Article rédigé par Jacques Bichot*, le 14 septembre 2007
Un pavé, sans aucun doute : le rapport annuel de la Cour des comptes sur la Sécurité sociale en a la taille ! Si les media ont focalisé sur un point très particulier, le régime d'exonération des stock-options, il s'agit d'un travail d'une tout autre envergure, sur lequel il faudra revenir à plusieurs reprises.
Commençons par un grand chapitre consacré à la politique familiale, qui ne se limite pas aux prestations, mais aborde également les aspects fiscaux, même si cela sort du cadre strict d'un rapport sur la sécurité sociale.
L'intitulé de ce chapitre est quelque peu paternaliste : il reprend la sempiternelle formule des aides aux familles , comme s'il n'était pas démontré que ce sont les familles qui aident la communauté nationale au-delà de ce qu'elles en reçoivent. Il serait donc bon que les magistrats de la rue Cambon reconnaissent le rôle de la famille au sein de l'économie et de la société : le capitaine Maire, au début du XXe siècle, employait la formule les familles créancières de la nation pour indiquer tout ce dont notre pays, y compris notre économie, leur est redevable. L'ouvrage que j'ai récemment écrit avec Denis Lensel, Atout famille (Presses de la Renaissance, 2007) expose cela en détail, n'y revenons pas.
Ce retard intellectuel de notre grande institution publique d'audit est en cours de rattrapage en ce qui concerne le quotient familial : la Cour indique que ce dispositif, dans son principe, n'est pas une aide, mais le moyen de réaliser l'équité fiscale entre des foyers fiscaux de tailles diverses. Sa doctrine paraît cependant encore hésitante : il n'est pas sûr à 100 % de ce qu'il avance. Mais ses remarques relatives à certaines demi-parts sont pertinentes : il existe des excroissances du quotient familial qui donnent lieu à des sortes de prestations fiscales, et qui pourraient être remplacées par des prestations classiques.
Le rapport indique justement deux types de prestations qui mériteraient d'être renforcées: toutes les prestations dites d'entretien , à commencer par les allocations familiales stricto sensu, car elles ont été revalorisées depuis 1980 seulement suivant l'indice INSEE des prix à la consommation hors tabac, alors que les salaires nets ont dépassé cet indice de 17 % et le SMIC de 34 % ;
les prestations destinées aux adolescente et jeunes adultes, dont la Cour souligne à juste titre l'insuffisance : les familles savent bien que c'est au moment du lycée et des études supérieures que les finances familiales sont le plus lourdement sollicitées. La Cour s'intéresse ensuite au supplément familial de traitement des fonctionnaires. Celui-ci, qui progresse avec le traitement, est un exemple de ce que les économistes appellent dans leur jargon l'effet Matthieu ( À celui qui a, on donnera ). Il se fait donc épingler par la Cour des comptes : on ne saurait lui donner tort. En revanche, il aurait été bon qu'elle dénonce parallèlement les conditions de ressources abusives, et se prononce en faveur de prestations quasiment toutes indépendantes des revenus. Nous en sommes, rappelle le rapport, à une grosse moitié de prestations familiales comportant des conditions de ressources, plus ou moins sévères selon les cas ; elle semble trouver que c'est excessif, mais n'insiste pas.
Notons enfin une erreur d'analyse commise par la Cour à propos des dispositions familiales en matière de retraites (bonifications d'annuités, majorations de pensions). J'ai suffisamment critiqué, depuis longtemps, les inégalités engendrées par la maladresse de ces dispositions pour ne pas reprocher à la Cour de le faire à son tour. En revanche, elle dit que ces dispositions constituent une aide différée : ce n'est pas vrai ; ces dispositions représentent une prise en compte – maladroite et insuffisante – de l'apport des familles. Elles sont éminemment contributives , puisque c'est la mise au monde et l'éducation des enfants qui constitue la vraie préparation des retraites. Nos cotisations, elles, paient les pensions versées aux retraités actuels, mais ne préparent rien pour l'avenir. Renvoyons nos bons magistrats à la lecture de Sauvy : Pas d'enfants, pas de retraites.
Si la Cour des comptes avait eu l'interprétation correcte des dispositions familiales en matière de retraites, cela lui aurait permis de compléter l'excellente analyse critique qu'elle fait du Fonds de solidarité-vieillesse. Elle montre qu'il s'agit d'une sorte de poudre aux yeux destinée à voiler une partie du déficit réel de la branche vieillesse ; elle préconise en conséquence que ce fonds soit purement et simplement réintégré dans le régime général : quel beau pavé dans la mare des gouvernements qui se sont succédé depuis vingt ans en utilisant pour tout et n'importe quoi ce fonds placé sous le patronage de la solidarité !
Cette Cour des comptes qui casse la langue de bois, qui ose dire que le roi est nu, constitue un puissant facteur de rénovation de nos méthodes gouvernementales et administratives. C'est la raison pour laquelle je lui reproche vertement ses insuffisances au niveau de la conception du rôle économique de la famille : comme dit le dicton, qui aime bien châtie bien .
*Jacques Bichot est économiste, professeur à l'Université Jean-Moulin (Lyon 3).
© Photo : DR
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