Mondial 2006 (II) : retour sur un coup de tête
Article rédigé par Tugdual Derville, le 20 juillet 2006

Une dernière tête et puis s'en va. Le coup de sang de Zinedine Zidane, suivi par son expulsion précipitant la défaite de l'équipe de France de football en finale de la coupe du monde, a plongé la planète du football dans la sidération.

 

On avait beau se souvenir que ce n'était pas la première fois que "Zizou" disjonctait, qu'il était le type même du faux calme colérique, un tel final dans une telle finale dépassait soudain ce que le football pouvait offrir en matière de drames et de rebondissements. Avec sa sortie du terrain accélérant de quelques minutes – ô combien essentielles – sa retraite, on était sorti du sport.

Zidane avait bien failli, dix minutes auparavant, d'une autre tête – tout ce qu'il y a de plus régulière celle-là – expédier son nom dans la légende du football, tel un demi-dieu. Deux finales, deux buts chacune... Une vie à endurer l'idolâtrie planétaire. Mais le grand Buffon gardait solidement ses buts.

Et voilà notre héros national brutalement redescendu sur terre, et nous avec lui. On acclamait le sportif "galactique", on s'identifiait à son parcours exemplaire, on louait son humilité et sa générosité. On ne parle plus que des limites de l'être humain et même de sa "face sombre". Zidane est devenu le héros d'une tragédie minute, sommé de choisir entre deux devoirs contradictoires : garder la tête froide par abnégation sportive ou l'expédier sur le vilain torse de Marco Materazzi pour venger l'honneur bafoué de sa mère malade. Entre le sport et la famille, il a choisi. Le premier dans un premier temps, et la seconde ensuite. Parce que l'Italien insistait, le vase a débordé, sans réfléchir, par instinct. Avec les mauvais moyens, sans-doute. Mais autrefois, n'aurait-il pas jeté son gant à la figure de l'agresseur et provoqué un duel en bonne et due forme jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Aussi percutant et médiatique fut-il, son coup de tête au buste fut sans grande conséquence pour sa victime, qui n'attendait que cela.

Les spécialistes de la lecture labiale débattent sur ce qu'à bien pu répéter le défenseur italien qu'on sait particulièrement mal élevé. On étudie une sanction pour ses propos. SOS racisme prétend s'en mêler. On s'interroge également sur le maintien pour Zidane du titre de meilleur joueur du mondial, décerné juste avant l'incident. Comment le montrer en exemple aux jeunes prompt à imiter leurs stars ? Après avoir été consolé par le président de la République en personne – qu'il a fortement fait remonter dans les sondages – c'est pour eux que Zidane s'est finalement excusé dignement sur Canal+ le 12 juillet. Sans regretter toutefois, ce qui complique la tâche des éducateurs. Nulle trace de pardon.

Il n'est pas simple pour l'être humain de poser les gestes ajustés au bien. Faiblesse humaine, respect de la famille, sens de l'honneur, maîtrise de soi, éthique... rarement on aura autant débattu sur ces thèmes majeurs. C'est l'étrange leçon d'humanité d'un règlement de compte ordinaire comme les terrains de sports et les préaux en fourmillent.

Devenue grand café du commerce, la France a paru déboussolée. L'Equipe a publié en Une, au lendemain du match, un édito en forme de leçon de morale, questionnant Zinedine Zidane sur ce qu'il allait pouvoir dire à ses fils – il en a quatre – pour justifier son geste. Mais le jour suivant le journaliste s'en blâmait platement, s'accusant de s'être mêlé de ce qui ne le regardait pas. Un sondage affirmait alors que 60% des Français avaient déjà pardonné à Zidane, chiffre que les commentateurs promettaient à la hausse après ses explications télévisées. Michel Drucker, les larmes aux yeux, dressait au 20 heures le portrait robot du "provocateur" : presque un assassin !

Ce dernier, tout en reconnaissant avoir insulté Zidane qu'il jugeait "arrogant", se disait ému de ses accusations, ayant lui-même perdu sa mère à 15 ans. Dans le pourtour méditerranéen, on ne plaisante avec les mères ou les sœurs. Sur Europe n°1, où toutes les célébrités étaient appelées à apporter leur grain de sel, Enrico Macias – qui avouait deux nuits d'insomnies – louait le geste : "J'aurais fait la même chose." Profession de foi surprenante pour l'apôtre de la non-violence et de la paix. Un grand footballeur a semé la zidanie. Il reste un homme. Heureusement.

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