Article rédigé par Jean-Marie Allafort, le 20 septembre 2002
[Jérusalem] Deux attentats sanglants viennent de frapper à nouveau Israël. Alors que la plupart des médias européens, voire des responsables politiques, ont tendance à considérer les attentats contre les Israéliens, et notamment les colons comme plus au moins légitimes, un rapport de d'Amnesty International daté du 11 juillet 2002 vient de condamner avec la plus grande fermeté tout acte de terrorisme quel qu'il soit contre des cibles civiles, y compris contre les habitants des Territoires.
Cette mise au point était plus que nécessaire tant au niveau moral qu'au niveau du droit international. Si la question des implantations reste un problème de fond qui devra être nécessairement résolu à un moment ou à un autre, il n'en reste pas moins qu'établir une distinction entre un terrorisme acceptable (dans les Territoires contre des colons) et un terrorisme inacceptable (en Israël) relève d'une complaisance coupable avec le mal. La thèse très souvent avancée que l'Intifada d'El Aqsa est la réponse palestinienne à l'occupation israélienne des Territoires est difficilement acceptable. Le problème est plus radical.
Deux formes d'" implantations "
On parle d'implantations pour des villes ou des villages israéliens qui se situent dans les Territoires palestiniens (occupés ou autonomes) à l'extérieur de la ligne verte, conformément à la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies votée le 22 novembre 1967. Ainsi toute localité ou maison isolée construite après 1967 dans ces dits territoires est de par le droit international illégale et constitue une violation des droits du peuple palestinien.
D'après les dernières estimations, il y aurait 230.000 colons dans les Territoires dont près de 137.000 enfants. La croissance naturelle de la population et le taux de natalité sont particulièrement élevés : il naît environ 7.000 enfants par an et 43 % de la population a moins de 14 ans.
On distingue trois régions déterminées d'implantations : Juda et la Samarie (appelé habituellement Cisjordanie ou West Bank) et la bande de Gaza. Chacune d'elle a une histoire particulière, a connu une évolution différente et est constituée d'une population qui lui est propre. Elles n'ont pas toutes les mêmes profils ni les mêmes difficultés.
Pour une meilleure compréhension des données, il faut distinguer entre deux sortes d'implantations : 1/ les implantations dites idéologiques (40 % environ de la population des colonies) ; 2/ les implantations non-idéologiques (60 %).
Pour exemple, les implantations se trouvant dans le Goush Katif (au sud de la bande de Gaza) sont dites idéologiques alors que colonies autour de Jérusalem comme Maalé Adumim ou Pisgat Zeev sont dites non-idéologiques.
On appelle colonies non-idéologiques, les implantations peuplées majoritairement par des colons ditsnon-idéologues et qui se trouvent dans les Territoires pour des raisons ne touchant pas à des convictions religieuses ou politiques particulières. C'est le plus souvent pour des raisons économiques (la vie meilleur marché) que cette population se retrouve dans les Territoires. Il n'est pas rare, également, que l'État d'Israël, ne sachant pas où placer les nouveaux immigrants les installe ‘provisoirement' dans les Territoires où, après plusieurs années, ils finissent par rester. Enfin, on trouve un autre cas de figure, certes moins répandu, d'Israéliens qui pour des raisons écologiques, ne voulant plus habiter les grandes villes décident de s'installer à la ‘campagne'. L'implantation de Kadim Veganim, non loin de Jénine est un excellent exemple. Ce phénomène est caractéristique des années 80. Il ne faut donc jamais faire l'amalgame simpliste, trop souvent courrant : un colon est un extrémiste juif.
En revanche, les colons ‘idéologues' sont venus s'installer dans les Territoires pour des raisons touchant à leurs conceptions religieuses ou/et politiques. On distingue habituellement entre colons idéologues ‘durs' (10 % de l'ensemble des colons) et les colons idéologues plus modérés (30 % environ). Les colons idéologues ‘durs' refusent tout compromis territoriaux et sont prêts à des actes violents pour défendre leur idéologie. Certains d'entre eux n'ont pas hésité à commettre des attentats, parfois extrêmement violents, contre des Palestiniens.
Une autre population qui habite les Territoires est qui est estimée à près de 30.000 personnes est la communauté religieuse ultra-orthodoxe. Venus non d'abord pour des raisons idéologiques mais essentiellement économiques, leur présence n'a jamais fait la une des journaux. Si, de leur point de vue, il est peut être légitime pour des raisons religieuses de vivre dans les Territoires (uniquement en Cisjordanie et non dans la bande de Gaza qui n'est pas un territoire biblique), il n'en reste pas moins qu'ils ne participent à aucune activité politique déclarée et se consacrent essentiellement à l'étude de la Torah. Cette population n'est pas a priori hostile à la restitution des Territoires aux Palestiniens et ne constitue pas un ‘danger' politique. Il est sans doute utile de préciser ici qu'il n'existe d'ailleurs que quatre implantations ultra-orthodoxe en Cisjordanie (deux en Samarie et deux en Judée).
