Protocole de Maputo : Benoît XVI défend l'Afrique à naître
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 01 avril 2009

L'Afrique souffre de façon disproportionnée , c'est le cri du cœur de Benoît XVI dans son discours d'arrivée au Cameroun [1]. Dans la longue litanie des méfaits qui mettent gravement en péril la justice et la paix sur le continent, le pape a identifié l'imposition de modèles culturels qui ignorent les droits de l'enfant à naître .

Pour dévoiler la forme que revêt ce danger aujourd'hui pour l'Afrique, Benoît XVI a prononcé une allocution d'une importance capitale le vendredi 20 mars au palais présidentiel de Luanda, la capitale de l'Angola. En s'adressant à l'ensemble du Corps diplomatique réuni pour l'occasion, Benoît XVI s'adressait idéalement à toutes les nations africaines.
C'est au cours de ce discours qu'il a cité explicitement un instrument juridique supranational que peu d'Occidentaux connaissent : le protocole de Maputo. Lui attirant encore et toujours les foudres des médias européens [2] :

Je dois également mentionner un autre grave sujet de préoccupation : les politiques de ceux qui, dans l'illusion de faire progresser l'édifice social, en menacent les fondements mêmes. Combien est amère l'ironie de ceux qui promeuvent l'avortement au rang des soins de santé des mamans ! Combien est déconcertante la thèse de ceux qui prétendent que la suppression de la vie serait une question de santé reproductive (cf. protocole de Maputo, art. 14) ! .

