Article rédigé par Document (extraits), le 09 décembre 2005
Le 3 décembre, l'archevêque de Paris réunissait les principaux responsables et représentants des forces vives du diocèse de Paris. Au cours de son intervention (dont on trouvera le lien avec le texte intégral infra), Mgr Vingt-Trois a tracé les grandes lignes de son ambition missionnaire pour Paris, dix mois après son arrivée à la tête de l'archidiocèse.
Il a précisé les champs prioritaires d la Mission où "la communion avec Dieu, célébrée en Église" doit se déployer "en ce temps de l'histoire des hommes" : le champ éthique et social, les familles et les jeunes. Original et vigoureux.
" VENONS-en [...] aux orientations missionnaires elles-mêmes en soulignant divers domaines ou champs d'activité dans lesquels il me semble que notre Église doit s'investir en priorité. Je vous laisse le soin de déterminer les objectifs et les modalités selon les situations dans lesquelles vous vous trouvez, les opportunités qui se présentent et les moyens dont vous disposez.
Le champ de l'éthique
Ne vous laissez pas impressionner par le mot et pensez à la réalité. Beaucoup de gens ne savent plus ce qui est bien et mal. Ils suivent les modes et la "pensée correcte", c'est-à-dire qu'ils vivent dans un conformisme moutonnier. Mais, en même temps, ils sentent que ce qu'on leur vend comme ce que "tout le monde fait" ou comme des modèles "branchés" ne colle pas bien avec leur sens de l'homme. Il y aurait beaucoup d'exemples à prendre, je les évite pour faire court. Dans leur perplexité ou leur désarroi, il ne leur manque souvent que de rencontrer quelqu'un qui OSE.
Quand je dis quelqu'un qui ose, je ne pense pas à des bravades de "Père la Rigueur". Je pense à des hommes et des femmes ordinaires qui vivent humblement les vertus humaines, et même civiques si vous voulez, et qui sont prêts à rendre compte de leurs choix de vie. Pourquoi tenir quand le ménage bat de l'aile ? Pourquoi préférer qu'un enfant ait un père et une mère plutôt que deux pères ou deux mères ? Pourquoi refuser de faire de l'enfant un objet à notre disposition ? Pourquoi accepter plusieurs enfants avec les charges que représente une famille nombreuse ? Pourquoi ne pas éliminer les handicapés ou les vieillards ? Pourquoi ne pas profiter de toutes les possibilités pour arranger les comptabilités et truquer les bilans ? etc.
Cette dimension éthique de l'existence n'est pas un simple souci de conformité à une morale judéo-chrétienne, dont on n'a d'ailleurs pas lieu de rougir. Elle constitue un pas décisif dans la possibilité d'être atteint par l'Évangile du Christ. Saint Jean nous dit que "la lumière est venue dans le monde et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière car leurs œuvres étaient mauvaises" (Jn 3, 19).
Nous comprenons que l'appel de Jean-Baptiste à la conversion vise les comportements quotidiens et ordinaires à la lumière des grands critères de la moralité. Encore faut-il ne pas avoir ignoré, perdu ou oublié ces critères !
Notre manière de vivre doit témoigner que l'être humain est fait pour gouverner sa vie et non pour la subir. Jamais l'annonce de la Bonne Nouvelle ne peut toucher des cœurs qui sont ligotés dans leur liberté par la domination des désirs ou englués dans la fascination du mal. Notre mission est d'entrer en dialogue et en discussion dans les lieux où ces questions éthiques sont posées, - et ces lieux commencent sur les paliers devant nos appartements -, et d'y défendre la dignité de l'homme par notre mode de vie comme par notre discours.
Le champ social
C'est aujourd'hui un truisme de dire que notre société souffre d'une détérioration du lien social. Les événements récents en ont donné un signe supplémentaire. Ne croyons pas que la capitale soit indemne de cette dégradation. Comment comprenons-nous ce qui arrive ? Pouvons-nous contribuer à apporter des remèdes ?
On peut évidemment s'interroger sur la capacité d'une société à engendrer et nourrir des liens sociaux sans un minimum de valeurs reconnues et transmises, sans un patrimoine collectif qui est à la fois un héritage à respecter et un projet à transmettre. À quoi faudrait-il s'intégrer, à quels modèles de vie ? Quelles références peuvent s'imposer chez nous pour établir ou rétablir le respect des personnes et de leurs diversités ? Certes, les théoriciens de la vie sociale ont tous des réponses, mais nous savons que leur mise en œuvre est moins simple que leur publication.
Il me semble que nous sommes en mesure d'apporter quatre contributions positives pour développer le lien social dans la situation actuelle.
1/ D'une part, nos communautés chrétiennes sont elles-mêmes traversées par les diversités ethniques et culturelles de la société. Il est important que nous progressions dans la prise en compte de ces diversités. Comment pouvons-nous donner un exemple de véritable accueil de ceux qui sont différents, même s'ils ne sont pas tous étrangers ? Sommes-nous assez soucieux de faire place à la diversité des expériences et des compréhensions de la vie chrétienne autrement que sous la forme d'un accueil de curiosités exotiques de temps en temps, sans que rien ne soit changé à nos habitudes et à nos théories ? Que sommes-nous prêts à recevoir de ceux qui nous viennent d'ailleurs ? Sommes-nous disposés à ne plus être des communautés qui accueillent des étrangers mais des communautés dont l'unité vécue permet de recevoir avec joie les différences et de les respecter réellement ? Devenons-nous vraiment des communautés catholiques ?
