PROCHE-ORIENT : LA LOGIQUE DE HAINE D'UNE GUERRE ANNONCÉE
Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 09 avril 2002

JÉRUSALEM,[DECRYPTAGE/analyse] – Depuis la guerre du Liban, le Proche-Orient n'avait pas été le théâtre d'événements aussi dramatiques. La guerre qui se déroule ici répond à une logique implacable dans laquelle se sont engouffrés les dirigeants de la région.

Elle couvait depuis 18 mois, même si secrètement, tout le monde espérait qu'elle n'éclaterait pas. Les deux partis en conflit, après plus de sept ans de négociations ont préféré revenir aux " valeurs sûres " : les armes. Sharon et Arafat, hommes de combats et de luttes armées, ont à nouveau revêtu l'uniforme (encore qu'Arafat ne l'ai jamais quitté).

Les journaux parlent de la " folie de Sharon " et l'on s'accorde facilement à faire porter la responsabilité de cette guerre à l'ancien général de Tsahal. Les raccourcis sont parfois saisissants voire même troublants et les pertes de mémoires de plus en plus fréquentes. C'est sans doute le signe que nous sommes bel et bien en guerre. Reprenons les faits.

L'État d'Israël vient de connaître la vague d'attentats la plus sanglante et la plus meurtrière depuis sa création. Pour le mois de mars dernier, on compte 113 morts et plus de 400 blessés. Derrières ces chiffres, il y a des visages, des familles qui ont perdu parfois jusqu'à quatre de leurs membres et il y a surtout ce sentiment d'impuissance face à la folie meurtrière de ces kamikazes que rien ne semblent pouvoir arrêter.

Voici maintenant plus de trois semaines, le médiateur américain présent dans la région, le général Antony Zini, arrivait à Jérusalem pour imposer un cessez-le-feu (le quatrième s'il avait été signé) et la mise en application de l'accord Tenet. À la suite des pressions de Washington, Sharon avait retiré ses troupes des Territoires et accepté les conditions du cessez-le-feu. Les Palestiniens, de leur côté, voulaient entamer au plus vite des négociations politiques et sauter à pied joint sur l'accord Tenet qui exigeait, entre autres, le démantèlement des réseaux terroristes. Arafat a préféré, encore une fois, repousser poliment la proposition et attendre que les événements suivent leur cours. L'événement a eu lieu et il fut dramatique : le soir de la Pâque juive, lors du repas le plus solennel de l'année, un kamikaze se faisait exploser tuant 25 personnes et en blessant plus de 120. Ce soir là, la guerre était déclarée.

Logique de haine. Le choix de Sharon de répondre par une guerre en bonne et due forme est logique mais parfaitement inutile et dangereuse. Conquérir à nouveau les Territoires est le meilleur moyen d'entraîner toute la région dans un conflit qui s'alimentera par lui-même tout seul. Sharon est sans doute sincère lorsqu'il dit vouloir éradiquer le terrorisme dans ses fondements. Mais lui aussi a la mémoire bien courte. Durant la première Intifada, Tsahal qui était dans les Territoires, a échoué dans cette mission. Comment pourrait-il réussir aujourd'hui en quelques semaines ? Le résultat risque d'être inverse : provoquer de nouveaux kamikazes et susciter encore plus de haine.

Les chars israéliens dans les rues de Ramallah et de Naplouse sont le signe de la faiblesse de Sharon et non de sa force. Il a pris un risque énorme en décidant l'opération " Mur de protection ". À l'heure où j'écris, le Hezbollah vient encore d'attaquer la frontière Nord d'Israël et si les ripostes de l'armée israélienne restent pour l'heure sporadique, la logique de guerre devrait entraîner le retour de Tsahal au Sud-Liban et l'emballement de la logique de guerre.

Les manifestations, parfois violentes, contre l'État juif dans les pays arabes ne sont pas faits pour rassurer même si leurs dirigeants ne sont pas prêts à se lancer dans un conflit pour les beaux yeux d'Arafat.

Le Président de l'Autorité palestinienne, que les Israéliens tiennent prisonnier à Ramallah, a mal estimé la situation : il pensait que Sharon n'oserait aller jusque là. Pour la première fois depuis vingt ans, il est en réelle situation de danger. Les deux hommes se haïssent et en voulant régler leurs comptes, ils font payer la facture à leur peuple. Les images terribles que l'on voit à la télévision sur les opérations de Tsahal ne sont que la pointe de l'iceberg. Les populations civiles sont terrifiées et les bruits les plus alarmistes se propagent dans les Territoires.

Guerre médiatique. Enfin, cette guerre est d'abord et avant tout, une guerre médiatique où la désinformation et la propagande ont leur place ainsi que les partis pris simplistes.

Mardi dernier, une agence de presse italienne racontait avec des détails surprenants l'assassinat d'un prêtre salésien par Tsahal alors qu'il célébrait la messe. Le gouvernement de Berlusconi a immédiatement demandé des explications au ministère des Affaires étrangères israéliens. Le prêtre en question est sain et sauf ainsi que les religieuses qui l'entouraient ; personne n'est capable de dire d'où est partie la rumeur. Des dizaines d'informations plus ou moins douteuses circulent chaque jour qui rendent la tâche des journalistes particulièrement difficile, d'autant qu'ils sont interdits de séjour dans certains secteurs où se déroulent les combats.

De plus, certaines informations sont passées à la trappe par de nombreux médias : les attentats dans les colonies juives ou contre des colons sont oubliés, les exécutions sommaires de Palestiniens accusés d'avoir collaboré avec Israël n'ont pas été mentionnées par la plupart des médias... Il est donc facile de ne voir dans le Palestinien qu'une victime sans tache et dans l'Israélien qu'un bourreau.

Dans cette guerre, les deux peuples sont des victimes mais nous sommes tous responsables. Gardons-nous bien de condamner l'un pour justifier l'autre. À Jérusalem comme à Bethléem, il y a des gens croient encore que l'entente et la paix sont possibles.

Jean-Marie Allafort est correspondant de Décryptage à Jérusalem.