Article rédigé par Bernard Seillier*, le 02 décembre 2005
Le 8 décembre 1965, s'achevait le concile ouvert en 1962 par Jean XXIII. Quarante ans après, les perspectives politiques de Vatican II, largement expliquées et reprises par le pontificat du pape Jean Paul II, demeurent la ligne de crête de l'engagement du laïc chrétien dans la cité.
Pour le chrétien, l'action dans le champ de la politique ne peut être logiquement pensée que comme une occasion de témoignage apostolique. Telle est sa vocation très fortement soulignée dans les textes du concile Vatican II Lumen gentium, Gaudium et Spes et singulièrement le décret Apostolicam actuositatem sur l'apostolat des laïcs. Le 30 décembre 1988, l'exhortation apostolique Christefideles laici du pape Jean Paul II reprit dans une synthèse d'une grande vigueur l'ensemble des perspectives conciliaires sur le sujet.
La politique y est considérée comme un champ d'action parmi d'autres, où les laïcs chrétiens participent par vocation propre à la mission de l'Église qui est "d'étendre le règne du Christ à toute la terre, pour la gloire de Dieu le Père" (Apostolicam actuositatem, 3). Il semble donc qu'il n'y ait à première vue rien de problématique en soi dans cette vocation des laïcs, ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle soit facile. Pourquoi alors cette insistance particulière de Vatican II et des textes qui l'ont suivi à définir la vocation des laïcs au sein de l'Église?
Le Magistère saisit comme quelque chose de nouveau à côté du mandat officiel confié à certains mouvements de laïcs, et des méthodes élaborées par les mouvements d'Action catholique. Les laïcs sont de manière pressante invités à agir individuellement ou collectivement selon une libre organisation et à exercer leur mission, avec leur conscience pour guide(1). La hiérarchie reste toujours présente pour fournir une assistance spirituelle, une référence doctrinale et une appréciation de conformité à la mission de l'Église, mais l'existence de groupements libres est explicitement reconnue, pratiquement comme une nécessité apostolique (AA, 18).
Le champ du politique dispose, il est vrai, d'une juste autonomie dans son ordre propre de rationalité. Saint Thomas l'avait très clairement identifiée au titre de l'ordre naturel. Mais cette autonomie n'est juste que dans la mesure où est reconnue la dépendance des créatures à l'égard du Créateur:
" Les choses créées dépendent de Dieu, proclame le Concile, et l'homme ne peut en disposer sans référence à Dieu " (Gaudium et Spes, 36). Or c'est bien là qu'il y a aujourd'hui problème. La rationalité de la société politique moderne tend non seulement à devenir païenne (2), mais encore à obéir à des logiques réductrices, notamment scientifiques et donc anthropologiquement fausses. Plus sournoisement, il s'agit de singer la foi même. Le paganisme et ses différentes formes d'idolâtrie sont relativement faciles à identifier. Il en va de même pour le scientisme réducteur qui ne reconnaît de réalité humaine que physique.
En revanche le plagiat de la foi prend le chrétien plus subtilement à rebours. Il en va ainsi quand le pouvoir politique prétend donner accès légalement, en dehors de la foi, aux perspectives dégagées par saint Paul : "Vous tous en effet, baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ: Il n'y a ni Juif ni Grec, il n'y a ni esclave ni homme libre, il n'y a ni homme ni femme ; car tous vous ne faites qu'un dans le Christ Jésus" (Gal. III, 27-28). Faut-il des exemples ? Les confisions législatives sur la nationalité, l'autorité dans la cité et sur la famille, parlent d'elles-mêmes.
Si la politique a de tout temps été très naturellement un champ d'apostolat, elle devient de plus en plus un problème pour l'apostolat lui-même, un peu au même titre que le cardinal Daniélou avait pu dire que " l'oraison est un problème politique", c'est-à-dire une pierre d'achoppement. Là se trouve le cœur de la problématique de l'engagement du laïc catholique soulevé par Vatican II. "À une époque où se posent des questions nouvelles et où se répandent de très graves erreurs tendant à ruiner radicalement la religion, l'ordre moral et la société humaine elle-même, le Concile exhorte instamment les laïcs, chacun suivant ses talents et sa formation doctrinale, à prendre une part plus active selon l'esprit de l'Église, dans l'approfondissement et la défense des principes chrétiens comme dans leur application adaptée aux problèmes de notre temps. [...] C'est le travail de toute l'Église de rendre les hommes capables de bien construire l'ordre temporel et de l'orienter vers Dieu par le Christ. Il revient aux pasteurs d'énoncer clairement les principes concernant la fin de la création et l'usage du monde et d'apporter une aide morale et spirituelle pour que les réalités temporelles soient renouvelées dans le Christ. Les laïcs doivent assumer comme leur tâche propre le renouvellement de l'ordre temporel" (AA, 6-7).
Le Magistère souligne donc sa confiance dans cet engagement des laïcs sans définir les méthodes pratiques de l'apostolat et les solutions à dégager, car c'est une mobilisation générale. C'est bien parce que la société humaine est en danger aujourd'hui que doit être mobilisé un apostolat nouveau dans la vie politique qui exige une bonne formation philosophique, singulièrement anthropologique, ainsi qu'une bonne formation de la foi chrétienne. "C'est en effet l'homme qu'il s'agit de sauver, écrit le Concile, la société humaine qu'il faut renouveler. C'est donc l'homme, l'homme considéré dans son unité et sa totalité, l'homme, corps et âme, cœur et conscience, pensée et volonté.. " (GS, 3). Une très lourde responsabilité reconnue aux laïcs correspond à cette nécessité de l'apostolat actuel qui passe prioritairement par la réaffirmation au cœur même de la politique d'une anthropologie véridique n'amputant pas l'homme de la plénitude de ses dimensions, et ne falsifiant pas non plus le réalisme de cette anthropologie.
C'est bien aux laïcs eux-mêmes qu'il appartient de faire reconnaître par l'autorité politique la dimension plénière de la personne humaine. C'est leur vocation propre de laïcs placés par nature au cœur de la cité d'exercer leur responsabilité par leur inspiration et leurs charismes propres, tant individuels que collectifs : "Que les catholiques compétents en matière politique, affermis comme il convient dans la foi et la doctrine chrétienne, ne refusent pas la gestion des affaires publiques car ils peuvent par une bonne administration travailler au bien commun et en même temps préparer la route à l'Évangile" (AA, 14).
Cette mission dépasse bien sûr leur compétence purement naturelle, car l'anthropologie complète dont a besoin la société politique aujourd'hui est plus que jamais celle de l'homme parfait. La vocation des laïcs est bien celle de la préparation d'un avènement. "Le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, s'est lui-même fait chair, afin que, homme parfait, il sauve tous les hommes et récapitule toutes choses en lui. Le Seigneur est le terme de l'histoire humaine, le point vers lequel convergent les désirs de l'histoire et de la civilisation, le centre du genre humain, la joie de tous les cœurs et la plénitude de leurs aspirations" (3).
*Bernard Seillier est sénateur de l'Aveyron, administrateur de la Fondation de service politique. Extrait de Liberté politique n° 13.
Notes
(1) " Le laïc qui est tout ensemble membre du peuple de Dieu et de ta cité des hommes, n'a qu'une conscience chrétienne. Celle-ci doit le guider sans cesse dans les deux domaines " (Apostolicam actuositatem, 5).
(2) Cf. Mgr Hyppolite Simon, Vers une France païenne, Cana, 1999,
(3) Paul VI, Allocation du 3 février 1965.
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