2/ D'autre part, nous avons la chance d'être très bien implantés dans les différents quartiers de la capitale. Sommes-nous résolus et nous préparons-nous à aller au devant des autres dans les relations très ordinaires du voisinage et les occasions de rencontres quotidiennes ? Ces actions, personnelles ou associatives, ne sont guère spectaculaires et sont souvent très lourdes à assumer, mais n'est-ce pas le premier pas d'un authentique effort de mise en relation des uns et des autres que d'affronter ensemble les questions habituelles de l'existence ?
3/ Nous devons encore nous demander si les chrétiens sont assez présents dans les responsabilités de la vie collective : associations de locataires, associations de parents d'élèves, comités de quartier, conseils municipaux, etc.
4/ Il faudrait enfin nous interroger sur la contribution des chrétiens dans les œuvres de solidarité. Les chrétiens sont d'une grande générosité. Nous avons des organisations nationales et internationales catholiques de grande valeur et d'une réelle efficacité. Sans doute pourrions-nous améliorer leur implantation et leur coordination dans les différentes communautés locales. Où en est-on de la mise en place et du développement des équipes locales pour la solidarité ?
Le champ des familles
La famille est aujourd'hui un lieu de grande épreuve. Dans beaucoup de cas, elle est un lieu de souffrance et même parfois de violence. Les développements de la violence sociale nous permettent de vérifier combien l'expérience familiale est à la fois un creuset pour l'apprentissage de la vie collective et une instance de régulation irremplaçable dans l'éducation des jeunes à la vie sociale. Nous ne pouvons pas nous contenter de proposer un modèle de la famille, comme si nous étions les dépositaires attitrés de sa réussite, sans nous engager, à tous les niveaux, dans un travail de longue haleine pour aider au développement de meilleures conditions pour la vie familiale.
Nous avons fait beaucoup, et nous faisons encore beaucoup, pour la préparation au mariage et le soutien à un engagement sérieux des époux. Nous savons que cela ne suffit pas. Il faut aussi accompagner les familles dans leur aventure et leurs épreuves. Là encore, il ne s'agit pas tant de nouvelles organisations compliquées que de présence attentive à notre entourage. Avons-nous le souci de fournir aux époux et aux parents la possibilité de partager leurs expériences, de parler de leurs difficultés et de trouver des interlocuteurs attentifs et disponibles ?
Beaucoup de paroisses comptent des familles jeunes dans leurs rangs, plus qu'on ne le croit généralement. Comment les aidons-nous dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives ? Comment les encourageons-nous à entrer en contact régulier avec les autres familles de leur génération ? Comment essayons-nous de partager les dons que nous avons reçus dans ce domaine ?
Le champ de la jeunesse
C'est une tranche large, depuis l'enfance jusqu'à l'entrée dans la vie professionnelle et la fondation d'une nouvelle famille. Selon les lieux et la structure sociologique des paroisses, les priorités ne peuvent pas être les mêmes. Je veux simplement donner ici une ligne générale à décliner selon les cas.
La jeunesse n'est pas une détermination métaphysique et nous ne cédons pas au "jeunisme" de la publicité. Mais notre société a une difficulté particulière avec sa jeunesse. D'un côté, les liens affectifs des parents avec leurs enfants sont vécus et présentés comme prioritaires et pas toujours d'une manière très réaliste ni très éducative. D'un autre côté, il est clair que la jeunesse dans son ensemble est perçue comme un problème. Si bien que nous pourrions dire, sans trop de paradoxe, que si les Français aiment beaucoup leurs enfants en particulier, ils craignent la jeunesse en général.
Est-ce la pyramide des âges ou la crispation sur une situation économique, je ne sais, mais il ne faudrait pas chercher très loin pour ressentir la jeunesse comme une menace. Or, nous le savons, avant d'avoir trouvé sa place dans la société, un jeune a besoin de confiance. Et c'est la confiance raisonnée qui est le meilleur vecteur de progrès et donc la disposition principale de l'éducation. Comment pratiquons-nous cette confiance envers les jeunes ?
On ne peut pas abandonner une jeunesse à la fascination des rêves "gothiques" et des sites "gores", aux fantasmes sur la mort pour finir par le suicide ou l'autodestruction de son environnement. Nous devons nous interroger sur la hiérarchie des priorités dont notre société fait la promotion. A nous voir vivre, à nous entendre parler, à considérer nos choix, à regarder nos "reality-show", quel idéal de vie s'offre à notre jeunesse ? Quel sens de l'homme quand on indemnise pour la perte d'un chien de compagnie, mais pas pour la perte d'un fœtus humain ? A quoi accordons-nous pratiquement la première place ? Comment rendons-nous compte de ces choix ?
L'Évangile du Christ nous donne une vision positive de l'existence humaine. C'est l'espérance dans la possibilité de transformer le monde par l'amour qui peut séduire et mobiliser les jeunes en leur permettant de voir l'avenir comme une promesse et non comme une malédiction . L'Église dispose d'une expérience pédagogique séculaire pour éveiller et conforter les libertés personnelles. Ne la laissons pas disparaître !
Je n'ajouterai pas d'autres champs d'application à la mission. Comme toujours, l'énumération a causé des déceptions à tous ceux qui sont convaincus que leurs activités sont les plus importantes. Qu'ils sachent que je ne les rejette pas. Mais le principe des priorités, c'est de choisir. Et tout choisir, c'est ne choisir rien. "
+ André VINGT-TROIS,
archevêque de Paris
"Notre mission à Paris", texte intégral
© Photo www.catholique-paris.com
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