Article rédigé par Jean-Yves Naudet, le 19 septembre 2003
À l'occasion de la présentation du budget 2004, un débat s'est instauré sur la nécessité ou non d'une nouvelle baisse des impôts. Certains s'inquiètent, à juste titre, du déficit budgétaire, trouvent la mesure inopportune et préfèrent attendre un redémarrage de la croissance.
D'autres pensent au contraire qu'il faut baisser au plus vite les impôts pour faire redémarrer la croissance.
L'analyse économique peut aider à répondre à cette question. Et elle nous apprend qu'il est urgent de baisser les impôts, mais pas pour les raisons que l'on indique, ni de la façon dont on le fait.
Il est urgent de baisser les impôts et les prélèvements obligatoires en général, parce que la pression fiscale et parafiscale est insupportable en France : avec plus de 45% du PIB en prélèvements obligatoires, la France est en tête des grands pays et ce chiffre représente plus de 50% du revenu des Français. Autrement dit, en moyenne, nous travaillons en gros jusqu'au 14 juillet pour l'État ou la Sécurité sociale, et nous ne commençons à travailler pour nos familles qu'à partir de la mi-juillet. C'est pour le moins impressionnant. Jamais la France ne tiendra dans la compétition internationale avec un tel niveau de fiscalité.
Mais pourquoi faut-il baisser les impôts ? Beaucoup, dans une logique keynésienne - y compris le gouvernement - expliquent que cela augmente le revenu disponible des ménages et donc que cela les incitera à consommer plus. Cela est loin d'être certain et il est possible qu'au contraire les ménages épargnent plus. De toutes façon, il y a des dizaines d'années que l'on sait - pas seulement par la théorie économique, mais aussi par l'expérience - que la relance keynésienne par la demande, cela ne marche pas : l'expérience de 1981 nous en a assez apporté la preuve.
Et pourtant il faut baisser les impôts et en particulier les taux d'imposition les plus élevés, par exemple ceux de l'impôt sur le revenu ou encore de l'impôt sur les sociétés. Il n'est pas acceptable d'avoir un taux marginal de prés de 50%, auquel il faut encore ajouter 10% de CSG et CRDS : aucun pays développé n'atteint ce seuil de spoliation. S'il faut baisser les impôts, c'est pour agir sur l'offre, selon la courbe de Laffer : il faut provoquer un sursaut de la production, donc de l'emploi, en stimulant l'incitation de chacun d'entre nous à travailler plus, entreprendre, créer, investir, etc. C'est pour cela que la baisse des impôts s'impose : pour provoquer un électrochoc qui s'adresse aux incitations à produire et entreprendre et donc pour créer des richesses nouvelles pour le bien de tous. Ce n'est pas un cadeau aux riches - et d'ailleurs diminuer les impôts n'est pas un cadeau, mais consiste à rendre à chacun ce qu'il a légitimement gagné par son travail. Mais parce que l'on aura réduit les tranches les plus élevées de l'impôt (souvent plafonné à l'étranger en dessous de 40%), les plus dynamiques créeront des richesses et des emplois qui bénéficieront à tous, à commencer par les chômeurs : ce n'est pas un cadeau aux riches, c'est une incitation à créer pour le bien de tous.
Mais il ne faut pas non plus baisser les impôts de la façon dont on le fait actuellement : une baisse de 3% ne signifie pas grand-chose ; ce qui importe, c'est de savoir à combien passe la tranche d'imposition puisque c'est elle qui détermine nos comportements. Mais il ne faut surtout pas brouiller le message par des hausses de taxes, comme on en observe sur le tabac ou le carburant, ou par des hausses d'impôt locaux ou de cotisations sociales : les ménages et les entreprises n'y comprennent alors plus rien et la communication du gouvernement en est brouillée.
Mais surtout une baisse des impôts faite comme celle du budget 2004 n'est pas acceptable parce qu'elle accroît excessivement le déficit budgétaire. 4% du PIB, c'est trop, non par rapport aux règles de Maastricht, mais par rapport aux équilibres économiques. 4% du PIB cela représente 20% du montant du budget, soit beaucoup plus que le montant des équipements publics. En clair, on emprunte pour financer les dépenses de fonctionnement. C'est inadmissible et d'ailleurs interdit dans de nombreux pays comme la Grande-Bretagne (le déficit ne peut dépasser le niveau des investissements publics).
On oublie trop souvent qu'un déficit signifie un emprunt supplémentaire. Or la dette publique dépasse les 60% du PIB. Elle est de l'ordre de 1000 milliards d'euros, soit environ 15000 euros par Français. Cela veut dire que nous nous comportons en irresponsables en faisant peser cette dette sur les épaules de nos enfants, qui devront la rembourser dans quinze ou vingt ans. Comme nous leur avons transmis aussi la charge des retraites, par refus de la capitalisation, que dira la future génération de la nôtre ? En outre, la charge des intérêts devient désormais l'un des plus gros postes budgétaires (plus de 12% du budget), ce qui accentue la dérive des comptes publics.
Mais comment peut-on concilier baisse des impôts et réduction du déficit - donc de la dette publique ? La seule solution consiste à réduire les dépenses publiques. Il n'y en a pas d'autres si l'on veut sortir de ce cercle infernal. Des opportunités existent, par exemple du fait du départ en retraite de nombreux fonctionnaires. Le gouvernement avait envisagé de n'en remplacer qu'un sur deux. C'était un premier pas sage et raisonnable. Il a changé d'avis sous la pression syndicale et la réduction du nombre d'emplois publics sera trop faible. Dans ces conditions, notre redressement est encore compromis pour l'année 2004. Il serait pourtant grand temps de songer à revenir à la raison et en particulier de cesser de sacrifier la génération future.
Évidemment, la baisse des dépenses publiques impose quelques réformes de structures : certains services doivent être privatisés ou ouverts à la concurrence, pour alléger le secteur public ; un vent de réforme doit souffler sur l'administration. Les autres pays l'ont fait. Il est temps pour nous de regarder ce qui se passe en dehors de l'hexagone et d'en finir avec la douloureuse exception française. Cela implique en fait de cesser de penser à l'élection suivante, mais de songer à la génération suivante. C'est aussi cela le bien commun : le refus du court terme et le souci de la génération future.
Jean-Yves Naudet est professeur à l'Université d'Aix-Marseille III, président de l'Association française des économistes catholiques.
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