Article rédigé par Entretien, le 20 novembre 2002
Raphaël Stainville a 25 ans. Après des études de philosophie, il choisit le métier de journaliste et collabore à la Fondation de Service Politique pour lancer le site Internet
drogue-danger-debat.org' target='_blank'> Drogue-Danger-Débat. À l'issue de cette première expérience qui l'ouvre au mystère de la désespérance de nombreux jeunes, il se lance dans un défi peu ordinaire : le poids de la misère de la jeunesse dans son sac, partir à pied en Terre Sainte ! Paris-Jérusalem, un pélerinage de 6000 kilomètres qu'il raconte dans un livre écrit avec ses pieds : J'irai prier sur Ta tombe (F.-X. de Guibert, novembre 2002, préface de Luc Adrian).
Raphaël, six mois de marche vers le Tombeau du Christ : pourquoi ?
"Les vingt ans, écrit Christian Bobin, c'est pour le corps ; la poussière, c'est pour l'âme." Je ne voulais pas être de ceux qui vivent organiquement et laissent se flétrir leurs aspirations spirituelles. Je ressentais profondément le besoin de partir comme s'il s'agissait d'un appel, d'un impératif auquel il fallait répondre absolument. Sous peine de mourir à sa vocation. C'est pourquoi il me fallait partir. Dans l'instant et non demain, un lendemain peut-être lointain où je prenais le risque de ne plus avoir le courage de partir.
Un pèlerin qui met la peau de ses pieds au bout de sa foi, c'est une démarche qui " a du sens " ?
Partir est totalement déraisonnable. Partir, c'est renoncer à sa famille, ses amis, son confort, parce que la marche dès le début est marquée de la spiritualité de l'Exode. Partir, c'est s'abandonner à la Providence quand la société lui préfère les tours-opérators. Partir, c'est vouloir l'imprévu, c'est désirer se faire surprendre. C'est pourquoi, est-ce très exactement dans cette mise à nu que se situe la raison de ce départ, la condition de ce départ au-delà de toute raison. Tout abandonner pour se livrer au Christ, s'habiller de pauvreté pour connaître le bonheur de recevoir quand on aime ne rien devoir qu'à soi-même.
Quel est ton meilleur souvenir ?
Ma nuit de Noël à Bethléem. Enfermé dans la crypte de la basilique Sainte-Catherine, en présence de cinq pèlerins venus d'Espagne à vélo, à pied de Hollande et de Belgique. Tandis qu'à travers le monde, les chrétiens réveillonnaient, nous étions là endormis dans nos prières à l'endroit même où le petit enfant Jésus était né, 2000 ans plus tôt. Une nuit délicieuse malgré le froid, le vent et la tempête. Une vraie nuit de Noël sans tambours ni trompette.
Et le plus cuisant ?
À mesure que le temps passe, les mauvais souvenirs disparaissent. Pourtant, comme une écharde que je ne parviens toujours pas à soustraire, je reste profondément blessé par l'attitude des Grecs à mon égard, parce que j'étais pèlerin, parce que j'étais catholique. La Grèce, ce furent trois semaines d'une traversée solitaire comme coupée des hommes et du monde sans qu'aucun Grec ne daigne m'adresser la parole, ou m'offrir l'hospitalité. Pire, ils me refusaient la parole et l'hospitalité. La Grèce, ce fut le silence pesant, lourd, oppressant. La Grèce, ce furent ces nuits à la belle étoile. La faim. L'absence de charité. Le signe d'une déchirure : celle de l'Église divisée.
J'irai prier sur Ta tombe, "un ouvrage dangereux" écrit Luc Adrian dans la préface de ton livre qui vient de paraître. Ton pèlerinage s'est-il arrêté à Jérusalem ?
Jérusalem représente très exactement toute les divisions du monde et par là-même le péché de l'homme. Elle invite à se remettre debout, à se mettre en marche pour se convertir à nouveau. On ne peut pas s'arrêter à Jérusalem comme s'il s'agissait d'un accomplissement. Bien au contraire, elle est à la mesure du chemin qu'il reste à parcourir pour gagner la Jérusalem céleste. Jérusalem, c'est un nouveau départ. Pour bien marquer que la route se poursuit en dépit de ce terme symbolique, j'ai poursuivi ma marche jusqu'au Caire, à travers le désert du Sinaï, dans cette marche intérieure qu'est la prière. Chacun d'entre nous est appelé à ce pèlerinage. La prière est le chemin de l'âme.
Propos recueillis par Philippe de Saint-Germain.
> Avec Décryptage, correspondez par mail avec Raphaël !
> Lisez un extrait de la préface de Luc Adrian
>