Article rédigé par Georges Berthu, le 27 juin 2003
Le projet de Constitution européenne préparé par la Convention comprend certains points positifs, mais de portée limitée (simplification, progrès de la différenciation...). Ces améliorations ne doivent pas masquer l'orientation principale vers le renforcement de la supranationalité , qui montre que les institutions bruxelloises ont su finalement dominer assez bien la Convention.
Elles ont fait passer les dernières dispositions qui manquaient au super-État européen, parmi lesquelles l'idée de "constitution" elle-même. Cette orientation va produire un résultat exactement opposé à celui recherché par le mandat donné par le conseil de Laeken : elle va éloigner l'Europe des citoyens au lieu de la rapprocher. D'autant que s'y ajoutent, comme d'habitude, quelques réformes complexes de la mécanique institutionnelle.
Il faut noter en premier lieu les innovations positives, malgré leur faible portée.
Nous évoquerons dans de prochains articles l'architecture générale du projet avec la mise en place d'un État supranational (II) ; les réformes discutables et complexes de la mécanique institutionnelle (III) ; les mesures qui auraient rétabli le contact avec les citoyens (IV).
La simplification
Le texte du projet de Constitution, du moins pour sa partie I (principes généraux), sa partie II (Charte des droits fondamentaux) et sa partie IV (dispositions générales et finales), se présente sous forme d'un document assez facile à lire, qui met bien en évidence les règles principales de l'Union.
Toutefois, cette simplification reste de portée limitée car la partie III, qui décrit les politiques de l'Union, est nettement plus compliquée. Et surtout, la simplification ne doit pas s'apprécier uniquement en termes rédactionnels. Il faut savoir si les institutions elles-mêmes sont plus facilement accessibles à la compréhension du public. Sur ce point, comme on le verra plus loin, notre appréciation est négative.
Tout au long de la Convention, les fédéralistes ont baptisé "simplification" l'unification des piliers, la généralisation de la majorité qualifiée, "l'universalisation" des compétences du Parlement européen. C'était à tel point que l'on pourrait résumer ainsi leur mot d'ordre : "le super-État, c'est plus simple !"
Or c'est là une grave erreur. La simplification formelle est importante, mais ce n'est pas tout. Encore faut-il qu'elle corresponde à la nature de l'Europe, qui est celle d'une pluralité de nations. Sinon, la simplification contre-nature aboutit à limiter ou supprimer l'expression des démocraties nationales, et engendre des maux bien plus graves que ceux qu'elle veut combattre. Comme la suite de cette analyse va le montrer, on peut penser que le projet de la Convention est tombé dans ce défaut.
La différenciation
Alors que la première communication de la Commission, en mai 2002, était fondée tout entière sur la référence d'un modèle unitaire des institutions européennes, les discussions au sein de la Convention ont au contraire fait progresser la notion de différenciation. Il s'agit de cette idée simple, que nous défendons depuis longtemps, selon laquelle une Europe à 25 ou 30 membres ne pourra pas obéir à un modèle unitaire où tout le monde fait la même chose en même temps. Une Europe à 30 membres est forcément plus hétérogène qu'une Europe à 6 membres, et pour prendre en compte cette hétérogénéité, il n'y aura pas d'autre moyen que de mieux tenir compte des besoins des nations, et d'accepter la géométrie variable.
Bien entendu, la Convention ne va pas aussi loin. Mais elle a sans doute commencé à comprendre l'enjeu en assouplissant la possibilité de création des coopérations renforcées, en admettant l'idée que l'euro ne s'appliquera pas à tout le monde avant longtemps, et en ouvrant la possibilité de toutes sortes de nouvelles coopérations différenciées ("coopérations structurées", "coopérations plus étroites"...).
On ne peut pas dire maintenant si ces coopérations différenciées seront un succès, car elles restent assez contraignantes, même sous cette forme. Néanmoins, l'idée de géométrie variable progresse, et avec elle l'idée que les démocraties nationales ne doivent pas entrer forcément dans le même moule.
Les adhésions à l'Union
L'actuel article 49 TUE prévoit que "tout État européen qui respecte les principes énoncés à l'article 6, paragraphe 1, peut demander à devenir membre de l'Union". Ces principes sont : la liberté, la démocratie, le respect des droits de l'homme et l'État de droit.
L'article I-57 du projet de Constitution (à rapprocher de l'article I-3) renforcerait ces prescriptions, puisqu'il s'agit maintenant de respecter des "valeurs" qui comprennent, outre les "principes" précédents, le respect de la dignité humaine, l'égalité, le pluralisme, la tolérance, la justice, la solidarité et la non-discrimination. Autrement dit, le projet de Constitution élève la barre que devraient franchir les futurs candidats - on pense ici bien sûr à la Turquie.
La procédure d'admission est légèrement modifiée, et fait apparaître une "information" des Parlements nationaux dès le dépôt de la demande du candidat. C'est mieux, mais toujours imparfait, car il aurait fallu dire clairement que les Parlements nationaux interviennent activement dès le début du processus, en autorisant l'ouverture des négociations d'adhésion. Rien ne serait plus normal, puisque c'est eux qui devront ratifier l'adhésion finale (le projet de Constitution leur conserve ce droit).
Le droit de sécession
L'article I-59 sur le "retrait volontaire de l'Union" est une innovation heureuse, puisqu'il peut montrer que les démocraties nationales gardent toujours le dernier mot. Toutefois, il faut apporter deux réserves majeures :
1/ il ne répond qu'à quelques problèmes ponctuels et exceptionnels. Mais ce n'est pas la situation la plus courante : les pays ne peuvent pas menacer de quitter l'Union chaque fois qu'apparaît une divergence sur un texte quelconque. Le vrai problème, c'est celui de la démocratie dans la vie quotidienne de l'Union. Or il n'est toujours pas résolu par la "Constitution". Pis encore, on peut se demander si l'introduction du droit de sécession ne va pas servir à le masquer : "Si vous n'êtes pas content, vous pouvez partir..." ;
2/ dans la pratique, la procédure de retrait décrite par l'article I-59 est quasiment impossible à mettre en oeuvre si les autres partenaires sont réticents. Ils peuvent en effet faire traîner l'accord de retrait pendant deux ans, ou plus dans certains cas, de sorte que, avec quelques pressions psychologiques, le pays demandeur risque fort de changer d'avis. On peut même se demander si, dans ces conditions, le nouvel article n'est pas plus pervers que l'actuelle absence de règles.
Georges Berthu est membre du Parlement européen.
Prochain article :
II- Architecture générale : la mise en place d'un super-État supranational
Lisez le texte du projet de traité instituant une constitution pour l'Europe
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