Article rédigé par Jean Flouriot, le 21 octobre 2005
Les sanglantes tentatives de franchissement clandestin des frontières à Ceuta et Mellila sont un signe des temps. Mais l'histoire du monde est pleine de ces mouvements de population à la recherche de richesses fabuleuses, de plantureux pâturages ou d'une vie meilleure.
Yahvé dit à Abraham : "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t'indiquerai." Et, un peu plus tard, poussé par la famine, c'est vers l'Egypte que s'en ira Israël. La population de l'Europe est faite du mélange des peuples venus siècle après siècle du fond de l'Asie pour s'arrêter devant l'Océan. Celui-ci restera infranchissable pendant longtemps mais à partir du XVIe siècle, le mouvement reprendra pour connaître son apogée il y a bien peu de temps : 50 millions d'Européens sont partis vers les Amériques entre 1850 et 1950. Pendant la même période, ils furent moins nombreux mais encore plusieurs millions ceux qui partirent vers les colonies d'Afrique et d'Asie ou les terres nouvelles d'Australie et de Nouvelle-Zélande.
Premier pays européen à tenter de maîtriser sa fécondité, la France a connu plusieurs vagues de migrants européens au cours des cent dernières années. Aujourd'hui, elle est confrontée, et presque toute l'Europe avec elle, à l'afflux des populations africaines et asiatiques à la recherche d'une vie meilleure. Le mouvement le plus visible est celui de l'Afrique vers l'Europe mais il y a aussi de très puissants courants, sans doute plus discrets et mieux organisés, venant de toute l'Asie.
Les migrants ont tous le même objectif : une vie meilleure. Ils jugent impossible d'y parvenir dans leur pays d'origine et partent donc vers ce qu'ils espèrent être un monde plus accueillant. C'est un mouvement irrésistible. Pour quelques centaines qui ont été arrêtés à Ceuta et Melilla, combien de centaines de milliers réussiront à franchir la Méditerranée et à s'installer, d'abord clandestinement et bientôt au grand jour dans nos pays européens ?
Aucune politique s'appuyant uniquement sur la construction de barrières physiques ou juridiques n'arrêtera ce mouvement. Quiconque connaît la très grande pauvreté, l'insécurité, les violences que subissent chez elles ces populations en est vite persuadé. La seule solution durable est la possibilité du développement dans les pays d'où partent ces flots de migrants.
Mais le développement est-il possible ?
La croissance économique de plusieurs pays d'Asie permet d'envisager une réponse positive. Notons cependant que l'émigration chinoise, par exemple, est loin de se tarir. Mais, en Afrique, la mauvaise "gouvernance", les guerres, les accidents climatiques entravent la croissance économique, support indispensable du développement. Les bénéfices que les pays pourraient tirer de la montée des prix des matières premières sont confisqués par des pouvoirs prédateurs. Toute la société est complice de cette situation, chacun espérant un jour participer un tant soit peu au partage du gâteau. Les contraintes de la société "économique" sont d'autant plus difficilement acceptées que la "réussite" des puissants ne s'appuie pas sur le travail et la compétence. Certains auteurs africains ont parlé du "refus du développement".
Certes, les mentalités changent, mais lentement, au rythme des générations et l'émigration ne s'arrêtera pas de sitôt.
Le problème pour nous Européens n'est pas tant cet afflux d'étrangers que notre incapacité à les intégrer, à faire qu'ils ne soient plus étrangers. Nos sociétés vieillissantes, repliées sur les "avantages acquis", ne semblent même pas capables de faire les réformes que nécessite leur propre survie : comment pourraient-elles faire l'effort d'intégration et même d'assimilation nécessaire pour faire de ces étrangers des Européens ? Finalement, c'est à notre propre régénération que les migrants nous contraindront, sous peine de disparition.
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