Article rédigé par Hélène Bodenez, le 04 décembre 2009
Le procès de l'Internet a-t-il commencé ? Les dérives de la Toile font de plus en plus la une des grands quotidiens. Les griefs s'accumulent et les chefs d'accusation se font chaque jour plus lourds. Le Nouvel Obs (1er décembre) les passe en revue : Vol en bande organisée, atteinte à la vie privée et diffusion de fausses nouvelles...
L'hebdomadaire cite le cas de ces dirigeants politiques, brocardés sur le web et peu habitués à faire les frais d'une immédiateté désarçonnante. Ainsi en est-il de Brice Hortefeux se défendant de sa sortie jugée raciste, ou de l'affaire Jean Sarkozy qui a enflammé les internautes. Henri Guaino quant à lui stigmatise cet outil d'une transparence absolue , y voyant même un début de totalitarisme . Pour Jean-François Copé, c'est un danger pour la démocratie .
Le philosophe Alain Finkielkraut avait pour sa part qualifié depuis longtemps le web de poubelle de la démocratie . On se souvient notamment de ses propos virulents à l'égard du site de notation des professeurs note2be.com actuellement en position d'attente (un communiqué remontant à l'été 2009 n'a-t-il pas annoncé que le nom de domaine note2be.com a été cédé à une société brésilienne ?
L'auteur d'Un cœur intelligent (Stock-Flammarion) rejoint sur ce point un autre intellectuel, le spécialiste de la médiacratie Régis Debray. Dans un débat avec Jacques Julliard, il avait déploré qu' avec Internet, nous assistions à l'apparition d'une opinion tout à fait insolite, réticulaire et disséminée qui ne répond plus à un système hiérarchique et centralisé . Pour l'auteur de l'Obscénité démocratique (Flammarion), le risque de déstabilisation était considérable. Il ne craignait rien moins qu'une démocratie plébiscitaire, assouplie par l'image et quotidiannisée par les sondages , autrement dit une dictature de l'émotion et de l'impression .
Et pour en finir avec ce tour d'horizon des ressentiments à l'égard du web, osons une facétieuse devinette. Qui a dit : Internet est la plus grande saloperie jamais inventée ? Un rétrograde qui ne comprend rien à la Modernité ? Que nenni... Et bien, c'est Jacques Séguéla, le grand prêtre de la publicité des temps modernes.
Comment s'y prendre ?
Oui, il faudra s'y faire. La planète Internet est là, vaste espace de liberté sans limite, qui déstabilise par ses façons intrusives de dire les choses et de porter les coups. C'est à double tranchant et le vieux monde ne sait pas trop comment s'y prendre avec ce nouvel outil pas comme les autres : comment faire face, comment éduquer, comment protéger, comment laisser dire, comment s'habituer aussi à voir la vérité — ou le mensonge — surgir d'où on ne l'attend pas ?
Du coup, certains parlementaires se mobilisent. C'est le cas du député Jacques Myard (UMP, Yvelines) qui entend lutter contre les dérives de l'Internet : la toile constitue un fabuleux espace de liberté, de communication et de transmission de connaissances , mais c'est aussi un lieu d'escroqueries, de trafics et de manipulations en tous genres . À l'appui de sa démonstration, il cite trois ou quatre courriels de contrefaçon des sites de sa banque ou du Trésor public, qui l'invitent à aller vérifier ses données confidentielles.
Au gouvernement, il demande : Où en sont les créations de services de police spécialisée, qu'a-t-on demandé aux fournisseurs d'accès en termes de mise en garde des internautes, où en est enfin la coopération internationale ? Dans sa réponse, Brice Hortefeux en rajoute même sur les dangers de l'Internet, comme les faux e-mails, les vols de numéros de carte bancaire, le trafic de stupéfiants, l'apologie du racisme, la pédo-pornographie, le terrorisme :
Face à ces nouveaux dangers, nous avons entrepris de moderniser nos méthodes d'investigation. C'est ainsi qu'une nouvelle plateforme a été créée, composée de policiers et de gendarmes. Au cours de ses dix premiers mois d'existence, elle a reçu près de 43 000 signalements, dont 48 % concernent des escroqueries et 29 % des atteintes aux mineurs. Cette année, une nouvelle forme d'investigation a vu le jour : la cyberpatrouille. Plus de 315 contacts ont pu être établis entre les cyberpatrouilleurs, policiers et gendarmes, et des prédateurs sexuels potentiels. À ce jour, treize personnes ont déjà été déférées devant la justice.
Le ministre promet de muscler les dispositifs existants. Nous avons ainsi l'intention de permettre le blocage des sites proposant des images et des représentations de mineurs à caractère pornographique. Ce sera une première. Effort méritoire, mais n'est-ce pas une goutte d'eau dans un océan ?
Le tourment de l'éducateur
On peut toujours remettre les thèmes sécuritaires sur le devant de la scène mais quelle cohérence sur le long terme ? Le député Myard cherche-t-il d'ailleurs vraiment la cohérence ? Lui si vétilleux tout à l'heure ne s'engage-t-il pas maintenant dans la politique de l'ouverture des jeux en ligne ?
Faute de pouvoir capter la manne financière d'un Las Vegas à Paris qui ne voit pas le jour, le gouvernement le crée sur internet ! Avec des arguments qui sont autant d'écrans de fumée pour se dédouaner : lutter contre les sites illégaux qui ponctionnent l'argent des joueurs au détriment de la fiscalité d'État, maîtriser l'offre des jeux, éviter la fraude.
Il n'a échappé cependant à personne que les retombées économiques d'un tel choix pour l'État sont plus qu'intéressantes, entre courses hippiques, casinos et sport... On a beau faire des effets de manche pour assurer que le système visera à instaurer de la cohérence en organisant le blocage des sites de jeux illégaux, le règlement des opérateurs, le suivi des paiements, mais aussi la protection des mineurs, des consommateurs, qu'on veillera aux problèmes de dépendance... comment croire à la moralisation de l'Internet quand on déroule un tapis rouge aux jeux en ligne, l'un des pires vecteurs d'addiction qui soient sur la Toile ?
Le tourment de l'éducateur se fait chaque jour plus aigu pour tenir la ligne de crête de la formation de l'esprit, intelligence et cœur, dans le monde qui est le nôtre : comment ses avertissements peuvent-ils être reçus, quand l'autorité publique tient un double langage ?
Heureusement, nous sommes dans le temps de la prise de conscience. On admet que l'Internet a ses périls. Les plaisirs virtuels ne sont pas sans dangers réels. Les prises de risque se paient cher parfois. L'enjeu éducatif se fait plus urgent que jamais. L'Internet a-t-il besoin de son aggiornamento ? difficile à dire, mais ce qui est sûr, c'est qu'une révolution éthique du multimédia s'impose d'urgence.
***