Article rédigé par Emmanuel Tranchant, le 13 mai 2002
NANTES, [DECRYPTAGE/analyse] — L'examen de la question scolaire dans les programmes électoraux est révélateur du système de pensée de la classe politique française. Rares sont ceux qui considèrent le choix de l'école comme une liberté et l'éducation comme un droit des familles.
C'est le constat que l'on peut faire en étudiant la position des candidats aux élections présidentielle et législatives.
En filigrane, la crise du système éducatif et sa critique : " Notre système éducatif centralisé et standardisé ne correspond pas aux exigences de notre époque ", constate Alain Madelin tandis que Noël Mamère estime que, au bord de l'implosion, " le fonctionnement de l'école aggrave les inégalités au lieu de les réduire " et Jean-Pierre Chevènement que " la République doute de son école et l'école de la République ".
L'école vue de gauche... Le site du PS se distingue par l'absence de propositions : uniquement un bilan des cinq ans d'exercice du pouvoir par le Premier ministre-candidat en terme de moyens. On se félicite des 388 milliards du budget de l'Education nationale comparés aux 244 milliards de la Défense – les militaires apprécieront - et rapportés aux 654 milliards du coût global de l'enseignement, tous ministères confondus. Quant à l'avenir de l'école, il se lit dans la perspective radieuse des créations massives de postes dans les prochaines années, tandis que l'effectif des élèves baissera. Vu de gauche, de Robert Hue à Arlette Laguiller, pas de remise en cause fondamentale du fonctionnement de l'école de la République : il s'agit plutôt de défendre le monopole du mammouth et ses avantages acquis. Tout juste si Robert Hue évoque la création d'un fond d'action contre les inégalités à l'école. Pour le mammouth et ses fidèles séides, c'est la conservation plutôt que la révolution qui est à l'ordre du jour. Jean-Pierre Chevènement est sans doute le plus critique, au nom de l'élitisme républicain : il invite l'institution " à garder une haute ambition de qualité " et lui intime trois objectifs : donner à chaque élève un socle de savoir commun (maîtrise du français et connaissance de l'histoire de France ), transmettre les valeurs républicaines et préparer la France de demain.
... et vue de droite. C'est Pierre-André Périssol qui est chargé du projet du RPR sur les questions d'éducation. Il en a tiré un ouvrage, A bonne école (Plon), qui développe le programme chiraquien. L'objectif affiché est de transmettre " à 100 pour cent des élèves un socle fondamental commun – 100 pour cent de qualifiés dit de son côté Philippe de Villiers - en les conduisant sur le terrain de leur réussite à leur meilleur niveau " ; et la méthode, partagée par François Bayrou, celle d'un débat national sur les missions et les priorités de l'école pour définir ce fameux socle fondamental qui devra être approuvé par le Parlement, en faisant de l'école " le maître d'œuvre de sa propre évolution ". Le système éducatif reste ici soigneusement confondu avec l'Education nationale. Ce que confirme François Bayrou pour qui elle " est le ciment de la nation, de son identité, de la mobilité des Français ". Si le consensus sur le monopole éducatif investit largement la droite jusqu'à Christine Boutin, silencieuse sur ce point, le thème de la liberté d'enseignement apparaît cependant chez Philippe de Villiers, Alain Madelin, Charles Millon et Jean-Marie Le Pen.
Mais balayons rapidement les thèmes récurrents du discours politique sur l'école. En premier lieu vient l'échec scolaire qui vise l'école primaire et le collège. Les 12 pour cent d'illettrés recensés lors de la Journée d'appel et de préparation à la Défense servent de référence. Il n'est pas sûr que " l'éveil à toutes les formes artistiques pour tous les enfants " et la maîtrise " des langues " dès le primaire (site du PS), grande réforme justement langienne, sera la mesure la plus adaptée. " L'école primaire doit transmettre et construire les savoirs de base et les premiers apprentissages de la citoyenneté " (J.-P. Chevènement ) et s'en tenir avant tout " aux connaissances fondamentales en français et mathématiques " (P.-A. Périssol). Christine Boutin propose la promotion des méthodes de lecture analytiques et d'assurer le dépistage de la dyslexie.
Le traitement de l'échec scolaire doit se faire dans le cadre d'une filière école-collège unique selon les Verts (collège sans filières jusqu'à 16 ans ). La vache sacrée du collège unique n'est pas remise en cause à gauche ; à peine si J.-P.Chevènement évoque " des cheminements diversifiés ". F. Bayrou propose un Service d'aide et de soutien (SAS) pour redonner en cinq semaines aux élèves perturbateurs l'envie d'apprendre. L'idée de filiarisation du collège gagne cependant du terrain : le collège doit apporter un corpus de culture générale " mais le moule unique a échoué ", constate Christine Boutin. " Supprimer le collège unique, rétablir des classes de niveau et créer des classes de soutien ", demande Ph. de Villiers.
