Noël à Bethléem : sous le joug de l'occupant, et la menace du terrorisme
Article rédigé par La Fondation de service politique, le 20 décembre 2002

En cette veille de Noël, le regard du monde se tourne vers Bethléem où les chrétiens de cette région vont vivre ces fêtes d'une façon qu'ils n'ont ni voulue ni choisie.

La région autonome palestinienne de Bethléem est réoccupée par Tsahal depuis le 21 novembre après un attentat suicide dans un bus israélien à Jérusalem ayant fait onze morts et plus de cinquante blessés. Le kamikaze était venu de cette région. Durant les vingt-deux premiers jours de la réoccupation militaire, le couvre-feu n'a été levé que quatre fois pour des périodes très brèves de quatre heures seulement. Depuis quelques jours, on assiste à un certain assouplissement mais les habitants ont les nerfs à bout. Les enfants ne vont pas à l'école et l'économie de la ville est asphyxiée.

Une mère de famille de cinq enfants nous explique que cette punition collective est insupportable et qu'elle ne comprend pas pourquoi Israël les oblige à vivre sous couvre-feu : " Il y a des patrouilles partout et la présence massive des soldats est oppressante. On est contre les attentats et ceux qui les soutiennent sont un petit pourcentage mais la façon dont Israël se comporte envers nous engendre le fanatisme et les gens vont devenir fanatiques. "

À la levée du couvre-feu, les patrouilles cessent et Bethléem devient une ville trompe-l'œil où tout semble normal : les rues s'animent à nouveau et la vie semble reprendre ses droits. Les quelques Palestiniens jouissant d'une double nationalité et les étrangers peuvent sortir ou entrer non sans avoir franchi le check-point. Une religieuse attendra près de quatre heures pour passer le fameux point de contrôle "300" dans la direction Jérusalem-Bethléem. C'est bien souvent le règne de l'arbitraire : les soldats sont les maîtres et décident qui peut passer et si vous osez demander une explication vous êtes immédiatement refoulé. Ces jeunes soldats sont souvent mal préparés à leur mission et leur peur d'un attentat ou d'une attaque armée les conditionne et les obsède. De ce fait, la plupart des familles palestiniennes se trouvent séparées de leurs proches et ne peuvent plus se rencontrer.

Un couple de jeunes chrétiens ayant des enfants en bas âge et habitant un quartier de Jérusalem-Est ne peut pas aller visiter sa famille vivant à Beit Jalla : " Nous ne savons pas ce que nous allons faire pour Noël, il y a de fortes chances que pour la première fois nous ne puissions pas nous rendre pour la nuit de Noël dans notre famille. Les enfants réclament leurs grands-parents et nous ne savons pas quoi leur dire. "

Les organisations humanitaires et d'entraides sont très présentes à Bethléem, Beit Jalla et Beit Sahour. Pendant la levée du couvre-feu, des distributions de nourriture et des produits de première nécessité s'organisent. Les gens partagent ce qu'ils ont et les gestes de solidarité ne manquent pas. Ce sont les couches moyennes qui sont les plus frappées par la situation : les petits commerçants et les petits artisans. Tous ceux qui travaillaient dans le secteur du tourisme ont été frappés de plein fouet : 28 % des Palestiniens de la région de Bethléem dépendaient directement du tourisme. Les quelques rares pèlerins chrétiens qui viennent en Israël n'osent même plus se rendre à Bethléem tant il est difficile de pouvoir obtenir la permission de rentrer dans la ville. Les visiteurs et les pèlerins ne sont pas seulement des " sources de revenus " pour les locaux mais également un soutien spirituel pour ces communautés chrétiennes qui peu à peu choisissent l'exil comme solution. On peut d'ailleurs se poser légitimement la question : l'arrêt brutal des pèlerinages en Terre Sainte est-il vraiment justifié ? Un pèlerin risque sans doute moins sa vie en venant ici qu'en conduisant sa voiture sur les routes de France...

Les chrétiens, on ne le dira jamais assez, se sentent délaissés. Un restaurateur chrétien qui a fermé son établissement depuis octobre 2000 nous confie chercher une solution pour aller s'installer à Tel Aviv et ouvrir là-bas à nouveau un restaurant : son cas est assez typique. Sur 50 000 habitants qui composent la population totale de Bethléem, il y près de 11 000 chrétiens. En deux ans seulement, près de 1500 chrétiens sont partis. À ce rythme, on est en droit de se demander combien de chrétiens seront là pour célébrer Noël en 2010...

