Article rédigé par Propos recueillis par Michel Gitton et Samuel Pruvot, le 27 juin 2003
Dimanche 29 juin, l'Église fête saint Pierre et saint Paul. Mgr André Vingt-Trois ordonnera un jeune diacre de son diocèse, Jean-Emmanuel Garreau (photo). L'archevêque de Tours répond aux questions de "France catholique" sur l'aventure du sacerdoce, l'éveil des vocations, la mission de l'évêque, des prêtres et des familles dans l'éveil des vocations.
" L'appel de Dieu, c'est le cœur brûlant, le noyau atomique de la question des vocations. "
Mgr André Vingt-Trois, comment provoquer un nouvel intérêt pour le sacerdoce ?
Nous pouvons nous poser la question suivante : "Quelle est l'aventure qui est proposée dans le sacerdoce ?" Pour un jeune professionnel ou un jeune étudiant, quelle est l'aventure humaine assez motivante pour justifier d'abandonner un projet de carrière ? Je parle d'un homme "normal", qui a envie de faire quelque chose dans la vie. Cette question ne se pose pas seulement sous l'angle économique et consumériste. La vocation suppose de renoncer à une fonction dans la société. Mais quelle est la mission ecclésiale et sociale du prêtre qui va mobiliser son énergie intérieure et ses capacités d'action ?
Ce côté aventure serait-il un atout pour un candidat au sacerdoce ?
Cette année j'ai ordonné un nouveau prêtre. Nous avons essayé de donner un contenu mobilisateur à son ministère. Il n'est pas simplement là pour attendre les coups de téléphone et faire les enterrements, les baptêmes, les mariages. Il est là pour aider une communauté chrétienne à vivre l'évangile et à en témoigner dans un contexte humain donné. Ce besoin d'aventure est aussi chrétien. On pourrait dire que : l'aventure, c'est un nom séculier de la mission apostolique. Il ne peut pas y avoir de don vraiment généreux de soi sans un minimum d'enthousiasme, et même plus qu'un minimum.
Est-il possible de réinventer le sacerdoce ?
Il ne s'agit pas de réinventer le sacerdoce, mais de chercher les modalités selon lesquelles il doit s'exercer dans notre temps et dans notre société. C'est plus facile de trouver des gens généreux pour faire des choses bien définies que des " inventeurs " capables de susciter de nouvelles manières de faire. On voit des prêtres, encore jeunes, paraître démunis de projets apostoliques et demander souvent : que faut-il faire ? Tout ce que nous avons à faire n'est pas écrit d'avance. Quand le Curé d'Ars est envoyé dans sa paroisse, il n'a pas reçu de mission très définie. Nous devons faire le même effort d'invention dans nos situations. Non pas faire ce que faisait le Curé d'Ars, mais avoir la même passion pastorale que lui. Je suis souvent tenté de dire : "Essayez quelque chose avec les chrétiens. Laissez-vous guider par la passion de l'Evangile."
Le contenu du ministère sacerdotal a-t-il beaucoup changé ?
Dans beaucoup de leurs aspects les tâches du ministère sont devenues problématiques, comme si elles s'étaient desséchées au soleil.. Entre 1950 et 1960, tous les jours, dans ma paroisse parisienne, un groupe récitait le chapelet. Vingt minutes plus tard, le prêtre qui était "de garde" à la sacristie venait exposer le Saint-Sacrement. Le jour où ce groupe a disparu, le vicaire n'allait pas exposer le Saint-Sacrement pour lui tout seul ! C'est la même histoire avec mon ancien abbé de patronage. Quand j'avais 10 ans, je le voyais encadrer des centaines de jeunes. Je pouvais me dire : "Ce serait bien de faire comme lui !" Mais 20 ans plus tard, la situation n'était plus la même. Il fallait trouver d'autres objectifs pour vivre le sacerdoce.
