Article rédigé par Hélène Bodenez, le 15 février 2011
Grand film d'aventure, voilà ce que sont ces Chemins de la liberté de Peter Weir. Ceux qui aiment histoire, héros, grande fin seront servis et aimeront la dernière fresque épique de l'auteur de Witness ou de Master and Commander. On s'étonne, abasourdi, de la critique molle et injuste [1] qui devrait plutôt essayer de convaincre les jeunes en mal de conquête de soi.
Soljenitsyne avait donc bien raison. Dans son discours à Harvard sur Le Déclin du courage, l'auteur du Premier cercle s'en prenait à la presse lieu privilégié où se manifestent cette hâte et cette superficialité qui sont la maladie mentale du XXe siècle . Comment ne pas saluer le dernier film de Peter Weir avec plus de force ? Toutes les grandes valeurs humaines que la société du bien-être et du bonheur érode jour après jour émergent à chaque plan d'un film hors du commun, objets d'un hymne majestueux et sobre.
Des figures complexes
Ils se virent sept à partir, trois arrivèrent au bout du chemin [2]. Sept hommes à s'évader du goulag sibérien, du dernier cercle de l'enfer, de la mine où les jours sont comptés. Des figures complexes, dont la virilité juste crève l'écran, portent un spectateur ému pendant deux heures et quart.
Le film est une adaptation d'une aventure rapportée dans le grand livre À marche forcée du polonais Slawomir Rawicz publié en 1956. On sait désormais que l'histoire n'était pas celle de l'auteur, hélas, mais on sait aussi que l'épopée a été réellement vécue, sur cette trajectoire hallucinante, une marche de 10.000 kilomètres jusqu'à la Grande Muraille de Chine.
Ne pas croire la critique. On ne s'ennuie pas un seul instant. Trois Polonais dont Janusz (Jim Sturgess) premier de cordée du groupe des évadés, fascinant par sa résistance à toute épreuve, Valka (Colin Farrell) l'assassin au couteau providentiel, un prêtre letton tourmenté par son crime, un Yougoslave et un Américain M. Smith (Ed Harris) forment une humanité en quête d'elle-même après l'horreur de l'asservissement et de la déshumanisation du camp de travail communiste. Ils endureront tout, froid et chaleur extrêmes, faim et soif, dangers d'une nature aussi hostile que grandiose. Tout n'est que brutalité, des semaines et des mois à vivre, des milliers de kilomètres à parcourir. À pied. Mais en hommes debout !
Douceur également, celle de la féminité au cœur du film, superbe irruption d'Irena (Saoirse Ronan), jeune fille évadée d'un kolkhoze et qui achève de donner à cette humanité réunie ses contours sublimes. Si la tentation d'être des bêtes en survie a pu prendre ces hommes, la femme parmi eux les ramène à eux-mêmes. Certes, il s'agit de ne pas paraître bandits, ils se lavent, se rasent, s'habillent avec soin, et l'entourent d'égards. Ils lui apprennent en retour la vérité. Ils la nourrissent, la protègent, l'admirent, la portent. Et les si beaux yeux bleus d'Iréna le leur rendent bien.
Moment sublime que sa mort, nouvelle Ophélie du désert avec sa couronne non pas de fleurs mais de brindilles séchées. Les visages des hommes réunies autour d'elle est un sommet du film. S'évader pour mourir ? oui mais en hommes ou en femme libres !
L'homme et la femme
L'homme, la femme, l'autre grand thème de ce film. Car les pas du voyage, si coûteux dans la boue, dans la neige, dans le sable, dans les pierres coupantes des montagnes infranchissables, ponctuent une autre avancée, intérieure celle-là. Les loups hurlants, le serpent venimeux, les moustiques qui harcèlent, l'énorme tempête de neige ou de sable, la mort des amis surmontée, sont autant de maux extérieurs à vaincre que le but intérieur à trouver.
Janusz, haute stature avec son bâton de pèlerin, n'en a qu'un, celui de continuer, continuer toujours, sans fléchir, sans trahison. Continuer pour donner le pardon dont sa femme a besoin, elle qui torturée l'a livré malgré elle à ses sbires communistes.
M. Smith en sait quelque chose alors qu'il ne peut pas faire de même en direction de son fils David, mort pour les mêmes faits immondes.
La marche n'est donc pas à elle-même sa propre fin, l'épilogue poignant des retrouvailles bouleversantes d'un mari et de sa femme dans la maison des jours heureux éclaire le périple insensé, lui donne enfin un sens. Ils étaient jeunes, ils étaient beaux. Le communisme leur a tout volé. Sauf l'amour qui va jusqu'au pardon. M. Smith l'avait tout de suite compris, à leur première rencontre : ce Janusz serait incroyable avec non seulement son goût polonais immodéré de la liberté mais avec aussi une grande faiblesse, sa bonté. Tout au long du film elle sera, en effet, sa force et son espérance.
Une ode au courage
Non, il n'y a pas que le zoom sur les pieds blessés et sanguinolents, sur les cloques des visages. Pas davantage de clichés répétitifs. Plus que les pieds, ce sont les visages et les regards qui frappent, les dialogues subtils avec leurs lisérés d'humour fin. Rien d'attendu non plus dans ces grands plans de désert somptueux ou de montagnes, de lac et de forêts à vous couper le souffle, dans cette eau fraîche qui coule sur les corps brûlés. On n'en dira pas davantage pour laisser le lecteur découvrir un film rare.
Ces Chemins de la liberté n'ont rien de mornes (Marianne2), sont plus qu'un beau film (La Croix), c'est une ode bienfaisante au courage des hommes. L'histoire de la grande Histoire vous saisit et vous remet en mémoire le terrible sacrifice de tant et tant d'innocents, des millions de victimes de la folie totalitariste. Si Soljenitsyne avait pu s'alarmer à juste titre en s'interrogeant ainsi Faut-il rappeler que le déclin du courage a toujours été considéré comme le signe avant-coureur de la fin ? , le film de Peter Weir démontre qu'il reste toujours possible, pour peu que l'esprit maîtrise le corps. À nous désormais de ne pas tuer l'esprit.
Les Chemins de la liberté
de Peter Weiss, avec Jim Sturgess, Ed Harris, Saoirse Ronan
En salle depuis le 26 janvier.
Le site officiel
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[1] La plus virulente, la plus incompréhensible également après celle de Marianne2, est la critique du Masque et la Plume du 6 février où le film est qualifié de Koh-Lanta de luxe reprenant d'ailleurs Libération. Pas un critique présent n'évoque le but sublime de Janusz. À part cependant, dans ce lamento général d'une critique hermétique à toute grandeur d'âme, Télérama qui semble plus juste que les autres et surtout avoir vu le film jusqu'à la fin ! Le public, quant à lui, ne s'y est pas trompé : 50 000 entrées la première semaine ! Deuxième au box office après Au-delà de Clint Eastwood dans la semaine du 1er au 7 février avec un cumul de 600 000 entrées en France.
[2] Je ne dévoile rien : c'est mentionné dès le générique.
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