Article rédigé par La Fondation de service politique, le 02 mai 2002
Les Français ont l'habitude de se glorifier de leur système public, qui était performant à une époque ou il fallait reconstruire le pays et où les économies restaient très nationales. Mais il n'est plus adapté.
Il est temps que la France qui a adopté l'euro s'adapte à l'euro. Il est temps de passer des rapports à la réforme. Il est temps de passer d'un État au crochet de la croissance à un État au service de la croissance.
On peut toujours décréter les 35 heures mais pas la réduction de moitié du taux de chômage, imposer des taxations mais pas éviter les délocalisations, promettre une croissance de 2,5 ou 3 % mais pas sa réalisation... Le temps n'est pas à la mort de l'État. Des attentats du 11 septembre à la crise de la vache folle en passant par les zones de non droit dans certains quartiers de nos villes, les demandes se font pressantes pour plus de sécurité qui rappellent à l'État son devoir de revenir à son "cœur de métier" (défense, police, justice, solidarité, santé publique). Mais il doit cesser de faire la politique sociale à la place des partenaires sociaux, de prendre des initiatives locales à la place des collectivités locales, de produire à la place du secteur productif.
Courteline est mort. Avec l'internet, le Marché unique, la mondialisation des entreprises et des marchés, l'accélération du temps économique, tous les pays ont engagé la réforme pour un État moins dépensier et plus efficace. Tous les pays sauf la France. Celle-ci, déjà sur-administrée avec 9,5 fonctionnaires pour 100 habitants, contre un peu plus de 6 pour la moyenne européenne, augmente toujours ses emplois publics. Faire mieux avec moins est possible, en mettant à profit les échéances démographiques (la moitié des fonctionnaires partiront en retraite d'ici dix ans) pour alléger et simplifier la fonction publique. En exploitant toutes les ressources de l'informatique et d'internet pour une exécution plus efficace et à effectifs réduits des tâches de gestion et de traitement des dossiers (impôts, sécurité sociale). En réservant le statut aux seuls emplois de puissance publique. En introduisant transparence et responsabilité dans la gestion des finances publiques sur la base de critères d'efficacité, avec des objectifs et des normes de performances pour les agents et les gestionnaires.
Simultanément, ayons le courage de tourner la page d'un État providence à bout de souffle pour ouvrir celle d'une protection sociale moderne : voilà vingt ans qu'on apporte les mêmes réponses, avec la même inefficacité... Soit des ajustements à la marge : le dessein initial de " construire " la Sécurité sociale est devenu celui de la " consolider " dans les années 70-80, et maintenant de la " sauver ". Soit des appels à la solidarité, qui font coexister Resto du cœur et augmentation continu de l'effort social de la nation qui dépasse aujourd'hui 3000 milliards de francs. Soit la multiplication des emplois publics subventionnés. Soit toujours plus de ponctions sur les agents économiques directement exposés à la concurrence (CSG, CSB, CRDS). Soit le dérapage continu des dépenses de l'assurance-maladie, l'un systèmes qui coûtent le plus cher en Europe, sans résultat meilleur. Soit en niant les problèmes sur le mode "on a le temps", comme pour les retraites... La refondation de la protection sociale vise précisément à rassurer les Français, limiter les coûts collectifs et préserver l'avenir de notre système de répartition en respectant les principes fondateurs de notre sécurité sociale : solidarité et universalité, responsabilité des acteurs, liberté de choix d'affiliation, efficacité du système de soins, préparation des retraites, égalité de traitement. Les partenaires sociaux ont pris leur responsabilité. Il reste à l'État à prendre les siennes, notamment dans ce domaine crucial des retraites : réduire de 15 % le déficit des régimes spéciaux des fonctionnaires actuellement à la charge du Budget de l'État (210 milliards de francs en 2002), permettrait de doubler le budget du ministère d la Justice?
Mettre la fiscalité au cœur de la stratégie de croissance, moyen autrement plus efficace de " lutter contre les inégalités " que la priorité exclusivement redistributrice de la fiscalité. Les années 80 et 90 ont été dans tous les grands pays concurrents des années de révolution fiscale de grande ampleur (allègement des prélèvements et des codes). Sauf la France où les prélèvements publics se sont alourdis. L'écart avec la moyenne européenne représente quelque 76 milliards d'euros, soit 1220 euros par Français. La compétition fiscale en Europe est en marche, et la France n'en est pas. Le "Big bang" de la réforme allemande dans le ciel fiscal européen ne permet plus d'attendre : quand son premier concurrent décide, avec une majorité "plurielle", d'ordonner toute sa stratégie fiscale au développement de l'emploi, des investissements, et à l'encouragement du travail et de l'effort, notre pays commet une faute grave de ne pas en tirer les conséquences vite et fort : il ne peut y avoir de croissance durable de l'activité et de l'emploi en France sans une fiscalité eurocompatible dans toutes ses composantes.
Besoin d'épargne ? Alors pourquoi cette opposition d'un autre âge entre imposition du capital et imposition du travail, comme si la grande majorité de l'épargne des Français n'était pas nourrie des revenus de leur travail déjà imposé, et pourquoi une double taxation des dividendes et de l'épargne retraite (entrée et sortie) ? Besoin d'emplois très qualifiés ? Alors pourquoi un euro net d'impôt et de charges pour un chercheur, un spécialiste de salle de marché ou un informaticien de haut niveau coûte-t-il à l'entreprise jusqu'à deux à trois fois plus cher en France que dans d'autres pays européens ? Besoin d'entreprises plus nombreuses, plus solides et plus grandes ? Alors pourquoi un taux marginal le plus élevé sur le revenu, sur les bénéfices, une taxation sur les salaires qui n'existe nulle part ailleurs, une triple imposition du patrimoine, une fiscalité dissuasive sur les plus-values ? Chaque euro de prélèvements restitué aux agents économiques, c'est plus de confiance des entrepreneurs, plus croissance du pouvoir d'achat, plus d'attractivité de notre sol, plus d'incitation au travail... et plus de manne à redistribuer !
Bref, il faut penser l'action publique comme un levier de croissance, le contraire de ce qui a été fait ces dernières années ! Pourquoi toujours alourdir un maquis de textes qui encaquent déjà l'activité économique ? Pourquoi toujours sacrifier les budgets d'investissement pour laisser mieux filer d'autres dépenses totalement improductives, sinon contre-productives ? De 1997 à 2001, l'État a payé 60 milliards de plus pour les 35 heures et les régimes spéciaux — 2 fois le budget du ministère de la Justice ! — mais en même temps réduit ses dépenses d'infrastructure ? Pourquoi continuer de dépenser toujours plus pour un système éducatif aux performances qui stagnent depuis 20 ans, avec des effectifs scolaires en baisse, et au détriment de l'enseignement supérieur (la France est un cas rare sinon unique rare où un étudiant coûte moins cher qu'un élève) ? Pourquoi ne pas définir une stratégie globale pour entrer de plain pied dans la nouvelle économie, à l'instar des autres pays européens (mobilisation de la recherche publique, logistique, éducation et formation) ? La France a été déclassée du 1er au 5e rang européen dans l'étude consacrée au e-gouvernement par le cabinet Accenture. Et pourquoi attendre pour rompre avec le mythe des services publics " à la française ", incompatible avec le Marche unique et le développement même de ces entreprises, dont les performances conditionnent celles du système productif.
La semaine prochaine : " La France à la croisée des chemins "
Gérard de Lavernée est économiste.