Article rédigé par Roland Hureaux, le 04 janvier 2010
Tous les ans, ça recommence. Il y a belle lurette que la messe de minuit n'est plus à minuit. Pour plus de commodité, sans doute. Mais cette commodité, il nous faut la payer cher. Jour de grande fête, les équipes liturgiques se déchaînent. Pour marquer l'évènement, il faut, selon elles, que rien ne soit comme à l'ordinaire.
Las ! Toutes les paroisses n'ont pas la logistique de Notre-Dame de Paris ou du Sacré-Cœur de Montmartre pour faire plus et mieux les grands jours. Dans les paroisses moyennes (y en a-t-il encore des petites ?), la messe est aujourd'hui précédée d'une veillée de prière d'au moins une demi-heure. Comme la messe est plus longue qu'à l'habitude, la cérémonie dure donc entre une heure et demie et deux heures. Cela dans une église mal chauffée où le public, plus large, est aussi moins recueilli que celui des dimanches ordinaires. Sans compter les temps morts qu'occasionne un protocole mal rôdé.
L'originalité à tout prix
Cette veillée, les bonnes âmes qui la préparent la veulent originale : des projections mal faites, des enregistrements réverbérés, la lecture de poèmes foireux. Faute de prêter au recueillement, tout cela exerce au moins la vertu de patience, une forme de pénitence. Ceux qui ont essayé d'emmener les enfants se disent qu'on ne les y reprendra pas !
La messe tient à peu près la route, grâce notamment aux admirables textes de l'Écriture programmés pour cette fête. Là, on n'a pas cherché la nouveauté, encore heureux. Mais c'est en vain que l'on attend de retrouver les mélopées classiques de la nuit de Noël : Il est né le divin enfant , Minuit chrétiens . Tout cela est banni par les spécialistes autoproclamés de la liturgie qui veulent l'originalité à tout prix.
À vrai dire, je suis, comme fidèle, même dans ces circonstances, doué d'une certaine patience. Et puis, c'est malgré tout du mystère de l'eucharistie qu'il s'agit.
Mais je sais que ce soir là je souffrirai mille morts en pensant à tous ceux qui, dans l'assistance, ne vont à la messe que deux ou trois fois par an, aux grandes fêtes, et qui sont à Noël la majorité du public. Ceux-là ne veulent pas de l'extraordinaire, ils veulent de l'ordinaire. Ce ne sont pas de grands mystiques : une longue cérémonie, ils s'en lassent très vite. Ils repartiront déçus.
Les messes des grandes fêtes auraient pu être l'occasion de les raccrocher. Je crains qu'elles ne soient le moyen de les décrocher. Une belle occasion est manquée. Quelque part, je souffre pour eux, j'ai honte pour eux.
La fête des enfants
Au temps où la messe était vraiment à minuit, on savait qu'il ne fallait pas la faire durer trop longtemps, d'autant que les gens des campagnes avaient quelquefois une heure de route à faire à pied dans un hiver glacial pour rentrer chez eux (je pense à la touchante évocation de la messe de minuit dans le roman d'Eugène le Roy, Jacquou le croquant).
Mais l'Église était alors vraiment pastorale , ce qui veut dire réaliste et armée de bon sens. Le Bon pasteur connait ses brebis. Il sait au moins ce qui se passe dans son église les jours de grande fête ; il sait que ceux qui viennent ces jours-là ne sont pas de grands mystiques aptes à s'adonner à la prière silencieuse pendant les temps morts, que, ne venant pas souvent, ils ne craignent pas la monotonie ; bien au contraire, ils veulent retrouver des airs connus. Le bon pasteur sait qu'un enfant ne supporte pas une cérémonie trop longue. Or Noël n'est-il pas la fête des enfants ? À quoi sert donc d'avancer l'heure de la messe dite de minuit si c'est pour en éloigner les plus petits.
Alors que faire ? Je ne sais trop comment cela est organisé. Mais il faudrait que les autorités compétentes (l'évêque, le doyen, le curé ? je ne sais) donnent des ordres stricts aux équipes liturgiques : les jours de grande fête, surtout pas de tralala, ne pas oublier que ce n'est pas le public habituel qui vient et que pour cette raison, il importe de faire une cérémonie dense, chaleureuse mais classique. Absolument classique !
Et cette veillée ? L'importance de l'évènement paraît la justifier mais pas trop longue quand même, et si veillée il y a, le plus grand soin est nécessaire pour ne pas faire fuir un public très ordinaire mais qui vient tout de même chercher du sacré : de vieux Noëls à l'orgue plutôt qu'un poème d'Aragon !
Sinon, les bons catholiques, s'il en existe encore, viendront à la messe le dimanche matin, mais ce que les sociologues appellent les pratiquants occasionnels , eux, se lasseront vite de venir, si ce n'est déjà fait.
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