Article rédigé par Philippe de Saint-Germain, le 24 février 2005
Le cardinal Josef Ratzinger a présenté mardi 22 février le dernier livre de Jean-Paul II, Mémoire et Identité. L'ouvrage sera traduit en 11 langues et publié dans 14 pays. Il paraîtra en France le 3 mars aux éditions Flammarion.
Sur 200 pages réparties en cinq chapitres, on suit les conversations que le Saint-Père a eues en 1993 avec deux philosophes polonais, Josef Tishner et Krystof Michalski. Des conversations relues et mises à jour pour s'ajuster à l'actualité (on y évoque par exemple les attentats du 11 septembre).
Si Jean-Paul II revient sur l'attentat dont il a été victime en 1981, c'est son testament politique que le chef de l'Église livre au monde entier, avec une réflexion sur la tragédie morale et politique du mal. Karol Wojtyla tire les leçons des sanglantes expériences du nazisme et du communisme, dont il a été le témoin direct en Pologne, pour s'interroger, en philosophe, sur les dérives totalitaires de la démocratie.
"L'avortement est comparable à l'Holocauste" : cette phrase a attiré l'attention du Corriere della Sera, dont le groupe est l'éditeur italien du livre. Voir dans l'IVG la marque du mal qui touche les démocraties, a noté le quotidien de Milan, ne manquera pas "de provoquer une nouvelle réaction". La polémique en effet n'a pas manqué d'enfler. Dans Le Monde, le subtil Henri Tincq épingle les dérapages regrettables de Jean Paul II (un homme admirable, mais tellement à côté de son époque...) : "Dans un amalgame contestable avec le passé, il condamne à nouveau l'avortement et les unions homosexuelles."
Le descriptif de la pensée du pape qui suit vaut son pesant de fiel bénit : "Juste après avoir évoqué, au début du livre, l'extermination des juifs par les nazis, le pape dénonce ‘l'extermination légale des êtres humains conçus et non encore nés'. Il s'agit ‘encore une fois', explique t-il, d''une extermination décidée par des Parlements élus démocratiquement'. Dans la foulée, il s'en prend au Parlement européen, qui ‘fait pression' pour que soient reconnues les unions homosexuelles ‘comme une forme alternative de la famille, à laquelle reviendrait aussi le droit d'adopter'. C'est, pour Wojtyla, une autre ‘idéologie du mal, insidieuse, occulte, qui tente d'exploiter contre l'homme, et contre la famille même, les droits de l'homme'."
Comme on le suppose bien, le Saint-Père est bien le dernier homme à considérer les pauvres mères contraintes à l'avortement, même volontairement, comme de monstrueux kapos nazis. Le procès d'intention est d'une navrante nullité. Encore une fois, l'écran de fumée de la dignité outragée sert d'alibi à l'hypocrisie, à moins que la lâcheté idéologique soit sans limite, ce qui est aussi vraisemblable, hélas.
La pensée politique de Jean Paul II, c'est le thème d'un livre qui reste à écrire, tant les âneries des interprètes de sa pensée vont dans tous les sens, faute d'assimilation de sa cohérence philosophique, et, soyons juste, d'un document de synthèse écrit de sa main sur les conséquences politiques de son anthropologie. On pense en particulier à sa conception de la nation, "communauté de culture" et "point d'équilibre entre l'universel et le particulier" ; au lien précisément entre culture et démocratie, mais aussi à l'Europe, à la laïcité. Ce livre, il semble que le philosophe Wojtyla en livre la clé dans ce cinquième ouvrage personnel écrit depuis son élection à la chaire de Pierre.
"Dans ce livre, le Pape ne traite pas du mal cosmique, c'est-à-dire des catastrophes ou tragédies naturelles mais du mal dérivant du comportement humain", a précisé M.Navarro-Valls. "Il s'agit d'un livre de théologie de l'histoire, dans lequel il ne cherche pas à évaluer la place des évènements au plan divin ni à déchiffrer les voies de la Providence. II traite des idéologies du mal, du nazisme et du communisme, dégageant leurs racines et celles des régimes correspondant." Il s'agit aussi d'une réflexion théologique et philosophique sur le fait que le mal découle souvent de l'intention de faire le bien. "Parfois dans la vie humaine, le mal se révèle utile, dans la mesure où il induit l'occasion de faire le bien."
Un dernier mot sur les dernières pages de l'ouvrage, consacrées à l'attentat du 13 mai 1981. Elles "ne constituent pas une simple annexe, même si le style est différent, puisqu'elles ont le caractère d'un récit vécu. Le Pape y ouvre son cœur en expliquant comment il a vécu cette terrible expérience. Dans son dialogue avec son secrétaire particulier, il raconte les diverses phases, de l'attentat même au transport à l'hôpital Gemelli, de sa convalescence à sa visite à l'agresseur emprisonné, mais aussi de sa décision de pardonner ce dernier".
Mémoire et identité (200 pages) est le cinquième livre du Saint-Père, après Entrez dans l'espérance (1994), Don et mystère (1996), Triptyque romain (poésies 2003) et Levons-nous et allez! (2004).
Jean Paul II, Mémoire et Identités, Flammarion, 3 mars 2005, 250 p., 16,15 €
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