Parents : faut-il refuser le diagnostic prénatal ? (2/2)
Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 01 juillet 2011

La fois dernière, nous nous sommes penchés sur la pratique du diagnostic prénatal en général. Les choses se corsent lorsque nous examinons le cas particulier du système de dépistage/diagnostic anténatals de la trisomie 21, une maladie dorénavant expressément ciblée sur le plan réglementaire et qui concerne toutes les femmes enceintes de notre pays [1].

Le diagnostic prénatal de la trisomie 21 : un discernement délicat

Classiquement, le dépistage prénatal est l'étape qui vise à détecter de manière non invasive un risque accru de pathologie ou handicap du fœtus pendant la grossesse. Proposés de manière systématique à toutes les femmes enceintes, les deux examens techniques de dépistage actuels sont l'échographie et le dosage sanguin chez la mère des marqueurs prédictifs de la trisomie 21. En cas de suspicion d'anomalie, le dépistage conduit à recourir à des outils diagnostiques invasifs que sont essentiellement l'amniocentèse (prélèvement de liquide amniotique) ou la biopsie du trophoblaste (prélèvement des villosités choriales du futur placenta). Cette étape est celle du diagnostic prénatal proprement dit.

Les pouvoirs publics préconisent depuis 1997 un dépistage séquentiel mettant successivement en œuvre pendant la grossesse la réalisation d'une échographie au premier trimestre pour mesurer l'épaisseur de la nuque de l'enfant (indice de la clarté nucale) suivi du dosage sanguin des marqueurs sériques au second trimestre. Sur 830 000 naissances en 2008, 660 344, soit les trois quarts, ont été dépistées suivant ce modèle [2].

Le dépistage n'est cependant qu'un calcul statistique. Si le risque est supérieur à 1 sur 250, il faut le confirmer ou l'infirmer par une amniocentèse afin d'établir un diagnostic cytogénétique sur les cellules fœtales. Seul le caryotype fœtal permet de confirmer ou non l'existence de l'affection par la mise en évidence du troisième chromosome 21. La France détient le record mondial avec 92 594 amniocentèses pratiquées en 2008 soit près de 10% de l'ensemble des grossesses. Or, ce geste invasif est particulièrement iatrogène puisque le risque de perte fœtale induite est compris dans une fourchette de 0,5 à 1 % selon la Haute autorité de santé [3]. Le Comité consultatif national d'éthique a ainsi reconnu dans son avis n. 107 que ce fait était loin d'être anodin :  La perte d'un nombre non négligeable de fœtus indemnes de la maladie recherchée porte gravement atteinte au principe de proportionnalité [4].

Risques disproportionnés des techniques invasives

Avec la promulgation de l'arrêté ministériel du 23 juin 2009 déjà cité, le dépistage de la trisomie 21 est encore passé à une vitesse supérieure. Il est désormais combiné car associe dès le premier trimestre de la grossesse la réalisation de l'échographie et le dosage de nouveaux marqueurs sériques dans le sang de la mère. Ce dépistage intégré précoce présenté comme plus performant pose cependant de nouvelles questions. En effet, au cours des trois premiers mois de la grossesse, l'amniocentèse étant impossible, il faut recourir à la choriocentèse ou biopsie du futur placenta qui induit, selon les études dont nous disposons, un taux de pertes fœtales au mieux identique à l'amniocentèse, au pis deux fois plus élevé. Si on peut escompter une diminution des amniocentèses, les fausses couches induites resteront nombreuses en raison de l'augmentation des biopsies de placenta. Les femmes enceintes dont le risque est supérieur à 1 sur 250 se trouvent donc face à un nouveau dilemme : ou bien choisir la choriocentèse, plus tôt et plus dangereuse, pour réduire la durée de leur angoisse ; ou bien attendre l'amniocentèse, moins risquée mais tardive, faisant ainsi durer le temps de l'attente.

Quoi qu'il en soit, tel qu'il est organisé aujourd'hui, le dépistage ne tend qu'à une chose : détecter le maximum de fœtus atteints. En cas de confirmation d'atteinte de l'enfant à naître, l'immense majorité des couples choisira de recourir à une IMG. Ainsi le Conseil d'Etat dans l'étude qu'il a rendue pour préparer le réexamen de la loi de bioéthique a-t-il pour la première fois reconnu que la sélection eugéniste des êtres humains pouvait être à la fois  le fruit d'une politique délibérément menée par un Etat  et  le résultat collectif d'une somme de décisions individuelles convergentes prises par les futurs parents [5]. Pour la haute juridiction administrative, le fait que 96% des fœtus trisomiques 21 soient avortés rend compte aujourd'hui en France de l'existence d' une pratique individuelle d'élimination presque systématique . La stratégie de dépistage est donc en parfaite adéquation avec la prégnance des normes sociales contemporaines. C'est l'analyse cynique du professeur de gynécologie Jacques Milliez :  Il est généralement admis, que sauf conviction ou disposition affective contraire des parents, un fœtus atteint de trisomie 21 peut, légitimement au sens de l'éthique collective et individuelle, bénéficier d'une interruption médicale de grossesse. Il existe une sorte de consentement général, une approbation collective, un consensus d'opinion, un ordre établi en faveur de cette décision, au point que les couples qui devront subir une interruption de grossesse pour une trisomie 21 ne se poseront guère la difficile question de la pertinence de leur choix individuel. La société en quelque sorte, l'opinion générale, même en dehors de toute contrainte, a répondu pour eux. Tout le monde ou presque aurait agi de la même façon. L'indication paraît même tellement établie que les parents considèrent en quelque sorte que c'est un droit. Qui d'ailleurs songerait à le leur disputer ? L'économie sera faite ici de lancinantes interrogations sur la pertinence du choix [6].

