Article rédigé par Pierre-Olivier Arduin*, le 25 janvier 2008
Valérie Pécresse, ministre de la Recherche, l'avait promis ; tous les sujets seraient posés sur la table des discussions dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique. Ouverture de l'assistance médicale à la procréation en faveur des couples de femmes homosexuelles, création d'embryons chimériques homme-animal dans le sillage de la récente autorisation britannique, dépénalisation du clonage scientifique, autorisation encadrée des mères porteuses.
Propos confirmés pour les mères porteuses par la création d'un groupe de travail à l'initiative conjointe de la commission des affaires sociales et de la commission des lois du Sénat. On connaît depuis le 15 janvier dernier sa composition [1] et sa mission ; un communiqué de la Chambre haute précise que le bureau mis en place procéderait à de nombreuses auditions et à un déplacement au Royaume-Uni, pays qui autorise cette pratique.
Tourisme procréatif
Il ne s'agit pas vraiment d'une surprise, d'autant que différentes affaires ont donné lieu ces derniers mois à une médiatisation importante de la question. La plus emblématique concerne un couple français dont la femme est atteinte d'une malformation congénitale utérine l'empêchant de concevoir un enfant. Les conjoints décident de recourir en 1999 à une mère porteuse californienne — un des nombreux États américains où la pratique est légale — qui accouche en 2000 de deux jumelles, immédiatement reconnues comme leurs filles naturelles par un tribunal américain. Poursuivis au pénal dès leur retour en France pour adoption frauduleuse et enlèvement d'enfant , ils s'engagent dans un bras de fer juridique qui durera plus de sept ans pour obtenir la reconnaissance de la filiation. Fin octobre 2007, la cour d'appel de Paris jugeait conformes les papiers américains les désignant comme parents des jumelles. Le Parquet de Paris décidait alors de former un pourvoi en cassation.
Affaire qui est loin d'être isolée puisque de nombreux couples s'engagent dans ce tourisme procréatif afin de forcer le droit français comme le rapportait début octobre un article du Monde [2]. Ils sont en cela aidés par l'association Maïa qui milite bruyamment en faveur de la légalisation de ce qu'on appelle pudiquement la gestation ou maternité pour autrui [3]. Sa présidente, Laure Camborieux, avoue vouloir faire avancer définitivement le débat à l'occasion de la révision de la loi de bioéthique prévue en 2009. Elle rappelle d'ailleurs que les derniers verrous idéologiques sont prêts de sauter, brandissant l'enquête très officielle publiée en février 2007 par l'Agence de biomédecine révélant que 55 % des Français estiment que le fait qu'une femme en bonne santé prête son corps à un couple pour porter leur enfant et lui donner la vie est acceptable.
Les choses sont-elles aussi simples ?
Rappelons tout d'abord que la maternité pour autrui peut s'envisager de deux façons. Soit la mère porteuse loue son utérus afin que l'embryon issu des gamètes des parents biologiques et conçu par fécondation in vitro y soit implanté. Dans ce cas, elle n'est pas la mère génétique de l'enfant.
Soit elle est inséminée artificiellement par les spermatozoïdes du père en fournissant un de ses ovocytes. Dans cette formule, la mère porteuse est tout à la fois la mère gestatrice et la mère biologique, se substituant totalement à la mère demandeuse qui ne deviendra la mère légale qu'après une procédure d'adoption de l'enfant abandonné à la naissance. On imagine aisément les bouleversements que cela induit pour la filiation. À ce jour, le recours à la gestation pour autrui est autorisé dans plusieurs États américains [4], au Canada, en Nouvelle Zélande et en Afrique du Sud. Dans l'aire européenne, c'est le cas de la Grande-Bretagne, de la Belgique, de la Grèce ; elle est tolérée aux Pays-Bas, au Danemark et en Finlande. En 2005, un parlementaire européen, Michael Hancock préconisait dans un Rapport remis au Conseil de l'Europe une dépénalisation de la pratique et une l'harmonisation des législations européennes.
Les lois françaises
En France, les lois de bioéthique de 1994 et 2004 prohibent explicitement le concept de mères porteuses dans l'article 16-7 du Code civil : Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle. En effet, en dehors de l'adoption qui se justifie toujours au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, dans l'esprit de notre droit, la mère est celle qui a donné la vie. D'ailleurs, dans l'éventualité où la mère de substitution ne voudrait plus livrer l'enfant commandé comme cela vient de se produire en Hollande, le juge français donnerait raison à la maternité qu'elle revendiquerait. Porter en son sein un enfant et lui donner naissance rend effectif juridiquement la filiation maternelle.
