Article rédigé par Cardinal Philippe Barbarin, le 04 mai 2007
Dans un entretien qui vient de paraître dans l'hebdomadaire Famille chrétienne (5 mai), le cardinal Philippe Barbarin évoque la possibilité de l'objection de conscience de l'électeur chrétien aux candidats à l'élection présidentielle : Une telle situation peut se présenter ou s'imposer à la conscience d'un électeur.
Il pose alors l'acte politique de ne pas voter ou de voter blanc. Mais il faut qu'il sache que, de toute façon, l'un des deux candidats sera élu. Faire le choix de l'objection de conscience, c'est encore porter une part de responsabilité et estimer que les deux candidats sont également et gravement inadéquats à cette responsabilité, ce qui est à bien réfléchir. Le texte intégral de l'entretien est accessible sur le site du diocèse de Lyon. Nous publions ici l'intervention du cardinal primat dans Église à Lyon (I-2007), paru sous le titre : 2007 sera une année d'échéances électorales majeures.
P:first-letter {font-size: 300%;font-weight: bold;color :#CC3300; float: left}LA PRESIDENTIELLE et les législatives occupent déjà la première place dans les media, et cela va durer plusieurs mois. De fait, l'enjeu est important, car il touche la vie sociale et l'équilibre politique de notre pays. Les disciples du Christ prennent leur place dans ces débats, et beaucoup s'y engagent personnellement. Ils apportent leur contribution à la réflexion commune et, dans le secret ou dans les rassemblements communautaires, ils prient à cette intention. Les évêques de France ont écrit, il y a deux mois déjà, un texte intitulé Qu'as-tu fait de ton frère ?, qui parcourt l'ensemble des questions et y porte un regard chrétien.
En tant qu'institution, l'Église garde une certaine distance par rapport à la campagne, tout en y étant attentive, car sa mission est de servir la société, et tout ce qui touche l'homme la concerne. Une phrase de Benoît XVI, tirée de l'encyclique Dieu est amour, peut lui servir de boussole en ce domaine : L'Église ne peut ni ne doit prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible. Elle ne peut ni ne doit se mettre à la place de l'Etat. Mais elle ne peut ni ne doit non plus rester à l'écart de la lutte pour la justice. Elle doit s'insérer en elle par la voie de l'argumentation rationnelle et elle doit réveiller les forces spirituelles sans lesquelles la justice, qui requiert aussi des renoncements, ne peut s'affirmer ni se développer... Pour le bien commun
Notre témoignage de chrétiens peut être en ce moment d'énoncer les points qui nous paraissent les plus importants pour le bien commun, pour la bonne marche de notre pays et son avenir, et d'expliquer pourquoi.
Nous avons par exemple besoin d'un État fort qui ne se laisse pas influencer par la pression des lobbyes et qui organise la vie commune. À la base de la vie sociale, il y a le respect de la vie humaine et la famille. Le Code civil lui-même énonce cet engagement majeur : La loi garantit le respect de l'être humain dès le commencement de la vie. Comment se fait-il que depuis trente ans, on permette tant d'exceptions à cet article ? Pour l'instruction des enfants et l'éducation des jeunes à la liberté, l'attente est grande, aussi bien dans les familles que dans le corps social. Personnellement, c'est une grâce que je demande au Seigneur : le renouveau des congrégations vouées à l'éducation ou l'apparition de nouvelles initiatives en ce domaine.
Un second point est celui du travail et de sa juste rémunération. Tous les partis sont attentifs à la souffrance que représente le chômage. C'est justice que chacun trouve sa place dans le service et la construction de la société. Pour cela, il faut s'opposer à un capitalisme qui deviendrait purement financier.
La question de l'immigration demande aussi un nouveau positionnement. Elle appelle des mesures intérieures pour assurer la possibilité de vivre ensemble et garantir la paix sociale. Mais elle ne sera jamais résolue si l'on ne remonte pas aux causes, au niveau d'une concertation internationale qui fasse sortir chaque pays de ses intérêts propres. Si l'on ne s'y attaque pas, le dramatique déséquilibre des ressources dans notre planète continuera d'appauvrir les pays les plus pauvres, de les priver de leurs élites, et personne ne pourra empêcher les pauvres de quitter leur pays pour tenter leur chance dans un monde occidental qu'on leur présente comme un mirage.
La sonnette d'alarme des menaces écologiques est maintenant tirée. Tout le monde comprend qu'il ne s'agit pas d'une lubie des verts , mais d'un enjeu vital pour la survie du genre humain. L'engagement écologique rencontre une forte résonance dans le cœur des croyants. Respecter la création et ne pas voler les générations futures, c'est un devoir que Dieu nous fait.
La place des Églises
Il faudrait aussi arriver à s'expliquer sur la place des Églises et des religions, dans la société. Le mot laïcité a des sens tellement variés — et contradictoires dans la bouche de ses différents utilisateurs ! La construction de l'Europe, où se mêlent des traditions diverses, peut aider la France à trouver en ce domaine un chemin nouveau.
L'influence d'un citoyen peut paraître minime, si elle se limite à son bulletin de vote. Mais l'action d'un chrétien ne saurait s'arrêter à l'accomplissement de son devoir électoral. Nul ne doit minimiser sa responsabilité. La communauté chrétienne encourage tous ses membres, en particulier les jeunes, à s'engager dans la chose politique (res publica). Le Pape Pie XI nous a éclairés en affirmant que l'engagement politique est la forme suprême de la charité.
Pour autant, les chrétiens n'oublient pas qu'ils ont d'abord pour mission de toujours prier sans se décourager (Luc 18, 1). Prions donc pour les candidats aux élections présidentielles, législatives ou municipales. Ce n'est pas facile de prier pour ceux que l'on regarde comme des adversaires ou des dangers pour la vie sociale. Prions aussi pour les électeurs, afin que leur choix soit inspiré par l'amour des autres et le bien commun, plutôt que par l'intérêt personnel. Il est heureux que l'on entende ces intentions à la prière universelle, au cours de nos eucharisties ; j'espère qu'elles ont aussi place dans le secret de notre prière personnelle.
Nous avons mission de prier pour l'ensemble de la société civile, afin qu'elle vive les mois à venir comme un vrai débat où les convictions de chacun puissent être exprimées librement et dans le respect des autres. On peut prier dès maintenant pour ceux qui seront élus car les responsabilités qui les attendent sont grandes et difficiles à exercer. Les chrétiens qui assument la responsabilité de gouverner ou de légiférer ont particulièrement besoin de notre aide et de notre soutien dans leur travail. Ils sont appelés à montrer une cohérence entre leur foi et leur engagement, l'esprit de l'Évangile et le service de la société actuelle. Puissent-ils, comme dit le Concile, Mener toutes leurs activités terrestres en unissant dans une vivante synthèse tous les efforts humains, familiaux, professionnels, scientifiques ou techniques, et les valeurs religieuses, sous la haute ordonnance desquelles tout est coordonné à la gloire de Dieu [1].
+ Cardinal Philippe Barbarin,
archevêque de Lyon .
[1] Gaudium et Spes, 43. Voir aussi Questions sur l'engagement et le comportement des catholiques dans la vie politique, Note doctrinale de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, in La Documentation catholique, 2 février 2003, n° 2285.
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