Un père et une mère décidés à ne pas porter atteinte à la vie d'un enfant éventuellement porteur de trisomie 21 doivent-ils alors se soumettre à la séquence actuelle de dépistage/diagnostic anténatals de cette maladie ? La réponse est selon nous négative.

En effet, le dépistage combiné de la trisomie 21 n'a qu'un faible intérêt scientifique et médical. Si le calcul statistique rendu par le logiciel est bas, il n'écarte pas complètement la possibilité d'avoir un enfant atteint et s'il est élevé, il va falloir obligatoirement recourir à un geste invasif pour le confirmer ou l'infirmer. Or, ce prélèvement par amniocentèse ou choriocentèse comporte comme on l'a dit un danger disproportionné de mort fœtale induite comme le reconnaît le Comité consultatif national d'éthique dans l'avis précité. Faut-il alors prendre le risque de perdre le bébé uniquement dans le but de savoir s'il est ou non atteint de la trisomie 21 ? Le magistère de l'Eglise là encore nous éclaire :  On doit considérer comme licites les interventions sur l'embryon humain, à condition qu'elles respectent sa vie et qu'elles ne comportent pas pour lui de risques disproportionnés (Donum vitae, I, 3). Manifestement les techniques invasives ne rentrent pas dans ce cadre. On peut donc en conclure que pour un couple prêt à accueillir un enfant trisomique 21,  le jeu n'en vaut pas la chandelle . L'intérêt de la stratégie actuelle de dépistage/diagnostic anténatals de la trisomie 21 mise en place par les pouvoirs publics n'est avéré que pour les couples qui ont l'intention de recourir à une IMG en cas de confirmation d'atteinte de leur enfant. Jacques Milliez le dit sans ambages :  Rien ne serait plus désastreux que de chercher et de trouver un mongolisme ou toute autre maladie congénitale pour un couple qui n'accepterait pas l'IMG . Ne peut-on pas se préparer à accueillir un enfant trisomique sans avoir la certitude qu'il l'est réellement pour ne point risquer de le blesser par la pratique d'un examen invasif ? Ne faut-il pas être prêt à ne le découvrir parfois qu'à la naissance plutôt que de recourir à un geste médical dangereux qui n'améliorera pas fondamentalement la prise en charge thérapeutique du nouveau-né dans les jours qui suivent l'accouchement ?

Pression morale sur les femmes enceintes

De nombreux parents refusent depuis plusieurs années de recourir à la stratégie mise en place par la France. Plusieurs d'entre eux nous ont fait part de l'insistance, pour ne pas dire de l'intimidation exercée à leur encontre par les médecins.

La pression est en effet maximale sur les femmes enceintes qui ne veulent pas se soumettre, soit au dosage sanguin des marqueurs sériques, soit à l'amniocentèse, comme le montre l'histoire de ce couple informé par un simple courrier que leurs futurs jumeaux étaient à risque :  Ma femme était effondrée, se souvient Charles. Le gynécologue nous a poussés très fortement à faire une amniocentèse. Or, nous ne voulions pas faire cet examen. Malgré notre refus, le médecin s'est montré particulièrement intimidant et manipulateur [7]. Face à cette dérive technocratique du DPN et à la logique du bébé zéro défaut qui prévaut, la quasi-totalité des praticiens a pris l'habitude de faire signer une décharge à la femme qui refuse la première étape des tests sanguins. But avoué : se protéger d'un point de vue médico-légal.

Le contenu de ce genre de document dont nous nous sommes procuré un exemplaire dans un cabinet libéral de gynécologie (cf. annexe) nous donne une idée de la contrainte morale qui peut s'exercer sur un couple. Le psychologue-psychanalyste Jean-Philippe Legros, membre d'un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, ne peut que constater la dérive actuelle :  Comment imagine-t-on qu'un individu, une femme ou un couple puissent résister seuls à une pression sociale de cette force ? [8].

L'étau se desserre-t-il ?

En confirmant l'obligation qui pèse sur les médecins et dorénavant les sages-femmes de proposer à toute femme enceinte la possibilité de recourir au dépistage, la nouvelle loi de bioéthique qui sera prochainement promulguée ne pourra que renforcer l'effet incitatif et prescripteur sur le choix des mères, induisant des décisions allant quasiment toutes dans le sens d'un interruption de grossesse en cas de risque avéré de trisomie 21.