Par ailleurs, aller contre cette disposition multiséculaire serait tenir pour rien la relation materno-fœtale au moment même où celle-ci est de plus en plus documentée dans sa contribution à construire la personnalité de l'enfant. La gestation pour autrui détruit irrémédiablement notre représentation de la maternité ainsi que le note l'Espace éthique méditerranéen de l'Université de Marseille : Si l'on parvenait à se persuader qu'une mère puisse être investie du simple rôle d'incubateur destiné à abriter l'enfant durant le temps de la gestation, alors nous n'éprouverions aucune répugnance à l'idée qu'un jour on puisse avoir recours à l'utérus d'une guenon ou d'un autre mammifère se rapprochant de l'espèce humaine, ou même enfin, à une simple couveuse de laboratoire authentifiant le concept de bébé in vitro. De plus, l'enfant averti que celle qui l'a mis au monde s'y est attachée et aurait éventuellement désiré le garder ne se trouve pas dans des conditions optimales d'épanouissement, d'autant que rien ne garantit que les dommages subis ne commencent pas dès avant la naissance. En effet, une femme qui porte un enfant dans le but de le donner à un couple commanditaire se place obligatoirement, dès la fécondation, en situation d'abandon psychologique, ne serait-ce que par mécanisme d'autodéfense [5]. La jurisprudence américaine a réglé l'éventualité de la survenue de conflits en tenant comme souveraine l'expression de l'autonomie individuelle des deux parties qui signent le contrat. Aucun recours de la mère porteuse n'est possible face aux parents potentiels. Le juge officialise la nouvelle filiation qui doit figurer dans l'acte de naissance sans aucune contestation possible. On est bien sûr dans la logique individualiste anglo-saxonne qui est le modèle prépondérant de la bioéthique outre-Atlantique. On y reconnaît aussi la thèse du philosophe utilitariste anglais John Stuart Mill (1806-1873) – sur lui-même, sur son corps, sur son esprit, l'individu est souverain –, qui fonde l'autorité du contrat passé entre la mère porteuse et les parents sociaux. Malheureusement, c'est ce paradigme qui influence de plus en plus les décisions politiques de l'ensemble des pays occidentaux.
Or ce modèle contredit radicalement nos principes de droit, en particulier celui de l'indisponibilité du corps humain que l'on retrouve décliné dans plusieurs alinéas de l'article 16 du Code civil.
Du côté de la mère porteuse, nous sommes bien dans l'instrumentalisation de la personne même si celle-ci est volontaire. Le contrat a pour objet de prêter son utérus, et éventuellement ses ovocytes, contre rémunération, conférant un droit patrimonial au corps strictement interdit dans le droit français (articles 16-1 et 16-5 du Code civil). La mère porteuse met à disposition des requérants ses fonctions reproductrices, entraînant une confusion entre procréation, reproduction et simple production d'une marchandise, l'enfant, au moyen d'un instrument de travail, son utérus. L'incompatibilité entre la dignité humaine et le rôle purement instrumental donné au corps est irrémédiable. En France, la personne n'a pas le pouvoir de renoncer à sa dignité comme l'a rappelé un jugement du Conseil d'État en 1995. Un nain qu'on lançait tous les soirs sur un matelas pour amuser le public s'est vu interdire son travail , le Conseil d'État estimant que la personne subissait un traitement dégradant et n'était pas libre de renier sa qualité d'homme même avec son consentement.
Chosification de l'enfant
Du côté de l'enfant, l'Institut européen de bioéthique met l'accent sur une chosification très inquiétante car la mère porteuse s'engage à céder l'enfant qu'elle aura porté en posant un acte de disposition relatif à une personne. Il s'en suit une réification de l'enfant traité non comme un sujet de droit, mais comme un objet de créance ou comme une chose due en vue du contrat [1] . Sans compter que se poserait la question de la qualité du produit négocié dans le contrat : qu'adviendrait-il si celui-ci ne répondait pas au désir des commanditaires en cas de handicap par exemple ?
L'acte de renoncer à un enfant et de le céder contre rétribution nous fait basculer dans le monde des choses, appropriables et disponibles, à l'inverse de la personne, radicalement indisponible. Faut-il rappeler l'impératif catégorique de Kant : Agis de telle sorte que tu traites l'humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout autre, toujours et en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen ? Les choses ont un prix mais l'homme a une dignité. Les choses sont des moyens et n'ont qu'une valeur relative, les personnes sont des fins objectives et ont une valeur absolue.
Certains, dans un raisonnement que l'on n'a que trop entendu, plaident pour un encadrement de la pratique : ils n'ont pas compris que pour répondre à cette logique mercantile, c'est tout notre édifice juridique qu'il faut abattre avec les principes miliaires d'indisponibilité du corps humain et de distinction entre les choses et les personnes. À l'heure où le président Nicolas Sarkozy veut retoucher le préambule de la Constitution pour répondre au défi de la bioéthique selon ses propres mots, ce serait s'engager sur un chemin périlleux.
*Pierre-Olivier Arduin est responsable de la commission bioéthique du diocèse de Fréjus-Toulon. Dernier ouvrage paru : La Bioéthique et l'Embryon, Ed. de l'Emmanuel, 2007
[1] La présidente est la socialiste Michèle André, les vice-présidents Marie-Thérèse Hermange (UMP) et Jean-Pierre Michel (Soc.) et les rapporteurs sont les sénateurs Alain Milon et Henri de Richemont, tous les deux appartenant à la majorité.
[2] Porter l'enfant d'une autre , Le Monde, 2 octobre 2007.
[3]Encore un exemple de manipulation du langage pour camoufler la vérité, atténuer la valeur transgressive attachée à l'expression de mères porteuses et insister sur le caractère charitable de la pratique.
[4] Aux USA, plus de 70 agences recrutent des mères de substitution contre des frais de service s'élevant à 50000 euros, suivi médical et décision juridique compris.
[5] Espace éthique méditerranéen, Gestation pour autrui : faut-il l'accepter ?, 2005.
[6] Institut européen de bioéthique, Les Conventions de mères porteuses, 2006, Bruxelles.
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