Article rédigé par Roland Hureaux*, le 29 septembre 2005
Laurent Fabius est la prudence incarnée. Quand il était Premier ministre, on lui reprochait d'éviter par trop les décisions risquées. L'audace calculée dont il fit preuve en prenant parti pour le non au référendum sur la Constitution européenne semble montrer que l'homme sait, quand il faut, prendre des risques.
Ce fut là une manœuvre que son maître François Mitterrand n'aurait pas reniée. Avant d'autres il sentit venir la lame de fond populaire, hostile à l'évolution actuelle des institutions européennes. Il a compris aussi que l'option socialiste était, comme d'autres, d'avance vidée de son contenu par les principes économiques et sociaux que le projet de Constitution inscrivait dans le marbre.
Mais le sectarisme pro-européen est tel au Parti socialiste que, conjugué à l'ostracisme naturel à un parti fondé sur les valeurs égalitaires, au lieu d'être récompensé de son succès, il fut exclu de la direction et semble, à ce jour, éloigné d'en prendre le contrôle.
Ce sectarisme n'est pas moindre à droite où le gouvernement Villepin a exclu de ses rangs avec hargne tout partisan du non.
Laurent Fabius aurait pu espérer se rabattre sur les différentes mouvances de l'extrême gauche dont il a rejoint les thèses dans le débat référendaire. C'est le sens de sa visite à la fête de l'Humanité où il fut accueilli, comme on sait, par des manifestations hostiles (huées, projectiles divers). Sans doute ceux qui ont organisé ce chahut n'étaient-ils qu'une minorité, manipulée disent certains par ses rivaux socialistes. Mais elle a fait mauvais effet s'agissant de quelqu'un qui prétendait mieux que d'autres rassembler la gauche tout entière au second tour d'une présidentielle.
C'est là que Laurent Fabius a été imprudent : pour un socialiste, obtenir les voix de l'extrême gauche est une chose, s'en faire aimer en est une autre. François Mitterrand l'avait compris. Mieux placé que quiconque pour bénéficier des reports de voix communistes, l'ancien Président ne se serait sans doute pas risqué à la fête de l'Huma au temps de la plus grande gloire de Georges Marchais et n'y eut pas, s'il l'avait fait par exemple en 1980, été reçu différemment que Laurent Fabius.
Les leaders de l'extrême gauche, Olivier Besancenot, José Bové, Arlette Laguiller attirent la sympathie des Français. Les Français ignorent qu'ils n'en sont pas payés de retour. Les différents courants d'extrême gauche se haïssent les uns les autres et haïssent tout ce qui n'est pas eux.
Espérer en être aimé, surtout quand on vient du parti " social-traître ", est illusoire, mais comme l'ultra-gauche a toujours eu une forme de rationalité politique, compter sur ses voix quand on lui a donné les gages symbolique qu'il fallait (ces gens sont sensibles aux mots et aux symboles), ce que Laurent Fabius a fait sur l'Europe, est possible.
Point n'est même besoin qu'il en rajoute, notamment sur les questions de mœurs où par exemple les concessions au lobby dit "gay", sans avancer d'un iota sa cause à gauche ou à l'extrême gauche, le priveraient au second tour de toute ouverture vers le non de droite, sur lesquelles il peut aussi miser.
Malgré son imprudence, Laurent Fabius, reste le leader de la gauche le mieux placé pour récolter les voix de l'extrême gauche et mordre sur la droite au second tour. Il est même au gré de certains le seul véritable homme d'État du Parti socialiste.
Il lui reste, malgré sa récente mésaventure, à en convaincre ce dernier.
*Roland Hureaux est essayiste. A publié notamment Pour en finir avec la droite (Gallimard, 1998)
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