Dans votre itinéraire personnel, avez-vous rencontré des éveilleurs de vocations ?
Quand je me suis posé pour la première fois la question de la vocation - c'était en 1950 - j'ai eu la chance de côtoyer plusieurs modèles de prêtres très différents. Il y avait d'abord mon curé de campagne. En l'espace de 25 ans, il avait baptisé, catéchisé, marié et enterré presque toutes les familles du village ! Je connaissais aussi le curé de ma paroisse parisienne qui avait été séminariste au moment de la séparation de l'Église et de l'Etat, en 1905 (tous les prêtres de sa génération avaient été obligés d'inventer un nouveau type de ministère). Il y avait encore un aumônier de lycée, jeune et dynamique, qui manifestait la présence de l'Église dans un milieu indifférent. Tous ces prêtres, pour être très différents, partageaient un même sens du sacerdoce. Chacun, à sa manière, a été pour moi un éveilleur de vocation. Tous avaient une conviction commune : l'Église doit appeler des hommes à être prêtre à la manière des apôtres.
Le prêtre du XXIe siècle peut-il imiter le modèle des apôtres ?
Je ne pense pas que cette vision du prêtre soit devenue caduque. Je pense plutôt qu'il y a eu un bouleversement de la vie ecclésiale. Après 1945, on a assisté à un effondrement de la pratique chrétienne, qualitatif, puis quantitatif. Tous les fidèles n'avaient pas reçu "l'équipement" nécessaire pour faire face à cette nouvelle situation. Beaucoup allaient à la messe par habitude mais l'emprise du christianisme sur les décisions de leur existence était très inégale. Plus les gens ont été confrontés à des situations dures et complexes et moins la pratique chrétienne leur est apparue comme une réponse opératoire ou adéquate. Ils se sont détachés. Ni de la foi, ni de l'Église, mais de la pratique chrétienne. La foi est passée dans le registre des convictions privées et l'Église est devenue un élément de l'enracinement sociologique.
Faut-il encourager la formation des servants de messe ?
Le prêtre est ordonné pour célébrer l'Eucharistie. Si on ne donne pas aux jeunes garçons un rôle actif dans la célébration eucharistique, il n'y a pas de raison qu'ils s'imaginent un jour devenir prêtres. La question importante est de savoir s'ils aiment participer à l'eucharistie. Ce n'est pas par hasard si les groupes de servants d'autel sont un lieu de vocation.
Comment remplir à nouveau les séminaires diocésains ?
Humainement, on a l'image d'une troupe fatiguée. L'encadrement ecclésial semble s'user. Quelles perspectives d'avenir ? C'est bien là le problème. Dans un diocèse moyen comme le mien, la plupart des prêtres sont de bons prêtres ! Mais ce qu'ils vivent, est-il de nature à convaincre des jeunes de vivre la même chose ? On comprend l'attrait pour les communautés nouvelles car elles donnent l'impression d'une vitalité prospective. Le premier problème n'est donc pas celui des vocations sacerdotales mais celui de la vitalité de nos communautés chrétiennes. Assurer le service des retraités n'est pas une perspective suffisante ! Si les communautés chrétiennes ne se laissent pas conduire par le dynamisme de l'Esprit-Saint et ne donnent aucun signe de ce dynamisme, elles n'auront aucune chance de mobiliser des énergies humaines et spirituelles et de motiver des jeunes à donner leur vie pour l'Evangile, ni comme prêtres, ni d'ailleurs comme laïcs.
Les exigences de la prêtrise sont-elles trop difficiles pour les nouvelles générations ?
Le ministère sacerdotal, c'est une expérience humaine très forte, une épreuve réelle sur le plan de l'argent, de la sexualité et du pouvoir. Pour que ça marche, il faut des gens capables de vivre en imitant le Christ, capables de maîtriser leurs appétits. Il faut pouvoir intégrer l'ascèse comme un élément de sa vie quotidienne.
