Merci, Saint-Père bien aimé
Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 08 avril 2005

Nos cœurs sont dans la peine, mais nos âmes sont dans la joie. Jean Paul II ne disparaît pas. Il est désormais près de son Seigneur, et comme jamais avec nous, dans les engagements qu'il a suscités dans chacune de nos vies.

C'est à partir d'aujourd'hui que la grâce de son pontificat va se déployer.

Nous sommes nés à l'âge adulte avec Jean Paul II. Ce n'est pas une formule. Nous sommes devenus adultes avec lui, quel que soit notre âge, car c'est lui qui nous a appris à le devenir.

Je me souviens d'octobre 1978, de l'élection du pape polonais. "N'ayez pas peur !" Étudiant mal dégrossi, je cherchais mes maîtres dans l'Histoire. Une richesse irremplaçable, l'Histoire. Merci, Seigneur, pour les maîtres que tu nous as donnés. Mais voici que le chef attendu, le maître vivant pour la vie, Seigneur, tu nous l'offrais. Grâce incomparable.

Pourquoi sont-ils des millions à Rome, dans les Églises, pour dire leur gratitude à Jean-Paul II ? Parce qu'à l'intime d'eux-mêmes, les hommes ont besoin de chefs. Pas à la manière d'un président, d'un général-caudillo ou d'un moniteur : d'un père. D'un père qui donne librement sens à sa vie, qui éclaire l'intelligence et élève la volonté, qui unit la communauté par-delà les morts et les vivants.

Jean-Paul II fut cet homme là. Et si le pape défunt révèle dans sa mort une telle passion affective et noble, c'est parce qu'il fut bien seul dans ce rôle. Dans l'Église, combien de prêtres, et d'évêques, conduisent leur troupeau avec la fermeté lumineuse du père sachant se faire aimer ? Dans les familles, hélas, combien d'enfants n'ont plus de pères ? Et dans la cité, il n'y a plus de roi, ni de princes, mais tant de de techniciens et d'ambitieux. Jean Paul II a comblé un vide. Merci Seigneur, pour le père que tu nous as donné, prêtre, prophète et roi.

Ce père nous a rendu adulte, avec amour, sans concession. Il nous a mis devant nos responsabilités. Nous les hommes dans leur dignité, nous l'Église en chacun de ses baptisés, nous les nations dans leurs vocations. Pour le pape philosophe, l'homme adulte c'est celui qui est capable de porter sur ses épaules le fardeau d'autrui (solidarnosc), et c'est celui qui est capable de dire non. Il nous a appris la liberté, autrement dit la résistance, la cohérence et l'espérance qui balaient tous les conformismes.

Du pape politique, nous retiendrons deux leçons, parmi tant d'autres. La première restera dans l'histoire, tant elle est belle chez un pape, et devenue si étrange à l'Europe des Lumières : l'amour de sa patrie. Le chant du poète pour sa Pologne natale est inséparable de l'anthropologie politique du philosophe qui voit dans la nation le point d'équilibre entre l'universel et le particulier, "ce qui dans l'homme fait l'humain". Cette anthropologie est aussi une théologie : "Le mystère de l'Incarnation, fondement de l'Église, appartient à la théologie de la nation."

Deuxième leçon : la fatalité du sens de l'histoire est une injure à la politique. Le moteur de l'histoire, c'est la liberté humaine, et le sens le plus profond de l'histoire est au-delà du temps. Hommes et peuples ne s'accomplissent que dans la vérité de leur être, et c'est un combat permanent, historique : "La liberté nous vient comme un don, elle se maintient par la lutte". Sans cesse, le Pape a appelé les chrétiens à rétablir la politique dans l'ordre de l'être plutôt que dans l'ordre du faire qui aliène les destins par le détermisme des structures et des idéologies.

Un dernier mot, car il aurait tant à dire, d'homme à homme. L'amour de Jean Paul II pour Marie, du "doux Christ en terre" pour sa Mère, n'était pas une coquetterie personnelle, ou l'amour de substitution d'un petit garçon orphelin. Une telle vie donnée à son Seigneur par Marie est un signe prophétique. Totus tuus. Le Pape nous laisse en héritage le rappel opportun de la royauté de Notre-Dame. Marie est plus que médiatrice, elle est douce et reine, et elle a vaincu le Dragon. De nous l'avoir transmis pour la vie, merci, Saint-Père bien aimé.

> Lire l'homélie du cardinal Ratzinger aux funérailles de Jean-Paul II: "Il nous bénit depuis la fenêtre de la maison du Père"

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