Pas de nouvelle stratégie romaine
Article rédigé par Gérard Leclerc*, le 20 octobre 2006

Décidément, il est difficile de se débarrasser des idées toutes faites, dont la redoutable simplicité fait la fortune et facilite la circulation. L'une d'entre elles, concernant le nouveau pontificat, voudrait que Benoît XVI ait répudié les vues de son prédécesseur sur le dialogue avec l'Islam et plus encore sur les relations interreligieuses en général.

Les souvenirs vagues que l'on a gardé de Dominus Jesus, le texte naguère rédigé par le cardinal Ratzinger, l'analyse hâtive (et fausse) que l'on a faite de la conférence de Ratisbonne, l'interprétation unilatérale donnée à certaines nominations et aux remaniements de l'organisation de la Curie incitent à proclamer, urbi et orbi, que le Pape aurait bouleversé la stratégie élaborée par Jean-Paul II et que cela signifierait la fin de l'esprit de Vatican II au nom d'une conception intransigeante de la Vérité. On entend même, ici ou là, que le Pape serait acquis à la thèse de Hungtington sur le choc des civilisations et serait donc résigné au choc frontal du christianisme et des

autres conceptions du monde.

Il convient de réfuter au plus vite ces interprétations souvent délirantes, pour revenir aux textes les plus incontestables et d'autant plus intéressants et riches qu'ils se fondent sur une longue réflexion menée par un théologien depuis toujours passionné par les débats et les énigmes de notre temps. Mais préalablement, il serait aussi utile de compléter l'information sur les décisions récentes du Pape. On verrait ainsi que Benoît XVI, loin de dédaigner ce qui concerne le dialogue avec l'Islam, accorde au sujet une attention toute particulière. Ne vient-il pas de renflouer financièrement l'Institut des Pères Blancs voué à l'étude de la culture et des réalités politiques du monde islamique ?

 

Mais c'est surtout les orientations intellectuelles du Pape qui doivent être comprises. Benoît XVI n'a pas la conception fondamentaliste de la Vérité qu'on lui impute, non sans ridicule. La Vérité est, en effet, pour lui en corrélation totale avec la raison humaine, c'est-à-dire la faculté de reconnaître le vrai, le bien et le juste. C'est pour cela qu'il se méfie de la propension actuelle à opposer des identités communautaires plus soucieuses de défendre leurs originalités que de débattre sur le terrain d'une raison commune. Ce n'est pas pour rien que Joseph Ratzinger s'est trouvé si largement en accord avec Jürgen Habermas, théoricien du débat rationnel. Simplement, la raison qu'il défend est à l'opposé du rationalisme, elle est aussi ouverture au mystère et soucieuse d'un dialogue des civilisations qui laisse toute sa place à l'interrogation religieuse et donc à toutes les traditions et sagesses rétives à l'instrumentalisation techniciste de l'esprit.

* Éditorial à paraître dans le prochain n° de France catholique

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