Le véritable objectif des attentats dans les Territoires
C'est pourtant l'une de ces implantations qui va connaître les actes terroristes les plus sanglants depuis le début de la seconde Intifada. Le 12 décembre 2001, des terroristes ouvrent le feu et lancent des grenades sur un bus dans la localité d'Emmanuel. Il y a 11 morts et 35 blessés. Sept mois plus tard, trois terroristes dans un scénario quasi similaire, lancent contre un bus au même endroit, une charge explosive ainsi que des grenades puis ouvrent le feu sur les passagers. Il y a neuf morts et 19 blessés. Les victimes sont pour la plupart des habitants de l'implantation d'Emmanuel. L'attentat, très bien préparé du point de vue logistique, est revendiqué par le Hamas.
Si les médias européens couvrent assez peu ces actes terroristes, c'est qu'à leurs yeux ces actions sont légitimes, après tout, il ne s'agit que de colons venus voler la terre des Palestiniens et qui, par leur présence, sont une provocation.
Les attentats à Emmanuel sont riches d'enseignements : cette localité, inconnue par la majorité des Israéliens avant les événements, ne s'était jamais distinguée par aucun acte contre des Palestiniens et ni aucune déclaration politique quelle qu'elle soit. Les habitants vivaient en bon terme avec les Palestiniens des environs. Cette implantation a été fondée en 1983, sous le gouvernement Shamir, non pour des raisons idéologiques mais pour des raisons économiques et écologiques. Ce sont des familles venues de Bnei Braq (ville près de Tel Aviv, peuplée essentiellement d'ultra-orthodoxes), avec peu de moyens ou ne supportant plus la ville, parfois pour des raisons de santé. Aujourd'hui, elle compte 2.750 habitants.
On peut s'interroger sur la motivation du Hamas de commettre un attentat justement dans cette localité. À quelques centaines de mètre de là, il y a une position de Tsahal. Pourquoi les militants du Hamas n'ont pas choisi pour cible les ‘occupants militaires' plutôt que les ‘occupants civils' ? Pourquoi de façon paradoxale, n'y a-t-il eu que neuf attentats contre des militaires depuis le début de cette seconde Intifada contre 125 actes terroristes enregistrés dans les Territoires jusqu'au 5 août de cette année ? Si l'occupation est ce qui justifie la lutte armée, on s'étonne que les efforts déployés contre les militaires soient si minimes d'autant que les quelques attentats commis contre Tsahal ont été particulièrement ‘réussis'.
En fait, il est clair que pour les organisations extrémistes, l'essentiel est de faire le maximum de victimes israéliennes n'importe où et que la distinction entre attentats dans les Territoires et attentats en Israël est à leurs yeux du domaine de la propagande mais non du domaine de l'action. Le Hamas et le Jihad islamique n'ont jamais caché que la fin de l'occupation signifie la disparition pure et simple de l'État d'Israël. Pour le chef spirituel du Hamas, le Cheikh Yassine, Tel Aviv n'est pas autre chose qu'une colonie ! Cette vision est de plus en partagée par les ‘modérés' : par exemple, les Brigades des Martyrs d'El Aqsa, rattachées au Fatah de Yasser Arafat, partagent cette vision. Il n'est pas étonnant alors que cette organisation ait commis plus d'attentats suicides que le Jihad islamique (13 contre 12 !)
Depuis le début de l'Intifada d'El Aqsa (29 septembre 2000) et jusqu'au 5 août 2002, il y a eu dans les Territoires 125 actes terroristes, dont sept attentats suicides : 105 en Cisjordanie et 20 dans la bande de Gaza. Le nombre de victimes civils est de 173 morts (146 en Cisjordanie et 27 dans la bande de Gaza) et de 205 blessés (142 en Cisjordanie et 63 dans la bande de Gaza). En comparaison, en Israël, il y a eu 102 attentats, dont 48 attentats suicides, faisant 311 morts et près de 3.500 blessés. Ces chiffres, bien entendu, ne comprennent pas les soldats israéliens morts pendant des opérations militaires.
On constate donc que le nombre des attentats dans les Territoires est légèrement plus élevé que les attentats perpétrés en Israël mais que les victimes sont beaucoup plus nombreuses en Israël et que les efforts déployés par les organisations activistes palestiniennes sont plus intenses quand il s'agit de perpétrer un attentat en territoire israélien. La logistique étant de fait plus complexe. De plus, depuis l'opération ‘Rempart' effectuée par Tsahal au printemps dernier, le nombre d'attentats en Israël est de trois fois supérieur au nombre d'attentats dans les Territoires et le nombre de victimes est cinq fois plus important. La méthode utilisée étant une fois sur deux l'attentat suicide.
La plupart des attentats effectués dans les Territoires (83 %) sont des tirs isolés sur des véhicules ou sur des colons à l'intérieur des implantations. Ces attentats, de par leur caractère, sont souvent occultés par les médias, il n'y a souvent " qu'un mort " ou que " quelques blessés ". Si ces attentats étaient quasi quotidiens lors des premiers mois de l'Intifada, ils sont aujourd'hui plus sporadiques.
