Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 21 juin 2002
Voici les élections de l'année 2002 achevées, un nouveau gouvernement désigné, de longues années de socialisme — en principe — derrière nous. Trois leçons " catholiques " se dégagent de ces quatre rendez-vous électoraux : 1/ une confirmation de l'état déplorable de la démocratie française ; 2/ la faiblesse de l'autorité politique de l'Église confrontée à une situation de crise ; 3/ un nécessaire sursaut des forces catholiques pour exercer efficacement leur vigilance.
L'entre-deux tours de la présidentielle a donné lieu à un emballement " antifasciste " qui relevait davantage de l'hystérie collective que de la raison politique. Il a révélé l'état réel de la démocratie française : un système politique devenu une morale, une morale devenue une religion sacrificielle fondée sur l'immolation du bouc-émissaire.
La sélection surprise du président du Front national pour le deuxième tour a provoqué un effet contraire à ce qu'elle aurait dû provoquer : les questions essentielles ont été escamotées. Les plus puissants relais d'opinion — médias, associations, syndicats... — ont préféré attiser le feu du mépris et de l'exclusion, faisant de 5 millions d'électeurs des "fascistes" honteux pour notre pays.
Les foules qui se sont jetées dans la rue pour exorciser leurs déceptions ou leurs fantasmes n'en resteront pas là. Demain, en septembre, leurs meneurs manœuvreront, dociles et vindicatifs, pour bloquer les réformes nécessaires et confondre la nouvelle majorité parlementaire.
Déjà les "maîtres censeurs" (Élisabeth Lévy) sont en marche. Dès le lendemain de la réélection de Jacques Chirac, le journal Libération s'attaquait à la police en découvrant des " bavures " partout en France, et l'Association pour le droit de mourir dans la dignité de l'ex sénateur Caillavet mettait le nouveau ministre de la Santé en demeure de légaliser l'euthanasie !
Dans ce désordre et face à ces menaces, les catholiques ont subi de plein fouet les effets de leurs faiblesses. Non seulement leur nombre les marginalise, mais on a parlé en leur nom de manière abusive et inconséquente. Des associations chrétiennes, des prélats, des curés en chaire ont pris position comme si l'Église était engagée, sans prendre conscience que leur élan "républicain" épousait un mouvement de pure dialectique, excitant les haines et la démesure. Or quand la rue et les médias appellent à la purification démocratique, l'honneur de l'Église est d'appeler à la raison. De s'attaquer aux causes du mal social et non à ses effets électoraux.
On ne le redira jamais assez : dans l'embrasement passionnel de cette élection, l'outrance était partagée. D'un côté, on a condamné justement la récupération du discours religieux à des fins électorales. De l'autre, on a exalté une démocratie sacralisée comme une nouvelle religion. L'appel au sacrifice expiatoire du bouc émissaire (cf. Liberté politique n° 12), que ce soit la vache folle, l'immigré ou l'électeur incorrect n'appartient ni à la politique, ni à la morale, mais bien à une forme de sacré archaïque et païen. Ceci ne sert qu'à fuir la réalité. L'immolation de la victime jetée à la vindicte populaire, voici politique et religion confondues, voici la marque d'un néo-totalitarisme.
Dans ce climat, les communiqués chrétiens appelant à vivre la démocratie comme une " chance " et la politique comme un " vivre-ensemble " sont au mieux faibles, au pire ambigus, alors que nous étions bien en situation de nous demander si la société sans Dieu dans laquelle nous vivons n'a pas élevé l'idéal démocratique au rang d'un " mythe ", devenu une fin en soi, tel que le magistère l'a condamné (Evangelium vitae, 70).
Une telle situation de " séisme " politique a le mérite de clarifier les motivations. Elle peut contribuer à ouvrir les yeux. En de telles circonstances, l'Église doit intervenir librement, en sortant des schémas imposés. Sans prendre parti, il s'agissait ici de manifester l'incroyable dérive de cet emballement purificateur. L'occasion était rêvée pour appeler à la sagesse, sinon au calme, renvoyant chaque camp devant l'illusion d'un " politique d'abord " autoritaire ou libéral, inapte à résoudre les problèmes à leur juste niveau.
Or l'Église de France n'a pas été en mesure de se faire entendre convenablement. Son message a été brouillé. Les médias ont relayé des discours moralistes sans voir que les deux tiers des évêques ont gardé leur distance avec l'agitation médiatique et que la grande majorité des associations et mouvements catholiques, centrés sur leur mission propre, n'ont pas mêlé leurs voix aux anathèmes " républicains ". Mais faute sans doute d'analyse politique claire et partagée, l'Église réelle est restée muette. Elle n'a pas encore trouvé le dynamisme nécessaire pour répondre de manière utile au bien commun en situation de crise politique.
Cette faiblesse a d'autres conséquences.
Si les catholiques ont de manière massive rejeté la gauche plurielle (en accordant 77 % de leurs suffrages à la droite), la droite de gouvernement élue n'est pas une droite " catholique " (si tant est que celle-ci existe). Elle est conservatrice, libérale, sans doute en mesure d'offrir aux catholiques un espace d'expression politique respectueux de leur conscience, mais elle n'est pas d'inspiration catholique.
Il suffit d'observer la composition du gouvernement Raffarin. Sur toutes les questions sensibles, en raison de leur caractère vital et fondateur d'une société authentiquement humaine, les nouveaux ministres concernés n'offrent aucune garantie. Marie-Thérèse Boisseau, secrétaire d'État aux Handicapés, s'est faite connaître en novembre 2000, lors du débat sur l'allongement des délais de l'IVG, en proposant un amendement visant à autoriser les avortements tardifs. Jean-François Mattéi, ministre de la Santé, " ne veut pas modifier la logique de la révision des lois de bioéthique parce que la majorité a changé ". Christian Jacob, ministre délégué à la Famille, n'a jamais posé une question au gouvernement sur la politique familiale en sept années de mandat à l'Assemblée nationale.
Ce n'est pas la présence au gouvernement de Roseline Bachelot qui fut le seul député de l'opposition à voter la loi sur le Pacs qui nous rassurera, pas plus que celle de Nicole Fontaine qui s'est opposée aux amendements européens tentant d'interdire toutes les utilisations d'embryons humains. Et que penser de celle de Noëlle Lenoir, l'inspiratrice des lois de bioéthique, ou de celle de Jean-Pierre Aillagon, le ministre de la Culture, qui s'honore de "l'ouverture de la droite vis-à-vis des comportements sexuels divergents" ?
Peu nombreux, rétifs encore à s'engager ouvertement à contre-courant, les catholiques de France, ne sont donc guère respectés. Le service du bien commun exige pourtant leur présence, ne serait-ce que pour limiter l'arbitraire des pouvoirs — quels qu'ils soient : politiques, économiques, scientifiques, culturels. Ils sont appelés à la vigilance et à l'imagination pour se faire entendre, avec la sérénité combative d'hommes et de femmes libres, sûrs que leur impuissance à peser dans le rapport de force n'est pas nécessairement un handicap. " Quand je suis faible, c'est alors que je suis fort " (Cor, 2, 12).