Article rédigé par François de Lacoste Lareymondie, le 09 mars 2007
Plus on s'approche du 16 mars, date fatidique du dépôt des candidatures, plus la tension monte. Même si certains bluffent, si d'autres pratiquent le détournement, et si l'on assiste à de pitoyables mises à l'encan, il devient chaque jour plus évident que tous les prétendants déclarés n'auront pas les 500 parrainages requis.
Et les bonnes âmes de s'offusquer au nom de la démocratie bafouée. Il y a cinq ans, les mêmes s'étaient aussi offusquées de la dispersion des candidatures et des voix avec les conséquences que l'on sait ! Oublieuse mémoire et inconstance des postures...
Quelques bons samaritains plus ou moins intéressés se disent prêts à consentir l'aumône aux quémandeurs malchanceux... Sans se demander si les parrains sont prêts à s'afficher en faveur d'un candidat dont ils ne partagent pas les idées. C'est évidemment là que le bât blesse.
1/ UN DISPOSITIF DE PUBLICATION INEQUITABLE
Ce n'est pas la Constitution elle-même mais une loi organique prise pour son application, la loi du 9 novembre 1962, plusieurs fois modifiée, qui prévoit la présentation des candidats par un certain nombre d'élus : parlementaires, conseillers régionaux et généraux, et surtout maires, au total environ 40 000 parrains potentiels.
Initialement, 100 présentateurs suffisaient. Mais dès 1965, deux candidats marginaux [1] sur un total de six réussissaient à franchir l'obstacle ; ils étaient quatre sur sept en 1969, puis neuf sur 12 en 1974, recueillant ensemble environ 9 % des voix. De façon unanime, à cause des problèmes d'organisation que posait la multiplication des candidatures, il a été alors admis qu'il fallait resserrer le filtre en portant le nombre de parrainages à 500, imposer une règle de dispersion de leurs origines [2], et en prévoir la publication ; ce qui fut fait en 1976.
Si nul n'a objecté au principe, en revanche les modalités de publication ont toujours fait débat. Les parlementaires qui ont voté la loi organique ont prévu de s'en tenir à une publication au Journal Officiel, limitée au nombre requis pour la validité de chaque candidature.
Pour satisfaire cette contrainte, le Conseil constitutionnel, chargé de veiller au bon déroulement du scrutin, tire au sort les noms des parrains à faire figurer au J.O., tout en respectant la règle de dispersion dans la publication. Cependant, sensible à la bizarrerie de la conséquence pour ne pas dire à son iniquité, il a émis plusieurs fois le souhait de procéder à une publication intégrale. En effet le parrain qui s'affiche avec un candidat marginal risque beaucoup plus de voir son nom apparaître que celui qui est noyé parmi les milliers de présentateurs du candidat d'un grand parti ; et la situation n'est pas égale entre celui qui est tiré au sort et celui qui ne l'est pas. Joignant le geste à la parole, il a affiché l'intégralité des listes dans ses locaux à partir de l'élection de 1988.
Cette initiative n'a soulevé de difficulté ni en 1988 ni en 1995. En revanche, en 2002, elle fut la source d'une polémique qui n'est pas éteinte, chacun ayant pu identifier les maires qui avaient contribué à la dispersion des candidatures et, indirectement, des suffrages [3]. Pour l'éviter cette fois-ci, le Conseil constitutionnel en reviendra à la seule publication au J.O. des 500 noms tirés au sort pour chaque candidat, sans affichage de la liste intégrale.
Peut-on faire mieux ?
2/ FAUT-IL FILTRER LES CANDIDATURES ?
Il n'est pas inutile de s'interroger sur la question préalable.
La première réponse possible est non : que chacun prenne ses responsabilités et l'électeur tranchera. D'ailleurs, aucun filtrage n'existe en amont des autres scrutins.
Comparaison ne vaut pas raison : la nécessité de constituer une liste de plusieurs dizaines de noms pour concourir aux élections municipales constitue, à elle seule, un frein efficace. Quant à montrer sa bobine dans un canton ou dans une circonscription, cela coûte mais n'apporte aucune notoriété, plutôt des ennuis et des rebuffades.
Alors qu'à l'échelle nationale, pourvu que l'on s'y prenne habilement, quand tous les médias sont mobilisés, le jeu en vaut la chandelle. Par conséquent, s'il n'y a pas de filtre, les candidats seront des dizaines... et l'élection présidentielle n'en sortira pas grandie, sans parler des problèmes insolubles d'organisation qui se posent déjà et qui s'en trouveraient démesurément aggravés.
Sauf à procéder comme aux États-Unis où ces dizaines d'aspirants candidats sont progressivement écrémés par un système de primaires qui n'en laisse subsister que deux en fin de parcours. Ce sont ces primaires qui font office de filtre, au prix d'une campagne électorale très longue, très coûteuse, et moyennant une implication essentielle des partis dans leur organisation.
Si on ne veut pas aller jusque là, il faut faire autrement.
3/ QUEL FILTRE ?
A/ Première solution, la plus démocratique : une présentation par les citoyens eux-mêmes.
Rien à redire sur le plan des principes, jusqu'à ce qu'il faille fixer le nombre de citoyens présentateurs. Pas trop pour que ce soit possible ; ni trop peu pour que ce soit sérieux. Combien ? Si l'on retient la même proportion qu'aujourd'hui, c'est à dire 1,25 % du gisement [4], proportion qui pour un corps électoral de plus de 42 millions d'électeurs apparaîtrait raisonnable, on aboutit quand même à 500 000 signatures...