Rayer Israël de la carte
Ces sont les activistes liés à Yasser Arafat, qui ont perpétré le plus d'attentats dans les Territoires. Le Fatah (le parti politique d'Arafat) et la Force 17, la garde personnelle du président de l'Autorité palestinienne ont revendiqué 16 attentats dans les Territoires contre huit en Israël. Les membres du Tanzim (branche armée du Fatah) quant à eux, ont revendiqué 34 actions dans les Territoires contre neuf en Israël. Enfin, les Brigades des Martyrs d'El Aqsa, dernière née des organisations terroristes dont Arafat est le commandant en chef (du moins en théorie) ont revendiqué 21 attentats dans les Territoires contre 26 en Israël. Comme nous l'avons dit, ces derniers sont responsables de 13 attentats suicides.
On constate donc une évolution dans la stratégie déployée par les milices du Fatah. Si au début de l'Intifada, les attentats étaient essentiellement perpétrés dans les Territoires avec une pseudo légitimité, deux ans après, c'est le contraire : près de 85 % des actes terroristes sont commis en Israël. On assiste à un durcissement remarquable des organisations dites modérées, proches du leader palestinien. C'est paradoxalement l'arrivée de Sharon au pouvoir qui va provoquer cette évolution. Un chiffre est plus parlant que tout commentaire : sous le gouvernement Barak, au début de l'Intifada, il n'y a eu que deux attentats suicides (qui n'ont fait d'ailleurs que des blessés) alors que sous le gouvernement Sharon, on en compte à ce jour 53 ! Pour nombre d'Israéliens, encore aujourd'hui, Sharon est perçu comme quelqu'un qui fait peur aux Arabes et qui, par voie de conséquence est l'homme idéal pour faire face à la situation. On peut s'interroger sur l'efficacité d'un tel mythe : l'État d'Israël, n'a jamais connu depuis sa création une telle vague de terrorisme...
Les organisations qui ne sont pas directement sont la tutelle d'Arafat mais qui participent à la direction de l'Autorité palestinienne, ont été peu actives jusqu'à maintenant. Le FPLP (le Front populaire de Libération de la Palestine, parti dissident du Fatah), a revendiqué huit attentats, tous dans les Territoires alors que le FDLP (Front populaire de Libération de la Palestine, marxiste-léniniste), n'est responsable que d'un seul attentat en Cisjordanie. Il est évident que ces partis qui ont connu leurs heures de gloire dans les années 70 ont perdu de leur influence sur le plan politique tout comme sur le plan militaire. Israël, en assassinant Abou Ali Mustapha, le chef du FPLP, a paradoxalement redonné de la vigueur au parti essoufflé.
Enfin, les organisations palestiniennes en lutte avec Yasser Arafat et son administration, sont particulièrement actives. Le Hamas a revendiqué 37 attentats, 14 dans les Territoires et 23 en Israël (dont 21 attentats suicides). Le Jihad islamique, de son côté, a revendiqué 32 actes terroristes, 10 dans les Territoires et 22 en Israël (dont 12 attentats suicides). Pour le Hamas et le Jihad, c'est l'existence même de l'État d'Israël qui est illégitime. Contrairement à d'autres organisations terroristes palestiniennes, ils ont la franchise de dire tout haut ce que d'autres pensent tout bas. Pour eux, l'occupation d'une terre islamique par les juifs est un sacrilège et le combat à mener n'est pas tant nationaliste que religieux.
La presse a une fâcheuse tendance à minimiser cet aspect du conflit. Il n'est pas politiquement correct, et ce malgré les attentats du 11 septembre, de parler de l'islam extrémiste comme de l'une des données fondamentales pour décrypter la nature du conflit israélo-arabe. Être naïf ou de mauvaise foi, sur cette question ne contribue ni à la paix ni à la justice, bien au contraire... Il ne faut pas se cacher la réalité : pour beaucoup de Palestiniens malheureusement, le retrait d'Israël des Territoires, perçu comme combat légitime par la communauté internationale, n'est qu'une étape avant l'annihilation totale de l'État juif. Au meilleur de ma connaissance, les cartes géographiques des livres scolaires de l'Autorité palestinienne ne connaissent que la Palestine, Israël n'y figure pas, pas plus que des villes comme Tel Aviv !
C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles en Israël, la majeure partie de la population est désabusée et ne croit pas à la reprise des négociations avec les Palestiniens. Confusément, l'Israélien de la rue pressent que cette Intifada n'est peut être que le prélude à un conflit dont personne ne peut prédire l'issue. Il n'en reste pas moins que le droit légitime d'un État palestinien est inaliénable et qu'Israël se doit, du point de vue moral, de permettre sa création tout en s'assurant qu'il pourra lui-même, en tant qu'État, continuer d'exister. Dire qu'il suffit de mettre un terme à l'occupation comme condition au règlement définitif du conflit israélo-arabe est non seulement simpliste mais dangereux. Si cette étape est plus que nécessaire, elle est loin d'être suffisante.