Le statut des enseignants retient aussi l'attention des candidats. Au-delà du discours corporatiste de la gauche, beaucoup pointent le manque de considération de la condition enseignante et sa nécessaire revalorisation. " Il est urgent d'assurer leur autorité par une politique salariale qui fasse droit au mérite ", dit Ch. Boutin tandis que N. Mamère préconise une loi d'orientation redéfinissant le métier d'enseignant et que P.-A. Périssol requiert pour chaque enseignant le droit de décider des modalités de son enseignement et " demande à son égard, de la part de la nation, un devoir de formation, de soutien de son autorité et de reconnaissance ". " La finalité de l'école étant l'élève qui étudie, cette finalité nécessite des enseignants engagés dans leur action, ce qui implique la reconnaissance de leur rôle et le respect de leur fonction ", précise J.-P. Chevènement.
La violence à l'école est un autre stéréotype. Les socialistes eux-mêmes proposent un dispositif national de prévention de la violence : la politique de la girafe a des limites électorales ! " Affrontements, violences ou inattentions perturberont d'autant moins les cours qu'ils seront traités par la démocratie scolaire " déclare N. Mamère qui veut transformer les institutions scolaires en institutions démocratiques. Cette surenchère démocratique partagée par l'extrême-gauche n'est pas du goût de J.-P. Chevènement, partisan du principe d'autorité, qui veut donner à l'école " les moyens de faire respecter les règles de la vie sociale et de donner à la vie citoyenne, aux repères civiques une place centrale dans le projet éducatif pour consolider l'école de la République ". Tous insistent sur l'importance de la formation civique : il faut améliorer l'enseignement de notre héritage culturel, propose J.-M. Le Pen. " Il faut enseigner la loi, dit Fr. Bayrou : non pas l'inspiration mais l'acte, et éventuellement la sanction " ; et pour beaucoup, " lutter contre l'insécurité passe par le renforcement des pouvoirs des chefs d'établissement " (Ph. de Villiers) en cela d'accord avec le RPR qui insiste sur le projet pédagogique élaboré par chaque établissement, ce qui nous amène à la perspective, encore lointaine, de la libéralisation du système éducatif.
La libéralisation du système éducatif. Il est intéressant de considérer l'émergence de ce thème dans le discours politique. Absent des programmes socialiste ou communiste, il apparaît chez les Verts qui veulent " renforcer l'autonomie locale... La mise en œuvre des programmes, l'adaptation aux publics, le fonctionnement des équipes reposent sur des projets qui nécessitent une autonomie dans les moyens et le fonctionnement ". Le RPR note " qu'alors que les établissements regorgent d'enseignants capables d'initiative, le ministre refuse de leur donner plus de poids dans la pédagogie " et P.-A. Périssol propose un contrat de mobilisation entre l'école et la cité. Sont visées par ces discours les collectivités locales déjà partie prenante dans le fonctionnement des établissements scolaires depuis les lois de décentralisation.
Mais il faut aller plus loin pour respecter le droit des familles et entrer dans une véritable logique de liberté d'enseignement. C'est ce que proposent Charles Millon ou Alain Madelin : " Créer un statut de pleine autonomie pour les établissements scolaires : autonomie dans l'organisation, le recrutement des enseignants, la pédagogie, l'aménagement des rythmes scolaires... " C'est aussi ce que suggère J.-M. Le Pen : " Il faut établir les conditions du libre choix de l'école " et Ph. de Villiers qui veut favoriser l'émergence d'écoles publiques libres et traiter tous les établissements scolaires agréés sur un pied d'égalité. Se pose la question stratégique : " Établir les conditions les conditions du libre choix de l'école " (J.-M. Le Pen ). C'est la question du financement de l'école libre à laquelle répond la proposition du bon scolaire ou chèque-éducation qu'on trouve dans les programmes du Mouvement pour la France, de Démocratie libérale et du Front national. Cette question, qui fera apparaître le mammouth et ses défenses d'enseigner comme un fossile dans le printemps de la liberté scolaire, doit être amenée progressivement au centre de la réflexion sur le système éducatif. Car c'est un droit de l'homme qui en dépend : le droit à l'éducation qui est à la fois un droit social et un " droit liberté ", indispensable pour garantir les droits fondamentaux de la personne et de la famille.
Emmanuel Tranchant est chef d'établissement scolaire.