Le départ des chrétiens de Bethléem en particulier et des Territoires en général est une vraie question qu'il faudrait pouvoir analyser en détail. Ce phénomène n'a pas d'équivalent chez les musulmans. De plus, le ministère israélien de l'Intérieur cause de nombreux tracas aux chrétiens étrangers qui viennent pour un temps plus ou moins long et qui se voient refuser leur visa. Cette politique désastreuse et scandaleuse initiée par des juifs religieux orthodoxes qui ont véritablement noyauté certains ministères publics est en contradiction totale avec la Déclaration d'indépendance de 1948 et l'esprit même de la démocratie. Ces fanatiques qui finissent par contrôler des secteurs vitaux de l'administration israélienne sont des bombes à retardement dont les Israéliens finiront par payer eux-mêmes les conséquences.

Depuis le début de l'Intifada, les festivités de Noël sont en déclin dans la ville qui a vu naître le fils de David. De fait, les rues ne sont pas illuminées et les devantures des magasins chrétiens ne sont plus décorés comme avant. À tort ou à raison, certains responsables chrétiens justifient ces restrictions par la volonté d'exprimer leur solidarité avec les victimes de l'Intifada. Le maire palestinien de Bethléem, Hanna Nasser, vient d'annoncer que les célébrations de Noël seront réduites au minimum : la ville ne sera pas illuminée, l'arbre de Noël installé sur la place de la Mangeoire ne sera pas décoré. Une femme chrétienne de Bethléem explique que cette décision vient du fait que les musulmans n'ont pas pu célébrer les fêtes de conclusion du Ramadan étant sous couvre-feu et que c'est une façon pour eux de manifester qu'ils sont les maîtres et que les fêtes chrétiennes ne peuvent supplanter ou prendre le dessus des fêtes de l'Islam. Quoi qu'en disent les responsables de la plupart des communautés chrétiennes, il y a à Bethléem comme ailleurs dans les Territoires une réelle tension entre chrétiens et musulmans. Bethléem a cessé d'être une ville chrétienne depuis bien longtemps.

Le gouvernement israélien a annoncé que Yasser Arafat ne sera pas autorisé à se rendre à Bethléem pour la messe de Minuit. Comme l'an dernier, l'aspect politique risque de prendre le dessus et les célébrations de Noël pourraient encore être récupérées au profit de l'Intifada. Shaoul Mofaz, ministre israélien de la Défense, a décidé de ne pas retirer ses troupes pour les fêtes tout en garantissant la liberté de mouvement pour les chrétiens de Bethléem, de Jérusalem et des Territoires et a donné l'assurance que la présence physique des militaires sera minime.

La rencontre du président d'Israël, Moshe Katasv avec le pape Jean-Paul II au Vatican, jeudi 12 décembre, pouvait laisser croire qu'Israël ferait un geste et se retirerait. Certes, le Saint-Siège n'a pas demandé de façon explicite que Tsahal se retire de la zone autonome mais que la liberté de mouvement soit garantie et que les chrétiens puissent célébrer les festivités sans entrave. Noël 2002 ressemblera donc aux Noëls d'avant les accords d'Oslo : la ville était à l'époque sous autorité israélienne. Si un attentat avait lieu à Jérusalem quelques jours avant Noël ou le jour même de la fête, toutes ces dispositions seraient annulées. Dans ce cas de figure, c'est encore les terroristes qui pourraient avoir le dernier mot comme trop souvent dans ce conflit.

À ce sujet, le bruit circule à Bethléem que les extrémistes musulmans veulent empêcher les fêtes de Noël et certains n'hésitent pas à prophétiser un scénario catastrophe. Pour l'heure le seul qui soit vraiment prophète au sens fort du terme est le pape Jean-Paul II. Dans son message pour la journée mondiale de la paix il s'inquiète à nouveau de la situation : " Le combat fratricide qui convulse chaque jour la Terre Sainte et met en conflit les forces qui façonnent l'avenir immédiat du Proche-Orient montre clairement le besoin d'hommes et de femmes qui, par conviction appliqueront des politiques fermement fondées sur le principe du respect de la dignité humaine et des Droits de l'Homme. " Le Proche-Orient manquent cruellement de ces hommes et de ces femmes...

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