Adopté le 11 juillet 2003 lors d'un sommet réunissant tous les États membres de l'Union africaine à Maputo, capitale du Mozambique, ce traité est entré en vigueur en novembre 2005 lorsque 15 des 53 nations composant le continent l'ont ratifié.
Permis de tuer
Présenté initialement comme un document destiné à lutter contre les mutilations génitales perpétrées contre les femmes, il s'agit en fait d'un des premiers textes de droit international à revendiquer explicitement le droit à l'avortement. L'article 14 cité par Benoît XVI, intitulé Droit à la santé et au contrôle des fonctions de reproduction est en effet une charge d'une violence sans précédent contre les enfants à naître. L'article incriminé contraint les États à protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l'avortement médicalisé, en cas d'agression sexuelle, de viol, d'inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère (2, c) .
Le vocable santé mentale et physique de la mère est un permis de tuer sans restrictions à n'importe quel moment de la grossesse selon l'interprétation complaisante et ultralibérale qu'en ont donnée la plupart des leaders d'opinion occidentaux qui oeuvrent en Afrique.
Ce texte est en effet le fruit amer d'une guerre culturelle menée par de nombreuses ONG occidentales, Fédération internationale du planning familial (International Planned Parenthood Federation, IPPF) en tête. Déjà, lors des conférences onusiennes du Caire (1994) et de Pékin (1995), l'IPPF réclamait l'instauration d'un droit universel à l'avortement. Âprement combattu par la diplomatie vaticane, le projet échouera de peu.
On se souvient que Jean-Paul II avait pesé de tout son poids pour stopper l'engrenage de cette révolution culturelle qui devait triompher au Caire en 1994 : le 15 mars, il avait convoqué Nafis Sadik, présidente de cette conférence, en la mettant en garde contre les clauses cachées de la politique démographique internationale, le 19 mars, il avait envoyé une lettre personnelle aux chefs d'État et de gouvernements du monde entier (fait rarissime, le dernier exemple étant celui de Pie XII pour prévenir l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale), le 25 mars il avait convoqué en urgence les 152 ambassadeurs près le Saint-Siège. Une stratégie qui paya in extremis. Furieuse, l'IPPF élabora dans la foulée une Charte des droits reproductifs sexuels pour la diffuser directement dans les pays en voie de développement et si possible intégrer son herméneutique dans les nouveaux traités internationaux ou régionaux qui ne manqueraient pas d'être discutés dans les années à venir.
La vulgate du planning familial
L'occasion tant attendue s'est présentée en Afrique lorsqu'il fut décidé d'instaurer un traité interdisant les mutilations sexuelles féminines, un problème malheureusement réel et endémique dans certains pays africains. Mais l'intention première fut bien vite oubliée, une seule phrase mentionnant ce fait dans le document final comprenant plus de 20 pages. C'est ainsi que l'ensemble de l'article 14 du protocole de Maputo n'est qu'un copier-coller de la vulgate diffusée par l'IPPF et une multitude d'ONG qui lui sont inféodées intellectuellement.
Marguerite Peeters, une des meilleures spécialistes de la question, a décrypté les mécanismes occultes à l'œuvre dans cette prise d'otage du corpus juridique international :
Les agents de la révolution culturelle ont développé des tactiques intermédiaires pour intégrer leurs objectifs dans les processus juridiques formels. Ils s'efforcent d'incorporer les droits reproductifs dans les lois et constitutions d'une masse critique d'Etats, espérant ainsi faire basculer le droit international. Ils poussent les organisations régionales à ce qu'elles intègrent ces droits dans les traités régionaux [comme dans le cas du protocole de Maputo]. Ils exercent une pression continuelle sur les comités de surveillance des traités [3].
Or, le Saint-Siège, depuis la bataille du Caire sur la santé reproductive , n'a jamais relâché son attention sur les processus en cours à l'échelon supranational.
En ce qui concerne plus particulièrement le protocole de Maputo, Benoît XVI, dès son élection, a suivi de très près le dossier grâce aux évêques africains. Le 19 janvier 2006, la conférence épiscopale de l'Ouganda dénonce le caractère subversif de ce document :
Jamais dans l'histoire un protocole n'est allé aussi loin ! Nous croyons fermement que les peuples d'Afrique n'ont aucun désir de voir ce protocole introduit dans leurs lois. Les situations de forte détresse mentionnées dans le texte (viol, inceste, agression sexuelle) ne peuvent créer un droit de supprimer une vie innocente. Ceci s'applique encore moins dans les cas mal définis d'un danger pour la santé mentale ou physique de la mère. En fait, ceci est une porte ouverte à l'avortement libre.
En effet, cette formulation, comme nous l'avons dit, fait de ce document l'un des plus favorables au droit à l'avortement dans le monde, avec force d'obligation sur les États qui se lieraient les mains en le ratifiant.
L'année suivante, Benoît XVI se faisait l'écho de l'Église ougandaise dans son traditionnel discours au Corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège, le 8 janvier 2007 : Comment ne pas se préoccuper des continuelles atteintes à la vie, de la conception jusqu'à la mort naturelle ? De telles atteintes n'épargnent même pas des régions où la culture du respect de la vie est traditionnelle, comme en Afrique, où l'on tente de banaliser subrepticement l'avortement, par le protocole de Maputo.
