Quatrième partie de l'analyse du projet de Constitution par G. Berthu. "IV-La grande absence : aucune mesure pour rétablir le contact avec les citoyens"
Article rédigé par Georges Berthu, le 18 juillet 2003

[IVe et dernière partie] - Le Conseil de Laeken avait fixé à la Convention un objectif primordial : rapprocher l'Europe des citoyens en comblant le déficit démocratique. Or le projet de Constitution ne répond en rien à cette question.

À sa lecture, on ne voit pas ce qui ferait que les citoyens demain se sentiraient moins impuissants face à la construction européenne, et l'aimeraient davantage. Après la Convention, ce serait comme avant, et même sans doute pire.

En effet, la supranationalité, axe principal du projet, a en principe pour effet d'éloigner les institutions des citoyens, car elle transfère des compétences des Parlements nationaux, proches et légitimes, vers le Parlement européen et la Commission, considérés comme éloignés et dotés d'une légitimité bien plus faible. On peut résumer la situation en disant : "Plus de supranationalité égale plus d'éloignement et moins de démocratie."

On aurait aimé que la Convention pose ces questions, et qu'elle cherche à y répondre. Cela n'a pas été le cas. Au début des travaux, il a semblé que Valéry Giscard d'Estaing pressentait le problème, lorsqu'il a proposé des mesures, inédites dans les annales fédéralistes, comme la création d'un "Congrès des peuples" formé de représentants des Parlements nationaux ou la reconnaissance à ceux-ci du droit de contrôler la subsidiarité. Toutefois, ces propositions ont été réduites à néant par l'influence de la Commission et du Parlement européen à la Convention.

En fin de parcours, il ne reste plus aucune trace du Congrès des peuples.

Quant au contrôle de la subsidiarité, on le trouve au "protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité" placé à l'annexe 2 de la Constitution. A la suite d'érosions successives, les Parlements nationaux n'y tiennent plus qu'une place ridiculement faible : alors que c'est eux qui ratifient les traités, et qu'il devraient être les juges suprêmes de leur interprétation, il ne leur est plus donné qu'un droit d'adresser aux institutions européennes un "avis motivé" lorsqu'ils trouvent qu'une proposition de la Commission n'est pas conforme au principe de subsidiarité. Mais à la suite de cet avis motivé, les institutions ne sont obligées à rien. Si un tiers des Parlements nationaux émet le même avis, la Commission est seulement "tenue de réexaminer sa proposition", mais elle n'est même pas obligée de la modifier ou de la retirer. Elle peut la maintenir purement et simplement (annexe 2, article 6). En fait, l'arbitrage final sur les limites de la subsidiarité sera effectué par la Cour de justice si un Etat membre la saisit en application des règles qui existent déjà aujourd'hui. Autrement dit, rien ne sera changé. L'arbitrage par les démocraties nationales est écarté au profit de l'arbitrage par les juges de la Cour suprême qui, comme on le sait, vont plutôt dans le sens de l'extension des compétences communautaires.

Si l'on avait vraiment voulu rétablir le contact avec les citoyens, il aurait fallu, non pas s'enfoncer dans la supranationalité, mais ancrer l'Europe dans ses démocraties nationales. À cet égard, il manque notamment :

- au niveau des symboles, un préambule fort rappelant la nature de l'Europe. Nous trouvons incroyable que dans tout ce préambule le mot "nation" ne figure nulle part. Nous trouvons tout aussi incroyable qu'il ne soit fait aucune mention des origines des valeurs des pays d'Europe, et d'abord des origines chrétiennes. Nous trouvons incroyable enfin qu'on ne mentionne nulle part, ne serait-ce qu'à égalité avec "l'humanisme", la foi en Dieu qui est aujourd'hui celle d'une majorité d'Européens. Toutes ces absences montrent bien une volonté forte de déconnecter l'Europe de ses peuples ;

- au niveau des principes, un article énonçant clairement que l'Union respecte la souveraineté de ses pays membres ;

- au niveau des mécanismes juridiques, des dispositions enracinant réellement l'Europe dans ses peuples. Nous avons fait tout au long de la Convention, de multiples propositions à cet égard qui sont résumées dans La Convention vers le super-État ? (F-X. de Guibert, 2003). Parmi ces propositions, il nous paraît essentiel d'insister sur la reconnaissance d'un droit de veto (ou de non-participation) aux Parlements nationaux, tel que nous l'avons développé dans la conférence donnée à la Maison de l'Europe le 6 février 2003 : "Veto et démocratie dans l'Europe de demain".

En conclusion, il nous semble que la Convention sur l'avenir de l'Europe n'a pas fait un bon travail parce qu'elle est tombée très rapidement sous l'emprise des institutions européennes en place, et qu'elle n'a pas su sortir des sentiers battus de la pensée fédéraliste. Nous appelons les Parlements nationaux à ouvrir un vrai débat sur ce sujet avant la tenue de la Conférence Intergouvernementale (qui doit commencer en octobre 2003). Nous appelons aussi cette Conférence à corriger sérieusement la copie de la Convention pour revenir à la seule Europe proche des citoyens, une Europe fondée sur les démocraties nationales.

Lisez le texte du projet de traité instituant une constitution pour l'Europe

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