Régimes spéciaux et pénibilité du travail : la facture à la collectivité future
Article rédigé par Jacques Bichot*, le 14 septembre 2007

Le gouvernement et l'Élysée veulent aller vite sur la question des régimes spéciaux. Mais pour faire quoi ? Apparemment, comme l'ont déjà fait la Banque de France, l'Assemblée nationale, le Sénat et le Conseil économique et social, passer de 37,5 à 40 le nombre d'années nécessaire pour avoir le taux plein.

Et peut-être introduire la décote, comme dans la fonction publique.

Régime fonctionnaire

Il ne s'agirait donc pas d'aligner les régimes spéciaux sur le régime général, mais sur celui des fonctionnaires, tel qu'il résulte de la réforme de 2003. De gros avantages subsisteraient : prendre comme base le salaire de fin de carrière plutôt que la moyenne des 25 dernières années, ou attribuer une annuité gratuite pour 4 cotisées en cas de service actif (réputé fatigant). Ce ne serait donc qu'une moitié de réforme.

Quant à l'indexation des pensions sur les prix, autre point du projet, il faut voir au cas par cas si elle est plus ou moins favorable qu'une indexation salariale. Pour la fonction publique, elle l'est nettement plus, car la valeur du point d'indice n'est (depuis longtemps) pas réévaluée de l'inflation, loin s'en faut ! Un petit calcul m'a montré que cette disposition de la réforme de 2003 a déjà coûté plus de trois milliards d'euros à l'État, et la note s'alourdit d'année en année.

Il faut dire que François Fillon a le chic pour faire (en visant théoriquement des économies) des réformes qui accroissent les déficits : la loi retraites de 2003 a mis la branche vieillesse de la Sécu dans le rouge du fait des 400 000 départs anticipés à taux plein qu'elle a rendu possibles (ce n'est pas moi qui le dit, mais les comptes de la protection sociale, établis par le ministère et dûment approuvés par une commission). Récidivera-t-il pour les régimes spéciaux ? Ce sera plus difficile à vérifier, vu leur multiplicité et l'obscurité de leurs comptes.

Pénibilité : à qui la charge ?

Au delà de ces questions de gros sous, un problème de fond et de principe est posé : la pénibilité. Le président de la République a fait de la pénibilité du travail la justification d'avantages particuliers en matière de retraite, reprenant une idée largement présente dans l'opinion et au sein des syndicats. Pas de chance : cette idée est à moitié fausse. Je veux dire par là que la retraite par répartition, financée par tous les Français, n'a aucune raison de prendre en charge le supplément de rémunération que justifie l'exercice d'un métier dangereux, insalubre, stressant ou particulièrement fatigant. Ce supplément de rémunération, comme celui qui récompense un talent particulier, ou du travail de nuit ou de week-end, est évidemment à mettre à la charge de l'employeur.

D'ailleurs, c'est dans l'entreprise ou au niveau de la branche professionnelle que les critères de pénibilité peuvent être utilement définis ; des syndicalistes ont eu le bon sens de le dire et d'indiquer que c'est le domaine des conventions collectives de branche ou des accords d'entreprise. Mais il serait un peu facile de se dire : dans notre branche, tel et tel métiers sont pénibles, alors on va faire payer le supplément qu'ils méritent par l'ensemble des cotisants et contribuables des années 2030 à 2050 ! Comme méthode pour obtenir un accord syndicats/patronat sur le dos des générations futures, c'est extra.

Cette formule, inhérente à la répartition, est inadmissible. La pénibilité du travail doit s'inscrire tout de suite dans les comptes de l'entreprise : si on décide de la rémunérer sous forme d'une pension plus précoce ou plus élevée, il convient que l'employeur cotise à un fonds (qui prendra par exemple en charge le versement d'une pension de 55 à 60 ans), pas qu'il laisse la note à payer aux successeurs ! Si on permet aux employeurs qui offrent des postes dangereux, insalubres, etc., d'en reporter le coût sur la collectivité future, c'est une belle incitation à ne faire aucun effort pour trouver du matériel et des modalités propres à diminuer ou supprimer cette pénibilité.

Une fois de plus, l'enfer est pavé de bonnes intentions. En l'espèce, parce qu'il n'y a pas eu discernement entre ce qui relève d'une prise en charge au niveau national – la retraite par répartition – et ce qui relève d'une prise en charge par l'employeur, sous forme éventuellement de cotisations à des fonds de pension. Et il est bien décevant de voir les plus hautes autorités du pays présenter officiellement le problème sous une forme dégoulinante de ces bonnes intentions mal informées. Notre prof de gym, quand j'étais gamin, pour nous expliquer sa sévérité bienfaisante, nous disait : Bon et bête, ça commence par la même lettre. Aimant la bonté, j'ai toujours pensé que la ressemblance entre ces deux attitudes devait s'arrêter là.



*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'université Jean-Moulin (Lyon 3).
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