Prise de position du Pape d'un poids diplomatique extraordinaire qui conforta les évêques africains dans leur opposition au texte. D'abord par un message signé par le cardinal Polycarpe Pengo, président du symposium des Conférences épiscopales d'Afrique et de Madagascar (SCEAM) le 19 avril 2007 : Nous voulons attirer l'attention des chefs politiques de l'Afrique sur nos fortes réserves concernant l'article 14 du protocole de Maputo [...]. Et de dénoncer l'avortement comme un crime abominable non seulement pour l'Église mais encore pour la culture africaine. Puis par une déclaration commune solennelle des évêques africains réunis à Kinshasa. Le 26 juin 2007, ils demandent à leurs dirigeants de ne pas ratifier le protocole qui détruit les valeurs africaines en général et la femme africaine en particulier : Refus de la maternité qualifiée d'esclavage , droit à l'avortement comme atteinte au droit à la vie de l'enfant à naître, hédonisme et liberté sexuelle, droit de choisir ses partenaires, ce protocole constitue une destruction lente mais sûre des valeurs africaines les plus fondamentales.
Néocolonialisme
Devant l'instauration d'un néocolonialisme insidieux qui fait la guerre aux plus faibles, largement porté par des groupes de pression occidentaux, Benoît XVI n'a pas souhaité se taire. Il a mûrement réfléchi son discours prononcé en Angola, mettant le doigt sur de nouvelles formes d'esclavage idéologique qui s'insinuent dans la culture traditionnelle africaine. Il a également abondamment parlé de la vocation à la vie de la femme africaine et de la promotion de sa mission de mère et d'épouse pour que l'Afrique redevienne un continent de l'espérance. Il lui a donné pour tâche d'être la gardienne de l'Afrique, horripilant les principaux responsables d'ONG sensées promouvoir les droits des femmes .
Le protocole de Maputo est le dernier avatar en date de ces campagnes ignominieuses portées par certaines élites occidentales en vue de réduire le nombre d'Africains. La santé reproductive est le cheval de bataille des grandes agences de l'ONU et de nombreuses ONG pour limiter et contrôler les naissances dans le monde, en particulier sur le continent noir. Née dans les années 60 dans un fort contexte idéologique néomalthusien, le concept est aujourd'hui véhiculé au nom de la liberté de choisir et du développement durable, l'enfant étant présenté comme la nouvelle menace contre l'environnement.
En outre, les pays qui n'ont toujours pas ratifié le protocole de Maputo pourraient se voir exercer un chantage moral pour bénéficier de l'aide gracieuse de la communauté internationale, une aide qui tarde d'ailleurs à se concrétiser. Cela aussi, Benoît XVI l'a rappelé aux pays riches, les mettant en demeure de respecter les engagements pris à la conférence de Doha : Consacrer 0,7 % [du] PIB à l'aide officielle au développement. Promesses non tenues jusqu'à aujourd'hui et sur lesquels nos dirigeants ont brillé par leur silence, préférant faire la leçon à Benoît XVI sur le préservatif.
Parce qu'il connaît parfaitement le dossier et les périls contenus dans le traité de Maputo, Benoît XVI a estimé qu'il devait parler. Lors de son discours au président du Cameroun, le Pape a félicité ses responsables politiques et ses habitants : C'est une terre de la vie où le gouvernement parle clairement pour la défense des droits des enfants à naître. Il sait en effet que malgré les pressions, le Cameroun n'a toujours pas souhaité ratifié le protocole. Pour tous les autres, il leur a rappelé que la première priorité consiste à redonner sens à l'accueil de la vie comme don de Dieu. Pour l'Écriture sainte comme pour la meilleure sagesse de votre continent, l'arrivée d'un enfant est une grâce, une bénédiction de Dieu. L'humanité est aujourd'hui conviée à modifier son regard : en effet, tout être humain, tout petit d'homme, aussi pauvre soit-il, est créé à l'image et à la ressemblance de Dieu. Il doit vivre ! La mort ne doit pas l'emporter sur la vie ! La mort n'aura jamais le dernier mot ! (Messe au stade Ahidjo de Yaoundé, jeudi 19 mars 2009).
L'Église n'est pas détentrice d'une force politique au sens classique du terme mais bien d'une force morale. C'est justement cette puissance morale qui permet au pape d'élever la voix en faveur de la famille humaine sur la scène internationale dans la défense de ce grand principe non négociable qu'est la nécessité de protéger envers et contre tout la vie humaine dès sa conception. Le premier voyage apostolique de Benoît XVI sur le continent africain demeurera comme l'une des plus belles pages écrites pour la promotion de la vie humaine. Les Africaines et les Africains ne sont pas prêts de l'oublier.

[1] Discours du pape à l'aéroport de Yaoundé devant le Président et les autorités politiques du Cameroun, mardi 17 mars 2009.
[2] Cf. en particulier Le Monde du 21 mars 2009.
[3] Marguerite Peeters, La Mondialisation de la révolution culturelle occidentale, Institute for Intercultural Dialogue Dynamics, janvier 2007, p. 101. On remarquera qu'on observe les mêmes mécanismes opérationnels en ce qui concerne la Charte européenne des droits fondamentaux.
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