Article rédigé par Rocco Buttiglione, le 12 novembre 2004
[Rome, Wall Street Journal] - George W. Bush a conclu son discours de victoire d'élection par God bless America. Il est probable qu'au Parlement européen, le président des États-Unis serait considéré inapte à son travail en raison de ses convictions religieuses.
Pire encore pour les législateurs européens, il n'a pas honte d'exprimer ses convictions aussi clairement et aussi publiquement.
Si vous considérez que la réélection victorieuse de M. Bush vient pour partie de ses positions fermes sur les valeurs de la famille et sur d'autres questions morales, il devient évident que l'Europe et les États-Unis divergent non seulement sur la politique étrangère mais également sur leur vision de la société démocratique et du rapport approprié entre éthique et politique.
Un des pères fondateur de l'Amérique, Alexander Hamilton, était convaincu que ces nécessaires valeurs politiques ne pouvaient pas se produire elles-mêmes et devaient compter sur d'autres institutions (principalement les Églises) pour nourrir les vertus civiles. L'État a pu donc ne pas favoriser une Église en particulier mais a dû maintenir une attitude positive à l'égard de la religion en général. Jean-Jacques Rousseau, au contraire, a pensé que l'État a besoin d'une religion civile propre, que les Églises existantes devaient reconnaître en intégrant ses commandements dans leur théologie. Beaucoup d'érudits voient dans cette idée de Rousseau le principe générateur du totalitarisme. La tradition de Rousseau et des jacobins a survécu en Europe sous des formes moins virulentes que par le passé, mais c'est la partie figée du paysage politique et idéologique européen.
Cependant, ces différentes approches philosophiques de la religion et de la politique ne nous livrent pas toute la vérité. Dans les années 1960, l'Europe et les États-Unis ont vécu une période culturelle qui a déprécié les valeurs traditionnelles, voulant préparer la jeune génération à un monde dans lequel la responsabilité individuelle, le dévouement et d'autres vertus du passé ne seraient plus utiles. Dans ce monde, personne n'aurait plus besoin de convictions morales. Ce serait un monde aux ressources sans limites. Personne n'aurait besoin de peiner pour son pain. Malheureusement, ce lendemain n'est pas venu. Ce qui est venu, au contraire, c'est l'effondrement du communisme. Nous habitons toujours un monde dans lequel nos ressources sont limitées, nous devons travailler dur pour partager, nous avons besoin du soutien d'une famille et nous avons besoin des vieilles vertus traditionnelles qui avaient été aussi facilement congédiées.
Les Américains ont pris conscience de cette situation plus tôt que les Européens. Ceci est une autre explication de la différence entre les deux rives de l'Atlantique. Mais nous pouvons prévoir également en Europe un aussi rapide changement d'attitudes. Notre économie laborieuse et notre société vieillissante peuvent survivre et se moderniser si et seulement si nous retrouvons certaines des valeurs du passé – et parmi elles l'éthique courageuse et protectrice de nos pères et mères.
Il est difficile d'accepter cela en Europe parce que nos intellectuels ont toujours été convaincus que la modernité entraînerait elle-même l'extinction de la foi religieuse. Maintenant l'Amérique, le pays le plus avancé du monde, nous montre que la religion peut être et est en effet un élément fondamental d'une société libre et d'une économie moderne.
*Rocco Buttiglione est ministre italien des Affaires communautaires.
©Wall Street Journal, traduction Décryptage.
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