Quels sont les clés d'un renouveau de la spiritualité sacerdotale ?
Le premier élément fondamental consiste à se souvenir que c'est Dieu qui appelle. Toute la tradition biblique, depuis les prophètes jusqu'aux apôtres, est traversée par cet appel de Dieu. On s'expose à ne rien comprendre aux vocations si on se contente de réfléchir aux médiations. Les gens épiloguent indéfiniment. "Il suffirait de faire telle ou telle chose on aurait plus de vocations." Barca ! On n'aurait rien du tout !
Le problème est de saisir l'enjeu théologal de la vocation. De même que toutes les activités pour soutenir le mariage ne servent à rien si on oublie le facteur décisif : l'amour mutuel d'un homme et d'une femme, toutes les initiatives pastorales pour appeler des prêtres ne serviront à rien si on oublie le facteur décisif : l'appel de Dieu. C'est le cœur brûlant du dispositif, le noyau atomique, de la question des vocations.
Comment faire entendre cet appel du Christ ?
Il n'y aura aucune vocation, ni sacerdotale, ni religieuse, ni communautaire, ni laïc, etc., si les enfants d'abord, puis les jeunes adultes ne sont pas entraînés dans une relation personnelle avec le Christ. Une vocation suppose une question décisive du type : "Veux-tu me suivre ?" Si nous ne prenons pas les moyens de susciter cette relation personnelle, tous nos efforts seront comme de l'eau sur une toile cirée.
La première question que je pose aux catéchistes est : "Comment apprenez-vous aux enfants à prier ?" Si, au bout de quatre ans de catéchisme, ils ont quelques doutes sur la manière de s'exprimer sur la Trinité ce n'est pas très grave ! Mais s'ils n'ont aucune expérience de la rencontre vécue avec le Seigneur - et aucune intériorisation de quelques prières fondamentales - j'estime que nos efforts n'auront servi à rien.
Je demande aux aumôniers des collèges et des lycées : "Comment invitez-vous les jeunes à une expérience de prière de 24 heures ou plus ?" Si on ne propose pas cela aux jeunes, ils ne peuvent pas devenir vraiment chrétiens ni accueillir aucun appel de Dieu pour leur avenir. Pour qu'ils puissent être touchés par Dieu, il faut qu'ils se mettent devant Dieu, à l'écoute de Dieu.
Quelle formation préconisez-vous pour les séminaristes ?
Une initiation biblique complète est incontournable. Mais tout prêtre n'est pas appelé à devenir un spécialiste d'exégèse. Cette formation biblique doit être intégrée spirituellement. Le prêtre doit vivre dans la Bible et de la Bible. Il doit se former à une Parole vivante destinée à un peuple. Sur le plan de la philosophie, une bonne initiation critique aux courants philosophiques modernes est nécessaire. Un prêtre ne doit pas être séduit par des systèmes philosophiques, dont il n'est pas capable d'identifier la provenance ni les présupposés. Le séminaire doit construire, chez chacun, les moyens de l'esprit critique. Sur le plan théologique, je crois qu'il faut insister sur le fait de la Révélation. Les prêtres sont soumis à l'autorité de la Révélation. Ils ne sont pas les maîtres de leur parole ! Certains domaines du dogme ont une actualité particulière : l'Incarnation et la prise en considération de l'histoire, la Résurrection et les croyances en la réincarnation, etc.
La formation des séminaristes est-elle à revoir de fond en comble ?