Paradoxalement, plusieurs mesures adoptées grâce à des parlementaires courageux devraient concourir à l'avenir à un plus grand respect de la conscience des parents qui ne veulent pas se voir prescrire des tests de dépistage de la trisomie 21.

En effet, l'article L. 2131-1 du code de la santé publique nouvellement rédigé précise que  toute femme enceinte reçoit (...) une information loyale, claire et adaptée à sa situation sur la possibilité de recourir, à sa demande, à des examens de biologie médicale et d'imagerie permettant d'évaluer le risque que l'embryon ou le fœtus présente une affection susceptible de modifier le déroulement ou le suivi de sa grossesse . L'expression  à sa demande  témoigne du souci du législateur de redonner une marge de manœuvre à la patiente.

Toujours dans le même article est précisé que le médecin ou la sage-femme doit insister sur le  caractère non obligatoire de ces examens  et que l'opposition de la femme enceinte à y recourir doit être  mentionnée dans le dossier médical . Il ressort donc clairement de ces dispositions que le professionnel de la grossesse doit s'incliner devant le choix de sa patiente et n'a strictement aucun droit à lui faire signer un formulaire de décharge, lequel document n'a d'ailleurs pas de valeur juridique comme l'ont reconnu les sénateurs lors de leur discussion en séance publique [9]. La femme enceinte (et le père de l'enfant) peut donc refuser oralement la proposition du dépistage, le praticien ayant seulement l'obligation de notifier l'opposition dans le dossier médical. Il nous semble que ces mesures gagneraient à être rapidement connues des professionnels et de la population féminine.

De manière générale, on peut donc conclure qu'il est parfaitement licite de recourir au DPN dans le but d'offrir à l'enfant une prise en charge thérapeutique si elle existe et/ou de se préparer à l'accueillir dans les meilleures conditions. En soi, le principe du DPN n'est pas mauvais, tout dépend de l'intention du sujet qui y recourt.

Pour autant, la procédure du diagnostic de la trisomie 21 avec sa cohorte de faux positifs et faux négatifs occasionnés par le dépistage et les dangers que font peser sur l'enfant la mise en œuvre de l'amniocentèse ou de la choriocentèse obligatoires pour confirmer un risque purement statistique nous semble rédhibitoire. Dans ce cas précis, le père et la mère ont le droit – et certains diront le devoir – d'y renoncer.

 

 

Annexe
Dépistage et estimation du risque de trisomie 21
Nous soussignés Madame.......et mon conjoint Monsieur....
Attestons et certifions :
Avoir reçu une information réelle, complète et bien comprise sur les différents moyens et techniques de dépistage, de diagnostic et d'estimation de risque par dosage sanguin de la trisomie 21 pour ma grossesse actuelle.
J'affirme que le Docteur......m'a informée et m'a exposé pour mon cas personnel l'intérêt de ce test sanguin ; j'ai pu poser toutes les questions et j'ai reçu toutes les réponses nécessaires à mon choix.
J'atteste avoir refusé librement et en toute connaissance de causes et de conséquences, après un délai de réflexion suffisant, de réaliser ce dosage sanguin.
A.....le...............d'un commun accord, lu et approuvé, signatures de la patiente et de son conjoint.
Je soussigné, Docteur.............., gynécologue obstétricien, certifie avoir donné une information loyale et complète concernant les possibilités de dépistage du risque de trisomie 21 par triple test sanguin intégré du 1er trimestre. La patiente a choisi, après cette consultation et un délai de réflexion suffisant, de ne pas effectuer ces dosages.
Signature du médecin

 

 

[1] Arrêté du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21.

[2] Agence de la biomédecine, Rapport annuel et bilan des activités 2009, p. 202.

[3] Haute Autorité de Santé, Evaluation des stratégies de dépistage de la trisomie 21, juin 2007, p. 99.

[4] CCNE, Avis n. 107 sur les problèmes éthiques liés aux diagnostics anténatals : le diagnostic prénatal (DPN) et le diagnostic préimplantatoire (DPI), 15 octobre 2009.

[5] Conseil d'Etat, La révision des lois de bioéthique, La documentation française, 2009, p. 40.

[6] Jacques Milliez, L'euthanasie du fœtus, médecine ou eugénisme ?, Odile Jacob, Paris, 1999.

[7] Sylvie Dellus,  Le dépistage de la trisomie 21. On en fait trop ? , La question du mois, Santé magazine, septembre 2010.

[8] La Croix, 4 janvier 2010.

[9]  Le nouvel article prévoit un consentement écrit pour les examens, le recueil du refus n'aurait aucune valeur juridique (Alain Milon, rapporteur, UMP).  Seule l'acceptation du DPN fait l'objet d'un écrit (Nora Berra, secrétaire d'Etat).

 

 

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