Article rédigé par Jacques Bichot*, le 29 avril 2010
Le projet de loi visant à un encadrement plus strict du crédit à la consommation a été adopté mardi 27 avril en première lecture par l'Assemblée nationale. Une réponse partielle à la dégradation de la qualité de l'accueil des clients, notamment dans les sociétés dites de service.
De nombreuses organisations, sous prétexte de productivité, ont rompu les ponts humains qui les liaient à leurs clients. Impossible de joindre au téléphone un membre du personnel, si ce n'est après avoir consacré plusieurs minutes à un automate. Le moindre dysfonctionnement au niveau des systèmes et réseaux qui assurent d'ordinaire le service pour lequel nous payons se transforme en un problème insoluble ; le comportement le plus efficace est alors souvent de changer de fournisseur, car la souscription d'un nouveau contrat est presque la seule occasion d'entrer en contact avec une personne prêtant quelque attention au client.
L'irrespect automatisé prend également la forme d'un harcèlement commercial effectué soit à l'aide d'automates, soit par l'intermédiaire d'opérateurs humains transformés en machines à délivrer un message faussement personnalisé. Pour les clients, il n'y a là aucune valeur ajoutée, bien au contraire : perte de temps et saturation par des messages inopportuns — des spams , s'il s'agit de courriels — sont la conséquence ordinaire de cette espèce de mendicité commerciale aussi collante que la mendicité de misère à laquelle on se trouve confronté dans certains pays pauvres.
La création d'un fichier national de prêts aux ménages, dont les députés viennent de voter le principe [1], correspond en partie à la déliquescence du service aux particuliers dans un secteur important, le crédit et la banque. L'agence, où des chargés de clientèle ont (avaient ?) pour fonction de connaître les personnes recourrant aux services de leur établissement, est devenue la cinquième roue du carrosse. Le surendettement se produit dans un contexte où l'emprunt n'est plus qu'un contrat isolé conclu, le plus souvent sans contact direct, entre une personne quasiment inconnue et un organisme spécialisé qui n'est pas sa banque – celle où le client dispose d'un ou plusieurs comptes. Il s'agit de produire à la chaîne des prêts, matière première anonyme qui sera transformée en titres ad hoc, comme ce fut le cas pour les prêts immobiliers de mauvaise qualité dits subprime.
Beaucoup de grandes entreprises sont devenues ainsi des monstres de bureaucratie du fait de leur comportement inhumainement capitaliste. Il est effrayant (mais fort instructif) de voir ainsi la passion du profit et celle de l'administration aboutir sensiblement au même résultat : des clients et des administrés reçus comme des chiens dans un jeu de quille, priés de patienter, de perdre leur temps, de remplir mille et un formulaires (l'Internet est, entre autres choses, une immense usine à formulaires), pour obtenir un service de qualité souvent médiocre.
Mépris des personnes
Administrations et grandes entreprises privées se rejoignent donc — pas toutes, heureusement ! — dans le mépris des personnes au service desquelles elles devraient être : certains services publics voudraient que les citoyens se bornent à payer les impôts requis pour le traitement des fonctionnaires, sans avoir aucun droit en échange, et certaines entreprises privées considèrent le client comme une vache à lait qu'il est normal de traire au profit de leurs actionnaires et de leurs dirigeants.
Ce processus de massification et de dépersonnalisation est mauvais pour l'emploi. En effet, la demande est forte pour des services personnalisés, ainsi que l'offre de travail répondant à des critères de qualité relationnelle. Par exemple, à la place d'un trader qui gagne en parasite de la finance un ou deux milliards dans l'année grâce au travail de quelques centaines de collaborateurs qui surfent sur le compactage et la découpe d'opérations déshumanisées, on pourrait avoir des milliers de chargés de clientèle rendant des services réellement sur mesure.
Au lieu de pauvres hères téléphonant à la chaîne, souvent depuis un pays en développement, à des gens qui n'ont rien à cirer de leur baratin destiné à les faire cracher au bassinet en modifiant leur contrat d'accès internet ou d'assurance auto, on pourrait avoir de vrais emplois au service des clients de ces grandes entreprises.
De plus, le travail relationnel utile est généralement motivant et susceptible d'être exercé à un âge où l'on a davantage d'expérience mais moins de résistance aux travaux bêtes et méchants effectués à cadence soutenue. Comment proposer sérieusement d'en finir avec la retraite à 60 ans à des personnes dont le job , très modestement rémunéré, consiste à essayer d'appâter des clients pour une machine à cash ? Par contre, des sexagénaires ayant bénéficié d'une formation continue appropriée ne seraient-ils pas fort bien placés pour conseiller utilement et efficacement les clients septuagénaires et octogénaires de systèmes à fort contenu technologique en évolution rapide ?
On voit souvent le service à la personne trop exclusivement comme un service à domicile : ménage, soins, etc.. Or il existe un immense besoin potentiel de service à la personne dans nos grandes entreprises, et même nos administrations auraient des créations d'emplois à faire dans ce domaine [2]. Beaucoup de ces emplois pourraient être confiés à des seniors. Il ne faut pas laisser les démons convergents de la bureaucratie et du capitalisme déshumanisé [3] s'opposer à leur création.
*Jacques Bichot est économiste, professeur émérite à l'université Lyon III, vice-président de l'association des économistes catholiques.
[1] Projet de loi sur le crédit à la consommation, que l'Assemblée transmet maintenant au Sénat.
[2] Elles pourraient en contrepartie supprimer quantité d'emplois bêtes et méchants si les pouvoirs publics simplifiaient drastiquement la législation et la réglementation.
[3] La doctrine sociale de l'Église a régulièrement mis en garde contre cette double déshumanisation, de l'État et du capital. Aux justifications intrinsèques de cette position s'ajoute, si notre analyse est exacte, le fait que la dite déshumanisation est un redoutable obstacle à la création d'emplois, et particulièrement d'emplois convenant à des seniors.
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