Les itinéraires de formation doivent toujours être soumis à révision. Mais ce serait une illusion de croire que la formation est la seule clef de tous les problèmes. Pour ce qui est des séminaires, nous avons des documents de référence, émanant soit du Saint-Siège, soit de la Conférence épiscopale française. Ces documents sont très bons. Cela prouve qu'il ne suffit pas d'avoir de bons instruments pour réussir. Les orientations de la formation théologique sont claires et, la plupart du temps observées. La formation pastorale est plus fluctuante. Je ne pense pas qu'il serve à grand-chose de former les générations futures en espérant assurer la pérennité de ce qui existe. Il ne leur sera pas possible de reconduire ce qui existe. Par contre, il y a des expériences fortes indispensables, la confrontation à des situations existentielles limite : la souffrance, la mort, l'amour. Comment un homme est-il capable de rendre témoignage de la foi dans ces situations ? Les séminaristes doivent rencontrer des témoins de la foi pour percevoir les enjeux et les exigences d'une vie militante.
Les jeunes prêtres ont souvent du mal à faire leur place dans les diocèses. Pourquoi ?
Être prêtre, c'est devenir membre solidaire d'un presbyterium autour d'un évêque. Le jeune que j'ai ordonné le 30 juin dernier - il est seul de sa catégorie - doit pouvoir se reconnaître comme frère avec un prêtre de 80 ans, de 60 ans ou de 40 ans. Cette continuité des générations pose problème à cause de l'effondrement d'une génération. Les prêtres de 40-60 ans sont peu nombreux et ont du mal à se reconnaître dans leurs successeurs, comme d'ailleurs dans leurs prédécesseurs.
Quel est le rôle de l'évêque dans la "politique" des vocations ?
La mission de l'évêque n'est pas très simple ! Il doit être sacramentellement présence du Christ à son Peuple et il doit assurer la cohésion de son presbyterium. L'évêque ne doit pas volatiliser son presbyterium en clans. Sa préoccupation est de mesurer l'impact de ses décisions. Cette précaution n'autorise guère les discours prophétiques enflammés... Plus je fais une proposition originale plus je sollicite l'adhésion personnelle des membres de mon presbyterium. Alors ceux qui ne peuvent pas adhérer auront le sentiment d'être laissés au bord du chemin. Mais en même temps, la mission de l'évêque est d'être un stimulant de la vie apostolique et missionnaire de son Église ! Il dépend de lui que l'esprit d'aventure trouve sa place dans l'Église. Si l'évêque ne fait pas de propositions ou n'assume pas celles de ses collaborateurs, il laisse s'endormir son Église. L'appel au sacerdoce est une des missions prioritaires de l'évêque car il doit constituer le presbyterium avec les hommes que Dieu lui envoie.
En temps de crise, l'évêque doit-il privilégier l'audace ou la prudence ?
Un organisme fragilisé ne peut pas supporter des médecines très violentes. Elles le désintégreraient. Par exemple, dans certains secteurs difficiles soit de banlieues urbaines, soit de zones rurales pauvres, je rêve parfois de pouvoir envoyer une quinzaine de chrétiens faire du porte à porte. Mais si je fais cela une bonne partie des chrétiens du secteur seraient décrochés. Ce que je peux faire dans l'immédiat, ce sont des mesures homéopathiques qui changent la situation peu à peu. Je peux appeler quelques groupes et essayer de les "naturaliser" dans le diocèse, en espérant qu'ils garderont leur dynamisme apostolique. Il y a des individualités, prêtres, religieuses ou laïcs, qui sont de vrais missionnaires, qui font des choses épatantes. Moi, dans mon rôle de père de tous, je dois aider le presbyterium à comprendre ces personnalités et à les accepter. Mais je ne peux pas dire : "Tout le monde doit faire comme eux !"
Pourquoi ?
D'un certain point de vue, nous ne sommes pas encore assez pauvres ! Quand on est dans une véritable misère on ne fait pas la fine bouche sur les secours qui nous arrivent. On les accueille avec reconnaissance. Quand on est encore riche on peut se permettre d'être difficile.
Entretien à paraître dans France Catholique n°2888 daté du 27 juin, 60, rue de Fontenay 92350 Le Plessis-Robinson. Tél. 01 46 30 37 38 - Abonnement un an = 104 euros.
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