Article rédigé par Décryptage, le 22 décembre 2006
Une grande crèche adossée à la façade de la mairie. C'est la photo qui s'affiche sur le blog du sénateur Jean-Luc Mélenchon (12 décembre)*. "Cherchez l'erreur", demande l'élu socialiste... À chaque hiver, il se trouve de plus en plus de grands prêtres de la laïcité pour s'indigner de la persistance des symboles de Noël sur la place publique : la débauche de guirlandes qui dégorgent des vitrines pour appâter le client scandalise moins que ces crèches ou ces sapins financés par les fonds publics.
Une armée de santons menace la République ! Comment ces instruments de la violence religieuse peuvent-ils perdurer, alors que le catéchisme recule à grand pas ? Déjà les "bonnes fêtes" laïques ont remplacé le "joyeux Noël", mais les crèches résistent. Paradoxe de l'histoire : c'est à la République qu'on doit l'expansion des crèches dans les foyers français.
P:first-letter {font-size: 300%;font-weight: bold;color :#CC3300; float: left}LA TRADITION attribue à saint François d'Assise la première crèche de Noël. Mais l'histoire de la crèche s'inscrit d'abord dans l'histoire de la représentation de la Nativité.
Les premières célébrations de la naissance de Jésus "Natale Christi" apparaissent au cours du IVe siècle en Occident. Elles ont pour but de christianiser les fêtes de la culture populaire et païenne, célébrés au mois de décembre. Jésus appelé "Lumière du Monde" ou "Soleil de Justice" se substitue au Sol Invictus mithriaque. C'est en 354 que le pape Liberus instaura la Nativité le 25 décembre. Dès le Ve siècle, la fête de la Nativité prit une telle importance dans le monde de la chrétienté, qu'elle marqua le début de l'année liturgique.
Les deux plus anciennes représentations de la Nativité connues datent du IVe siècle. La première est une peinture murale ornant la chambre mortuaire d'une famille chrétienne ayant vécu aux environs de 380 ; elle a été découverte en 1877 dans les Catacombes de Saint-Sébastien, à Rome. L'autre mention fait référence à une scène peinte sur un sarcophage de la basilique de Saint-Maximin représentant l'adoration de l'Enfant Jésus par les Rois Mages.
Les représentations de la naissance du Christ se multiplient alors, et en particulier sur les livres liturgiques comme les psautiers. L'iconographie de la Nativité rassemble Marie, Joseph, l'Enfant Jésus, les Bergers, les Anges et les Rois Mages le jour de l'Epiphanie.
Deux traditions se partagent la représentation de Noël. Dans la tradition occidentale, la conception et la naissance de Jésus relèvent du divin : Marie est restée vierge et, n'étant pas soumise à la malédiction des filles d'Eve, n'a pas souffert lors de son accouchement. C'est pourquoi elle est figurée assise, portant l'enfant Jésus sur ses genoux. À la fin du XIVe siècle, sous l'influence artistique italienne, la Vierge sera représentée à genoux dans l'attitude de l'adoration. La tradition orientale insiste au contraire sur la réalité de l'Incarnation de Jésus, sur le caractère humain de sa naissance : Marie, venant d'accoucher, est allongée.
Les premières crèches sont animées
Le terme de crèche (de l'allemand "Krippe") apparut dès le XIIe siècle. Il désigne la mangeoire pour les animaux dans laquelle la Vierge a déposé Jésus à sa naissance, selon saint Luc. La crèche désignera par la suite le lieu de la Nativité, puis la scène même de l'événement. On raconte que saint François d'Assise aurait fait célébrer en 1223, avec une autorisation pontificale, la messe de minuit à Greccio, en Italie, devant une étable où hommes et bêtes revivent les circonstances de la Nativité.
Au Moyen Âge, les mystères et les jeux qui se jouaient primitivement dans les églises, puis sur les parvis sont à l'origine des crèches spectacles, même s'il n'y a pas de filiation directe entre les drames liturgiques médiévaux et le théâtre populaire de la crèche dont les plus anciennes manifestations remontent à la fin du XVIIIe siècle. L'origine en est plutôt les recueils de Noël qui se multiplient dès le XVIe siècle, dans lesquels certains cantiques font dialoguer deux ou plusieurs partenaires. Les pastorales en sont issues, en raison de l'importance accordée aux rôles des bergers dans la célébration de la Nativité, et par analogie avec une mode littéraire dès le XVIIe siècle.
Montées et jouées en public, ces crèches animées se sont appelées, selon le genre, l'époque ou la région, crèches publiques, crèches parlantes, pastorales. À la fin de l'Ancien Régime, se jouait à Besançon une crèche de marionnettes représentant des personnages types de la société locale (la crèche bisontine). Le personnage satirique Barbizier incarnait une résistance des Francs-Comtois à la politique d'assimilation menée par la France. Il devint ainsi le porte-parole de l'identité culturelle régionale.
