Article rédigé par Roland Hureaux, le 13 octobre 2006
Il est étonnant de voir combien la phase actuelle de la campagne pour les élections présidentielles de 2007 reproduit le schéma de celle du référendum sur la Constitution européenne de 2005.
De même que la quasi-totalité des médias avait, pendant des mois, matraqué l'opinion avec l'idée que tout autre option que l'approbation du traité était inconcevable, les mêmes mènent aujourd'hui une campagne insensée en faveur de Nicolas Sarkozy et de Ségolène Royal tenus pour le seul choix possible à l'exclusion de tous les autres candidats.
De même que les sondages faits auprès d'un corps électoral n'ayant pas encore réfléchi à l'enjeu donnaient 70 % de oui à la Constitution, les deux favoris des médias se trouvent aujourd'hui, conformément à cette impulsion, largement en tête des intentions de vote.
Les deux événements ne sont pas sans lien : Nicolas Sarkozy comme Ségolène Royal étaient favorables au traité constitutionnel. On peut même ajouter que le premier fait ouvertement profession d'atlantisme et approuve la politique des Républicains d'outre-Atlantique tandis que la seconde, plus modérée sur ce sujet, tient un discours proche de celui des démocrates. Il n'est pas au demeurant certain que cette dernière, malgré sa réussite dans les médias, ait l'étoffe pour résister aux pressions de Washington en cas de crise internationale grave. À l'approche d'un affrontement à hauts risques entre les États-Unis et l'Iran, où les premiers chercheront le maximum d'alliés, ces considérations ne sont pas à dédaigner.
Décalage
La faveur des médias va ainsi de préférence aux candidats favorables à l'Europe supranationale, atlantistes et, d'une façon générale, "politiquement corrects". Pourtant, si les sondages prédisent une large avance aux deux favoris, il n'est guère de conversations privées où ne s'expriment des réticences vis-à-vis de l'un et de l'autre.
L'attitude des médias est décalée non seulement par rapport aux attitudes privées mais aussi par rapport à la situation de notre pays dans l'après 29 mai. Ceux qui pensent que l'élection présidentielle pourrait être la revanche du référendum et permettre au nouvel élu de remettre en marche le train constitutionnel, arrêté par accident en mai 2005, non seulement se rendent coupables d'un déni de démocratie, hélas habituel en ces matières, mais surtout font preuve d'un aveuglement singulier devant la véritable portée de l'événement référendaire. Ils ne rendent ainsi service ni à la France ni à l'Europe : comment ne pas comprendre que la seule manière que la France retrouve une voix crédible dans le concert européen sera que le futur président se trouve en phase avec le résultat du référendum du 29 mai, ce qui ne serait le cas ni de Nicolas Sarkozy ni de Ségolène Royal? Comment nos partenaires pourraient-ils prendre au sérieux toute initiative d'un président qui se serait montré ardent partisan du oui ? Comment ne regarderaient-ils pas, l'œil narquois, par-dessus son épaule pour lui dire : Ce que vous nous proposez est bien joli. Mais êtes-vous sûr que vos troupes vous suivent ? N'hésitons pas à le dire : seul un candidat ayant appelé à voter non au référendum peut encore être pris au sérieux pour parler au nom de la France.
À gauche, ce candidat existe, c'est Laurent Fabius. L'ostracisme dont il est victime de la part du Parti socialiste risque de coûter cher à ce dernier. En dépit des sondages peu favorables, il bénéficierait au second tour, pour les raisons que nous venons de dire, d'un avantage décisif sur un candidat de droite resté fidèle au traité constitutionnel. Oublie-t-on d'ailleurs que la cote de François Mitterrand était tombée au plus bas en 1980 au point que les sondeurs préféraient interroger les électeurs sur l'hypothèse d'un duel Rocard-Giscard ?
Si le Parti socialiste risque de se fourvoyer gravement, la droite est encore plus imprudente. Les logiques internes à l'UMP ont placé en position de candidat quasi certain Nicolas Sarkozy dont les options en politique étrangère se trouvent à l'opposé des sentiments des Français.
Une consigne féroce de black-out médiatique bloque pour le moment l'essor de Nicolas Dupont-Aignan, seul à représenter la frange de l'UMP restée fidèle aux options gaullistes. Villiers n'apparaît pas comme un candidat de second tour. La candidature de Villepin est compromise, celle de Michèle Alliot-Marie, tout comme une nouvelle candidature de Jacques Chirac sont encore en pointillé ; au demeurant, même si les derniers nommés ont une tournure plus nationale que Sarkozy, ils étaient eux aussi favorables au traité constitutionnel.
Ayant tout fait pour se priver d'une solution de rechange qui soit en phase avec le résultat du référendum, la droite dite républicaine risque ainsi d'ouvrir un boulevard à Jean-Marie Le Pen, lui offrant la possibilité de se trouver une nouvelle fois au second tour.
Les nouvelles bastilles
On peut poursuivre la comparaison entre 2005 et 2007. Lors du référendum du 29 mai 2005, in fine, le peuple a lancé une ruade et infligé un cinglant démenti tant aux médias qu'à la majorité de la classe politique. Tout laisse penser qu'il en ira de même en 2007.
Il se peut même que l'acharnement médiatique en faveur du couple Sarkolène ait pour l'un comme pour l'autre un effet contre-productif. Dans la France rurale et républicaine de jadis, il arrivait que la prise de position du châtelain en faveur de tel ou tel candidat ait l'effet inverse de celui qu'il souhaitait, celui d'entraîner les villageois à ne pas voter pour lui. Les nouvelles bastilles sont les chaînes de télévision, les radios et les grands journaux : après l'accumulation vient la saturation, puis la satiété et le rejet. Il ne faut pas exclure que cela se produise pour les favoris actuels. D'autant que l'expérience des scrutins précédents a montré combien les pronostics faits à plusieurs mois de l'échéance pouvaient être trompeurs.
Tous ceux qui, tant à l'UMP qu'au PS, s'efforcent, avec la complicité du pouvoir médiatique, de marginaliser les candidats qui en leur sein se sont trouvés du même avis que la majorité des Français le 29 mai 2005, risquent de ne laisser aux électeurs d'autre possibilité d'expression qu'un stérile extrémisme.
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