et qu'ils s'enferment dans une tour d'ivoire.
Mais leur situation diffère en ce que François Bayrou campe sur une posture dont il n'a pas les moyens et qui le laisse aujourd'hui complètement nu, tandis que Nicolas Sarkozy semble victime de ce phantasme qui a perdu beaucoup de ses prédécesseurs de droite : obtenir l'approbation et le soutien du camp d'en face au détriment du sien. L'un n'a plus ni troupe, ni cadres, ni argent sans doute ; l'autre a encore tout cela et un demi mandat à courir. Il joue son avenir en ce moment, en même temps que celui de la France.
Sur ce sujet :
Élections régionales : pourquoi voter, comment voter ?
Après les régionales : perseverare diabolicum ?
Les résultats du 1er tour sur le site du ministère de l'Intérieur
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