Naissance des crèches familiales
Les premières crèches d'église apparurent au XVIe siècle. Elles remplaçaient de manière statique et théâtrale les jeux scéniques des liturgies médiévales. Puis la formule se popularise. Au XVIIIe siècle, dans les maisons aristocratiques et bourgeoises, on voit des préfigurations de la crèche domestique, sous la forme de boîtes vitrées décorées, appelées grottes ou rocailles.
On y trouve des représentations de l'enfant Jésus, ou des scènes de la vie du Christ et des saints. Les figurines, réalisées en cire, en mie de pain ou en verre filé, s'exposent dans un décor imaginaire de fleurs, de cascades d'animaux évoquant le Paradis. Les crèches napolitaines connaissent notamment un grand succès.
A l'origine, la crèche familiale se limitait aux personnages de la Nativité. Au Québec, les premiers personnages de la crèche étaient fabriqués en cire par les congrégations religieuses.
Puis, au XVIIIe siècle, apparut dans le Midi de la France une petite industrie qui se mit à fabriquer tous les personnages de la crèche. Avec les premiers santons provençaux, la crèche familiale prend davantage d'envergure, certaines comptant même parfois une quarantaine de personnages différents.
Le véritable essor des santons est lié à la Révolution française qui interdit la Messe de Minuit et les crèches d'église. À son corps défendant, la République inventa donc la coutume de la crèche familiale ! Restés très fidèles à leurs crèches, les Marseillais contournèrent la loi en créant des "crèches publiques", qui étaient en réalité des crèches privées ouvertes au public. On ouvrait son logis à la visite pour faire admirer la crèche familiale.
L'usage se répandit alors de monter une crèche dans chaque foyer, pour le plus grand bonheur des santonniers. Grâce au travail de ces habiles artisans, les fameux santons de Provence, apparus pour la première fois à la foire de Noël à Marseille en 1803, gagnèrent rapidement la faveur populaire : ils concurrençaient les santons de cire, plus raffinés, mais aussi plus coûteux. Bientôt, ces petits personnages aux couleurs vives garnirent les crèches provençales, mais aussi celles du Dauphiné, du Roussillon et du Languedoc. Tout un peuple de personnages non bibliques apparût autour de Jésus : ce sont les personnages du petit peuple de Marseille, et de la Provence.
Après la tourmente révolutionnaire, les crèches mécaniques reprirent leur essor avec des spectacles où les prouesses de la machinerie et les situations fantaisistes primaient sur le religieux. Puis les pastorales détrônèrent à nouveau ce type de théâtre populaire. La première pastorale "sacrée" fut jouée à Toulon le 25 décembre 1333 sous le titre de "La jeunesse de la Vierge et la naissance de Jésus Christ". Mais la plus célèbre des pastorales a été écrite à Marseille en 1844 par Antoine Maurel, dans le Cercle catholique d'ouvriers de l'abbé Julien, à Marseille. Maurel, qui fut tonnelier, doreur, miroitier, comptable puis mutualiste, imagine avec humour et tendresse les habitants d'un village de Provence prenant le chemin de Bethléem, sous le poids de leurs faiblesses, pas très reluisantes, comme celles de chacun.
C'est ainsi que la Provence donna son visage à de très nombreuses crèches en France et dans le monde, et que les crèches contribuèrent à évangéliser les âmes. Mais surtout, ne le répétez pas.
Source principale : Exposition sur les Traditions des fêtes de Noël, ministère de la Culture, France, et ministère du Patrimoine (Canada).
© Photo : Santons Fouque
* La page du blog de J.-L. Melenchon.
Et le sapin ?
Sur le parvis des cathédrales, les Mystères médiévaux faisaient souvent figurer un arbre du Paradis représenté par un sapin — symbole de vie — (toujours vert) garni de pommes rouges. Les pommes avaient une valeur symbolique en elle-même: sur l'ancien calendrier, le 24 décembre était réservé à Eve et Adam, canonisés par les Eglises orientales.
C'est au début du XVIe siècle que le sapin ou arbre de Noël ou encore arbre du Christ est mentionné pour la première fois en Alsace. On parle alors de décorer les maisons avec des branches coupées trois jours avant Noël. Symbole de la Vierge Marie, les roses faisaient partie aussi de la décoration des sapins, avec les pommes, des confiseries et de petits gâteaux qui ressemblaient à des hosties.
L'arbre de Noël fut introduit à Versailles par la reine Marie Leszcynska en 1738. Au XIXe siècle, le sapin de Noël prend son essor. La tradition se généralisa après la guerre de 1870 dans tout le pays.
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