Mgr Tauran tire la sonnette d'alarme
Article rédigé par Jean Choisy, le 30 mai 2003

Le texte tient en un feuillet. Il est censé donner le souffle qui manque à l'Europe. C'est un pensum d'apparatchik qui tiendra bonne place dans l'anthologie de la poésie bureaucratique. Le " projet de Préambule du traité instituant la Constitution " que vient de publier le Praesidium de la Convention est une performance pour ne fâcher personne, mais son lyrisme ampoulé risque bien de mécontenter tout le monde.

Au Vatican, Mgr Tauran s'est inquiété : "Une opération idéologique est en cours, avec l'intention arrogante de réécrire l'histoire."

 

Ce Préambule était très attendu, notamment par les catholiques. Après la publication mardi 27 mai de la première partie révisée du projet de traité " constitutionnel " proposé par la Convention, assurant le respect de la liberté religieuse, le texte du préambule devait indiquer la nature de la référence à Dieu et à l'héritage chrétien proposée par le Praesidium.

 

Sans attendre la publication du projet de Préambule, les représentants de la Commission des épiscopats européens (Comece) ont salué le maintien de l'article 37 (devenu article 51) sur le respect des législations nationales régissant les relations Église-État. Mais dans une interview publiée dimanche 25 mai par le Corriere della Sera, Mgr Tauran ne cachait pas son irritation.

L'Union s'engagerait au respect du statut des Églises prévu par les législations nationales et au dialogue avec celles-ci. " J'espère que toute cela sera confirmé dans la version définitive ", a dit Mgr Tauran. L'article 51, adopté au lendemain de la publication du Manifeste de Bruxelles par onze députés catholiques européens, le 3 avril dernier, prévoit que " l'Union respecte et ne préjuge pas (does not prejudice) du statut dont bénéficie, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou les communautés religieuses dans les États membres " (1).

A propos du Préambule, dont les termes étaient toujours en cours de discussion, le prélat tirait la sonnette d'alarme. Selon des sources bien informées, un compromis était acquis autour de la reconnaissance du " patrimoine religieux ", accepté par la France. Mais le Saint-Siège ne peut se contenter d'une formule floue. " Même la mention générale de "patrimoine religieux" serait inadéquate ", a jugé Mgr Tauran, qui souhaite la mention du " patrimoine religieux, et spécialement chrétien " dans le texte fondamental.

Le texte publié mercredi confirme les craintes du diplomate romain. Qu'on en juge :

" Conscients que l'Europe est un continent porteur de civilisation, que ses habitants venus par vaques successives depuis les premiers âges de l'humanité, y ont développé progressivement les valeurs qui fondent l'humanisme : l'égalité des êtres, la liberté, le respect de la raison...

" S'inspirant des héritages culturels, religieux et humaniste de l'Europe, qui, nourris par les civilisations hellénique et romaine, marqués par l'élan spirituel qui l'a parcourue et est toujours présent dans son patrimoine, puis par les courants philosophiques des Lumières, ont ancré dans la vie de la société sa perception du rôle central de la personne humaine, de ses droits inviolables et inaliénables, ainsi que du respect du droit, ... "

À propos de l'élargissement, l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne est jugée " problématique " par le prélat français, de même que celle d'Israël et de la Russie. On sait que la Turquie est candidate à l'intégration à l'UE depuis décembre 1999, contrairement à Israël ou à la Russie, mais certains voudraient intégrer ces derniers. " L'inclusion de la Russie, de la Turquie et d'Israël pose le problème des frontières géographiques de l'Union " a expliqué le ministre des Affaires étrangères du Vatican. Mgr Tauran suggère d'offrir la priorité à des pays comme la Moldavie ou l'Ukraine, plutôt qu'aux trois autres pays, dont les habitants sont en majorité non catholiques, mais respectivement orthodoxes, musulmans et juifs. " Est-il possible que tous les pays partageant le patrimoine de valeurs chères à l'Europe fassent acte de candidature et d'adhésion à l'Union ? N'y a-t-il pas une nécessité d'imposer des frontières géographiques à cette Union ? ", demande-t-il.

Ces questions révèlent la difficulté rencontrée par les Européens qui n'envisagent pas l'avenir de l'Europe sur une construction idéologique ou sur la primauté du commerce. Mais les initiatives se multiplient pour que les plus sérieuses garanties juridiques du respect de la dignité de la personne humaine et du droit des nations soient intégrées au Traité fondateur. Le 14 juin prochain, les délégués responsables de la Convention des chrétiens pour l'Europe, représentée en France par la Fondation de Service politique, rencontreront les plus hauts responsables de la Secrétairerie d'État du Saint-Siège pour présenter le bilan des colloques de Barcelone (novembre 2002) et de Bruxelles (avril 2003) et pour ajuster leurs projets.

Des résultats significatifs ont déjà été obtenus, si l'on compare les premiers textes élaborés par la Convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing et la Charte européenne des droits fondamentaux signée en décembre 2000.

C'est désormais essentiellement une question de calendrier. Les difficultés rencontrées par Valéry Giscard d'Estaing laissent penser que les délais fixés à la Convention pour aboutir seront largement dépassés. À quelques semaines de la présidence italienne de l'Union européenne, Mgr Tauran souhaite profiter de l'appui du gouvernement Berlusconi, favorable aux désirs du Saint-Siège. Il souhaite " que puisse être conclu le processus constitutionnel, avec la célébration de la Conférence intergouvernementale et la signature du Traité. Il serait significatif que cela puisse se produire à Rome, où fut signé le 25 mars 1957 le Traité qui donna naissance à la Communauté économique européenne... Je suis confiant que l'Italie, a poursuivi Mgr Tauran, avec son patrimoine historique, culturel, religieux et juridique considérable, sache encore une fois faire resplendir l'humanisme qui a fait la grandeur de l'Europe d'hier et dont l'Europe de demain a besoin pour devenir une authentique famille de nations, qui respecte et promeuve les droits humains et les libertés fondamentales ".

Le Praesidium a annoncé qu'il présenterait le 5 juin une nouvelle version du chapitre controversé sur les institutions.

Sur ce sujet, dernière minute :

COMMUNIQUE de M. Joaquín Navarro-Valls,

directeur de la Salle-de-Presse du Saint-Siège, vendredi 30 mai 2003 :

Le Saint-Siège "a constaté avec satisfaction que la Convention européenne avait inclus dans le projet d'Article 51 de Constitution de l'Union la Déclaration 11 annexe au traité d'Amsterdam, prévoyant le dialogue permanent des institutions avec les Eglises et les communautés religieuses, et reconnaissant l'identité comme le rôle de ces dernières".

"Le projet initial de Préambule constitutionnel mentionne en outre

différentes traditions ayant puissamment contribué à l'élaboration du

patrimoine européen. Mais on est surpris de l'absence de toute mention

explicite du christianisme".

"C'est la raison pour laquelle on partage l'opinion des membres de la

Convention ayant proposé d'inclure le christianisme dans la nouvelle version

du Préambule, dans le respect de la vérité historique et en vue d'un

meilleur équilibre de ce texte".

Pour en savoir plus :

Le projet de Préambule du Traité

Le projet révisé du Traité (1e partie)

(1) Alertée par le caractère ambigu de la traduction française relevé par l'Église de France, le député Élizabeth Montfort est intervenue auprès du Praesidium pour s'assurer que le verbe " préjuger " s'entendait bien par " ne porte pas préjudice " (does not prejudice). Ceci lui a été confirmé par le secrétaire général de la Convention le 12 mai, qui mentionne toutefois être sensible à l'ambiguïté relevée.

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