Voilà qui ne serait pas une mince affaire ; surtout quand les candidats doivent opérer dans des délais assez brefs (en cas de décès ou de démission du Président, on ne va quand même pas attendre trois mois...), et qu'il faut ensuite vérifier une à une l'identité, la capacité électorale et la signature de chaque présentateur. Seuls les grands partis auraient les moyens d'une telle collecte.
Baisser l'exigence, à 100 000 par exemple, pour alléger la logistique ? Ce nombre ne représenterait que 0,25% du corps électoral, et succomberait facilement à la critique, faute d'une représentativité politique suffisante pour justifier une candidature à la Présidence de la République.
B/ Deuxième solution, la plus institutionnelle : une présentation par les partis politiques.
Ce serait leur rôle : l'article 4 de la Constitution ne prévoit-il pas qu'ils concourent à l'expression du suffrage universel et qu'ils contribuent à la mise en œuvre du principe énoncé à l'article 3 , lequel principe est celui de l'exercice de la souveraineté nationale par le peuple notamment au travers de ses représentants ? La difficulté consiste évidemment à déterminer quels partis auraient le droit de présenter un candidat, dans un contexte politique où tout recours à leur intermédiation sera suspect par principe. Deux solutions sont ici envisageables : ceux qui disposent d'élus au Parlement : solution la plus simple et la plus logique puisqu'ils ont démontré un lien efficace avec l'électeur ; ceux qui ont rassemblé un pourcentage minimal de suffrages lors des élections précédentes [5] , plus précisément lors de leur premier tour : formule qui renvoie à d'autres questions, quelles élections, quel pourcentage ? et qui constituerait une très forte incitation à la dispersion partisane lors des élections de référence avec les conséquences que l'on devine. On objectera 1/ que les candidats ainsi sélectionnés seraient dans la main des partis ; mais c'est déjà le cas : qui peut conduire une campagne nationale crédible sans un appareil solide et des militants nombreux ? 2/ que ce serait le mécanisme le plus conservateur ; mais serait-ce forcément un mal ? Est-il indispensable que le futur président de la République se présente en symbole de la dernière mode ou en avatar du dernier frémissement médiatique ? Plus fondamentalement, cette solution, dans son inspiration, apparaît assez antinomique avec l'élection du Président de la République au suffrage universel et sans doute vulnérable aux manœuvres d'appareil.
C/ Finalement, 500 signatures d'élus, est-ce un si mauvais système ?
La question à trancher n'est en réalité que celle du caractère public ou secret des parrainages assortie de son complément logique que devrait être la publication de la liste intégrale des parrains. La poser, c'est y répondre : si parrainer n'est pas soutenir, les mots n'ont plus aucun sens, et le débat politique non plus. De deux choses l'une : ou le parrainage est avouable, et que peut craindre le signataire s'il a de bonnes raisons ; ou il n'est pas avouable, et pour quelle mauvaise raison épargnerait-on à son auteur d'être pris en flagrant délit d'incohérence ?
En vérité, l'expérience a montré que les élus locaux étaient beaucoup moins conservateurs qu'on ne le prétend dans l'establishment médiatico-parisien, et bien davantage disposés à sortir des sentiers battus pourvu que cela ait un sens. Mais ils sont aussi, et c'est heureux, davantage sensibles aux conséquences de leurs actes : ayant été une fois pris au piège d'un effet objectivement désastreux, ils en tirent les conséquences. Il est facile d'accuser les grands partis d'avoir exercé des pressions évidemment qualifiées de scandaleuses. C'est sans doute exact. Mais beaucoup de maires de petites communes, non encartés, y sont peu sensibles, alors qu'ils ne peuvent pas ne pas tenir compte de ce qu'ont été les réactions de leurs électeurs qui, très souvent et à juste titre, se sont interrogés sur la cohérence ou la légitimité de tel ou tel parrainage.
Quant à la démocratie, elle réside moins dans le reflet intégral de chaque nuance de la palette des opinions que dans le bon fonctionnement d'un mécanisme électoral dont la finalité, on semble l'oublier, est d'abord l'élection d'un président de la République.
C'est pourquoi, tant que le chef de l'État sera désigné ainsi, c'est-à-dire selon une procédure à laquelle je persiste, quoiqu'isolé dans mon sentiment et conscient de la faible probabilité d'un retour en arrière, à trouver plus d'inconvénients que d'avantages, il vaut quand même mieux que les candidats ne tombent pas du ciel comme les cailles toutes rôties dans le bec de l'électeur, mais qu'ils émergent au terme d'un processus de filtrage qui permet à celui-ci d'exercer son choix dans des conditions raisonnables d'efficacité et de sagesse.
Notes[1] Comment identifier les candidats marginaux ? Pour des raisons de simplicité et de cohérence et n'avoir pas à porter un jugement, trop subjectif, sur leurs motivations, je classe dans cette catégorie tous ceux qui ont recueilli moins de 5% des suffrages exprimés au 1er tour.
[2] Les 500 parrainages doivent provenir d'au moins 30 départements ou territoires, sans que plus du dixième (50) ne proviennent du même département ou territoire.
[3] Sur 16 candidats, neuf étaient marginaux mais, contrairement à tous les scrutins précédents, tous ensemble ils ont recueilli un pourcentage de voix très élevé (24 %). De plus trois candidats ont enregistré des scores compris entre 5 et 6 %. Soit au total 40% de suffrages éparpillés sur 12 candidats pourtant dénués de toute chance raisonnable tandis que les 4 premiers n'en recueillaient qu'à peine 60 %.
[4] Actuellement, 500 signatures représentent 1,25 % du nombre total de parrains potentiels.
[5] Proposition de S. Royal récemment exprimée.
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