Article rédigé par Jean-Germain Salvan*, le 06 février 2009
Mais que fiche-t-on là-bas ? Depuis août 2008, combien de fois m'a-t-on posé cette question ? Le moins que l'on puisse dire, c'est que la lutte contre le terrorisme en Asie centrale ne fait pas recette chez nous.
Les Britanniques au XIXe siècle, les Russes au XXe, se sont cassé les dents en Afghanistan, et après l'effondrement du régime des talibans en 2001, on ne peut pas dire que l'OTAN ait convaincu les téléspectateurs de la justesse de sa stratégie.
Chaque fois qu'un mariage a lieu, avec les tirs traditionnels en l'air, les armées de l'air alliées bombardent la noce et accumulent les morts de femmes et d'enfants. Et voir des patrouilles blindées ou motorisées rechercher les rebelles de jour ne convaincra aucun de nos anciens d'Indochine ou d'Afrique du Nord du sens tactique des patrons de l'OTAN...
Comme d'habitude, ces peuples rudes qui constituent l'Afghanistan, incrustés dans leurs montagnes, sachant que le temps travaille pour eux, mènent une guérilla dure, qui finira par nous lasser. Que peut-on espérer ?
Que peut-on espérer ?
Le terrorisme est un mode d'action, ce n'est pas un ennemi. L'ennemi, ce peut être Al Qaïda ou les talibans. Il vaudrait mieux éviter de considérer les Pachtounes comme nos ennemis. Encore faut-il le dire. Et la Rand Corporation, qui n'est pas un repaire de pacifistes ou d'irresponsables, mais qui travaille au profit de la défense américaine, signale depuis longtemps l'absurdité du terme guerre au terrorisme (voir le site www.rand.org). Pour lutter contre les groupes qui pratiquent le terrorisme, il faut recourir essentiellement aux forces spéciales et à la police.
Car la situation en Afghanistan n'est pas simple.
Rappelons que ce pays a des frontières communes avec la Chine, l'Iran et d'anciens territoires soviétiques : Turkménistan, Ouzbékistan, Tadjikistan. Chine et Iran jouent des jeux personnels sur place.
Le Pakistan et ses forces armées ont toujours considéré l'Afghanistan comme leur arrière-cour. La Chine voit de plus en plus l'Asie centrale comme son glacis.
La population appartient majoritairement à l'ethnie pachtoune, partagée entre le Pakistan et l'Afghanistan. Les méthodes américaines (bombardements de noces et de civils, mesures brutales envers les femmes, et les habitations) ont révolté les populations locales, et provoqué une authentique résistance pachtoune.
Il convient donc de faire une nette distinction entre les ethnies locales (Tadjiks, Pachtounes, etc.) et les groupes, comme Al Qaïda et les talibans, qui pratiquent le terrorisme. Il faut ensuite rendre hermétique la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan, et obtenir que les dirigeants pakistanais jouent franc jeu avec l'OTAN. Il faut enfin éradiquer la culture du pavot, qui finance le conflit et qui pourrait justifier notre participation et notre intervention militaire.
Eradiquer la culture du pavot
Or ces actions multiples : séparer les Pachtounes des groupes islamistes radicaux ; sceller la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan ; éradiquer la culture du pavot... exigera du temps, des moyens civils et militaires importants.
On peut douter de la volonté des membres de l'OTAN, dans un contexte de crise financière et économique, d'accroître de façon significative les forces déjà engagées sur ce théâtre : il sera donc impossible de gagner militairement.
La France en particulier a des responsabilités en Afrique et ne pourra guère déployer en Asie centrale beaucoup d'autres moyens.
L'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) a participé modestement à des projets de reconstruction de l'Afghanistan et de son armée-école d'état-major à Douchanbé. Mais surtout, la Russie dispose encore de réseaux en Afghanistan et elle pourrait, si les dirigeants et les diplomates américains et européens s'en donnaient la peine, participer par ses moyens de renseignement, voire avec une partie de ses forces spéciales, au moins dans la partie nord de l'Afghanistan, à l'éradication de la culture du pavot et de certains groupes pratiquant le terrorisme.
N'ayons pas d'illusions : sans la participation russe, la guerre d'Afghanistan est perdue. Essayons au moins de lutter contre les stupéfiants et de contenir les ambitions des Pachtounes et du Pakistan.
*Jean-Germain Salvan est général 2e section.
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