On n'en a pas fini avec la Libye !
Article rédigé par Philippe Oswald, le 07 octobre 2011

Perdu : 5 000 missiles sol-air. Si vous les trouvez, merci de bien vouloir les rapporter au Conseil national de transition (CNT). C'est en substance le message diffusé par le chargé de l'armement au ministère de la Défense du CNT, le général Mohamed Adia, en réponse à une demande pressante de l'Otan.

Entre autres emplettes, le colonel Kadhafi avait fait l'acquisition de quelque 20 000 missiles sol-air, le gros étant constitué d'engins de courte portée SAM-7, de fabrication russe ou bulgare. Une arme très légère, avec laquelle un homme seul peut atteindre un avion à basse altitude. La moitié du stock libyen aurait disparu, soit non pas 5000 comme l'affirme le CNT, mais  plus de 10 000 missiles sol-air , selon l'amiral italien Giampaolo Di Paola, président du comité militaire qui regroupe les chefs d'état-major des pays de l'OTAN.  Une sérieuse menace pour l'aviation civile  aurait confié l'amiral à des députés allemands, au cours d'une réunion secrète révélée le 2 octobre par le site internet de Der Spiegel. En effet, a-t-il ajouté, ces missiles peuvent réapparaître n'importe où, du Kenya jusqu'à Kunduz en Afghanistan. Le Kenya n'est pas cité par hasard : en  2002 un Sam 7 lancé par des terroristes d'al-Qaida a manqué de peu un avion civil israélien au Kenya, dans le ciel de Mombasa (ville où un attentat conjoint perpétré quelques minutes plus tard avait fait 15 morts dont 3 israéliens).

Le problème avait déjà été soulevé par les pays voisins de la Libye qui redoutent que des avions civils soient pris pour cibles par des groupes terroristes, en particulier Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Devant la menace que font planer ces missiles libyens disparus dans le chaos de la guerre civile libyenne, toute  l'Afrique du Nord risque de devenir une zone d'exclusion aérienne  confirme Peter Bouckaert, de l'organisation Human Rights Watch (laquelle persiste par ailleurs à demander aux dirigeants du CNT de mettre fin aux arrestations arbitraires et aux mauvais traitements infligés aux prisonniers dans les geôles de la  Nouvelle Libye ).

A Bruxelles, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen, a refusé de confirmer les chiffres de missiles disparus, sans doute pour ne pas se mettre en porte-à-faux avec le CNT, mais a exhorté celui-ci à  sécuriser ,  contrôler  et  détruire  les stocks d'armes de l'ancien régime dont une partie a été distribué par Kadhafi à ses partisans, le reste ayant été pillé par les rebelles.

A part ces exhortations, la coalition internationale ne peut que s'en remettre à la bonne volonté du CNT notamment pour qu'il autorise l'entrée d'inspecteurs dans le pays. La réponse se fait attendre. Pourtant, le responsable de l'armement du CNT ne cache pas son inquiétude devant la prolifération incontrôlée d'armes lourdes :  Que certains se servent de ces armes pour s'amuser donne une image négative de la révolution et des révolutionnaires , a-t-il ajouté. En effet ! Mais il n'est pas certain qu'il rassure l'Otan, en affirmant que le CNT a fait détruire 180 SAM-7 ces derniers jours... à coups de marteau ! 10 000 -voire seulement 5000 missiles- moins 180...il reste encore quelques coups de marteau à donner...

Il reste aussi de durs combats à mener contre les troupes fidèles au colonel Kadhafi. La prise symbolique de Qasr Abou Hadi, le village natal de Mouammar Kadhafi près de Syrte, ne semble pas avoir fait faiblir la détermination des 5000 combattants kadhafistes retranchés à Syrte même (ville côtière, à 360 km à l'est de Tripoli) :  Convaincus qu'on va les égorger, ils n'ont plus rien à perdre , rapporte Jean-Paul Mari, l'envoyé spécial du Nouvel Observateur (6 octobre). Pris en tenaille par les ex-rebelles, le fief de Kadhafi est ravagé par d'âpres combats urbains tout en étant pilonné par les forces des nouvelles autorités libyennes et par les frappes  ciblées  de l'Otan. 70 000 personnes y sont enfermées. La situation de la population est  dramatique  selon le vicaire apostolique du Vatican en Libye, Mgr Giovanni Innocenzo Martinelli, et même  désespérée  selon la Croix Rouge. Mgr Marinelli (qui dès le début du conflit s'était montré très critique sur les raids aériens de l'Otan - plus de 9.300 depuis le début du conflit !) réclame une trêve et exhorte les Européens à accueillir réfugiés et blessés. Les combats se poursuivent aussi dans l'autre bastion kadhafiste (où se trouverait l'un des fils du colonel, sinon le dictateur lui-même) : la vaste oasis de Bani Walid (à 170 km au sud-est de Tripoli).  Les forces pro-CNT y sont tenues en échec depuis un mois, en raison d'une résistance acharnée favorisée par un terrain accidenté, mais à cause aussi du manque criant d'organisation des assaillants. L'issue des combats ne fait pourtant plus de doute, en raison de la supériorité en nombre et en armes des ex-rebelles.

Après plus d'un mois de tergiversations, le CNT a annoncé le 3 octobre à Benghazi, qu'il comptait diriger le pays jusqu'à l'élection d'une Assemblée constituante. Le président du CNT, Mustafa Abdul-Jalil, et le Premier ministre de facto (quoique démissionnaire), Mahmoud Jibril, ont précisé qu'ils conservaient leurs fonctions jusqu'à la prise de Syrte, se résignant à faire l'impasse sur Bani Walid qui, tant qu'elle ne sera pas prise, sera tenue pour  une région insoumise . Mais l'insoumission règne déjà dans la capitale, Tripoli, où certaines milices bravent la nouvelle autorité militaire : au sein du conseil militaire en charge de la sécurité de la capitale, Abdullah Ahmed Naker, chef révolutionnaire venu de Zintan, a annoncé le 2 octobre la sécession de 73 brigades, regroupant selon ses dires 22 000 hommes. Il s'oppose frontalement à l'autorité du  jihadiste repenti  Abdelhakim Belhaj, propulsé sur le devant de la scène lors de la prise de la capitale il y a six semaines. De son côté Belhaj accuse ces milices de terroriser la population et leur ordonne de décamper...Ambiance. Voilà qui augure mal de la formation d'un gouvernement d'intérim. La seule certitude, c'est qu'on n'en a pas fini avec la Libye.

 

Sources : LEMONDE.FR, RFI, Le Figaro, AfriSCOOP, Jeuneafrique.com, Le NouvelObs.com

 

 

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