Article rédigé par Jean Flouriot, le 04 novembre 2005
Les migrations internationales réduisent la pauvreté dans les pays en développement mais donnent lieu à un exode massif des compétences dans certains d'entre eux, selon un rapport publié récemment par le département " recherche " de la Banque Mondiale intitulé Migrations internationales, envoi de fonds et exode des compétences (*).
Près de 200 millions de personnes vivent en dehors de leur pays natal et leurs envois de fonds atteindraient environ 225 milliards de dollars en 2005. Ces transferts sont la principale source de devises dans de nombreux pays. Des enquêtes réalisées au Mexique, au Guatemala et aux Philippines, pays qui comptent plusieurs millions d'émigrants, montrent que les familles comptant des migrants à l'étranger ont des revenus plus élevés que les autres. Mais ce ne sont pas forcément les familles les plus pauvres qui profitent de ces apports extérieurs de fonds : une enquête récente à Kinshasa, capitale de la RD Congo, montre que les ménages les plus riches reçoivent 72 % des transferts nets en provenance de l'étranger.
À l'échelle mondiale, les migrants se rendent dans les pays développés les plus proches : pour ceux en provenance d'Amérique latine, ce sont les États-Unis et le Canada, pour ceux en provenance d'Afrique et du Moyen+Orient, l'Europe. Il faut noter la présence importante des Philippins dans les pays arabes producteurs de pétrole et rappeler les persécutions religieuses dont ils sont victimes en Arabie saoudite. La présence de réseaux de migrants dans les pays de destination encourage la poursuite des migrations car ces réseaux réduisent leur coût tout en fournissant aux nouveaux arrivés les contacts nécessaires pour trouver un emploi.
Si les données et les analyses des envois de fonds des migrants font ressortir l'impact positif des migrations sur le développement, la situation est moins favorable quand des ressortissants très instruits de pays en développement migrent, provoquant un exode de compétences parfois qualifié de " fuite des cerveaux ".
En Haïti et en Jamaïque, huit diplômés universitaires sur dix partent à l'étranger. Dans les pays d'Afrique au Sud du Sahara, les taux d'émigration des diplômés de l'enseignement supérieur sont de 30 à 50 % et l'Europe n'est pas leur seule destination : les Congolais forment une part importante du corps médical des hôpitaux de Johannesburg. À l'échelle de l'ensemble de l'Afrique au Sud du Sahara, si les travailleurs qualifiés ne représentent que 4 % de la population active, ils représentent 40 % des migrants. Ces diplômés appartiennent aux familles " riches " de leur pays d'origine ce qui explique la part importante des transferts reçus par ces familles.
Tous les hommes aspirent à une vie meilleure ; il n'est pas étonnant que les plus instruits, les mieux informés qui ne trouvent pas chez eux les conditions de vie souhaitées soient les candidats au départ les plus actifs. Des programmes de réinsertion des personnes qualifiées ont été organisés par l'Union européenne, apportant des compléments de revenus lors du retour au pays. Ils n'ont eu guère de succès car le revenu monétaire n'est pas le seul avantage comparatif dont jouissent les migrants : le cadre de vie et la protection sociale des pays développés sont beaucoup plus attrayants que dans leurs pays d'origine.
Il est facile de leur faire un devoir de participer coûte que coûte au développement de leur pays. Ce dévouement au bien commun est-il la motivation dominante des jeunes Français diplômés de l'université ou des écoles supérieures ? Ne sont-ils pas eux aussi à la recherche d'un travail intéressant et bien rémunéré, le reste leur étant déjà acquis par leur naissance dans une société développée ?
Nous ne pouvons pas rester indifférents devant la grande pauvreté dans laquelle vivent 80 % des habitants de notre monde : " Dans nos pays industrialisés, s'interrogeait récemment devant des parlementaires Mgr André Vingt-Trois, archevêque de Paris, qui osera dire que l'accueil de l'étranger et l'aide au développement passent par un effort de solidarité qui inclut la remise en cause de nos modes de vie(**) ? "
(*) Source : Banque mondiale, 2005.
(**) Homélie de la messe de rentrée des responsables politiques, Paris, Basilique Sainte-Clotilde, 11 octobre 2005.
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