Article rédigé par Michel Gitton*, le 26 mars 2007
Les Français, et particulièrement les chrétiens, vivent dans l'ensemble assez mal la cohabitation avec l'islam qui leur est imposée par la situation d'aujourd'hui. Il serait plus facile d'être généreux et tolérant si on n'avait pas ces gens-là chez soi, presque à notre porte, faisant du bruit au moment du Ramadan, exhibant une image de la féminité qui nous révulse, contestant notre sacro-sainte laïcité, et creusant le déficit de la Sécurité sociale.
Derrière bien des attitudes de critique et de mépris se cache souvent tout bêtement, la peur, peur de se réveiller demain envahis par un islam conquérant, à la natalité débordante ; peur de voir remis en cause des acquis qu'on croyait définitifs : l'égalité entre les sexes, le renvoi du religieux à la sphère privée, le libéralisme sous toutes ses formes et finalement le Veau d'Or installé au cœur de notre société.
Il existe évidemment des chrétiens engagés dans le dialogue avec les musulmans, qui nous chantent les beautés d'un islam en voie d'accéder aux valeurs du pluralisme, de la démocratie et du libre examen et qui nous font croire qu'une fois reconnue leur place dans la société française, les musulmans contribueront avec nous à l'édification du futur. Et ainsi corrigeront-ils d'eux-mêmes les images négatives qu'ils véhiculent actuellement encore...
Un grand absent
Dans un cas comme dans l'autre, il y a un grand absent : l'évangélisation. Soit qu'on refuse d'envisager la possibilité pour le musulman venu chez nous d'accéder à la foi en Jésus-Christ, soit qu'on estime toute tentative en ce sens comme une odieuse manœuvre de prosélytisme, le trait commun, c'est qu'on n'envisage pas un seul instant le Maghrébin qui habite en bas de chez nous comme pouvant nous rejoindre un jour dans notre foi et chanter avec nous à la messe. Et pourtant, que d'exemples nous montreraient que le musulman d'aujourd'hui peut être le chrétien de demain, et qu'en tout cas, il existe chez beaucoup une réelle attente, que trop peu souvent des chrétiens savent entendre !
Ce qui nous manque, c'est précisément de rencontrer sur ce terrain nos frères musulmans. Nous verrions, si nous nous y risquions, que Abdel ou Rachid ne sont probablement pas les islamistes fanatiques que nous imaginons, qu'ils se posent comme nous des questions sur leur foi, qu'ils se sentent fragiles face à l'exacerbation des envies que sème la société de consommation, qu'ils n'apprécient pas tellement les docteurs de la Loi qu'on leur expédie d'Arabie Saoudite, qu'ils ont pour leur femme plus de respect et d'estime qu'on ne pourrait le croire, etc., etc. Et nous sentirions peut-être aussi leur désarroi, à eux qui ont souvent un sens religieux resté vif, devant la platitude de notre monde sécularisé, leur étonnement devant nos églises vides, leur scandale devant nos modes impudiques...
Nous pouvons masquer tout cela en leur disant de rester de bons musulmans, tandis que nous nous essaierons de devenir de bons chrétiens. Chacun chez soi, Dieu étant le même pour tous, il suffit de se respecter, n'est-ce pas ? Et puis nous sommes tous fils d'Abraham, réunis par une même foi monothéiste, parait-il. Le Coran d'ailleurs ne fait-il pas référence avec honneur à Jésus, le Messie ?
Il y a là un abandon, qui devrait nous faire mal. Si la foi en Jésus-Christ Fils de Dieu est notre vrai bien, le don incandescent et immérité que nous avons reçu, comment penser qu'il ne vaille que pour nous, et qu'il ne soit pas aussi offert à notre frère musulman ? Comment pourrions le laisser sans discuter à cet ersatz de Révélation, tellement insatisfaisant, mais que, faute de mieux, il a reçu et à travers lequel il a peut-être perçu quelque chose des perfections du seul vrai Dieu. ? Il ne s'agit de détruire pour détruire, mais de l'aider à discerner, de lui fournir les moyens de se faire lui-même une opinion sur les sources de sa croyance (qu'on lui a toujours cachées), comme nous-mêmes n'hésitons pas à le faire avec nos propres textes. Tout cela sans polémique et surtout sans mépris.
Car une fois encore, ce frère que nous rencontrons, nous sommes prêts à reconnaître qu'il nous dépasse sans doute par son courage et son sens des choses de Dieu. Mais nous l'avons trouvé sur le bord de la route, blessé par le monde où nous vivons, il ne s'agit pas de le laisser à lui-même, si nous pouvons faire quelque chose. Toute sa valeur religieuse, nous le savons, ne trouvera à s'accomplir vraiment qu'avec le Christ et dans l'Église, alors menons-le, s'il veut bien nous suivre, jusqu'à l'hôtellerie où il pourra être reçu et soigné.
C'est tout le sens d'un apostolat humble et audacieux en direction des musulmans installés en France, tel qu'il en existe déjà en plusieurs points de la région parisienne et sans doute ailleurs.
*Le père Michel Gitton est recteur de la basilique Saint-Quiriace de Provins.
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