Article rédigé par Damien Meerman, le 28 juin 2002
L'analogie d'usage entre les médicaments prescrits pour la sphère mentale et les drogues de rue est frappante. D'innombrables substances thérapeutiques ont été prescrites abusivement ou détournées de leur usage médical. D'ailleurs la consommation de tranquillisants, d'hypnotiques et d'antidépresseurs est, en France, considérablement plus élevée que partout ailleurs en Europe.
Elle est notamment trois fois plus importante qu'en Grande-Bretagne ou qu'en Allemagne. Selon un rapport de l'Observatoire national des prescriptions de médicaments, 12 % des Français âgés de plus de 15 ans ont consommé pendant l'année un ou plusieurs psychotropes. Un marché colossal pour l'industrie pharmaceutique...
Nos compatriotes sont-ils plus malades ? Évidemment non, répond Edouard Zarifian, universitaire et psychiatre, déjà auteur de plusieurs ouvrages remarqués sur les maladies mentales en France. Les Français succombent plutôt aux mauvaises habitudes de leurs médecins. Par facilité, par intérêt autant que par manque de formation, ceux-ci se contentent depuis trop longtemps de prescrire à tout va ces fameuses pilules contre le mal-vivre. "Environ 20 % des prescriptions d'antidépresseurs ne reposent sur aucun diagnostic psychiatrique étayé", souligne l'Observatoire national des prescriptions de médicaments.
Edouard Zarifian met en cause les laboratoires pharmaceutiques et le laisser-faire des pouvoirs publics : "Si le médicament, écrit-il avec une logique imparable, était aussi indispensable qu'on le dit, sa nécessité devrait s'imposer d'elle-même. Or on constate que les investissements de recherche sur un an sont parfois inférieurs de 50 % aux frais de promotion, d'information, de relations publiques... engagés par les industriels du médicament."
Quelques faits, glanés dans l'actualité, suffisent à illustrer cette réalité :
Le 12 avril 2002, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé, publiait une mise en garde concernant le Zyban, en soulignant les risques de survenue de convulsions et de dépendance. Cette nouvelle molécule présentée comme le Rambo de la lutte antitabac (d'où le nom associé à cette molécule, censé évoquer Zidane) a fait son apparition sur le marché en France le 17 septembre dernier. Le Zyban est en fait un vieil antidépresseur : le bupropion, connu aux États-Unis depuis les années 70 pour le nombre élevé de contre-indications et d'effets secondaires graves. Au moins 6 morts sont déjà recensés en France depuis septembre.
Enfin, aujourd'hui les laboratoires pharmaceutiques s'attaquent à une nouvelle cible, pleine d'avenir : les enfants.
Aux États-Unis, 4 millions d'écoliers prennent chaque jour des calmants pour soigner un peu tout et n'importe quoi. Plusieurs procès intentés par des parents sont en cours concernant la Ritaline, un médicament, à base d'amphétamines, mis au point dans les années 50 pour soigner certaines maladies rares. Par hasard, on a découvert qu'il avait un effet calmant sur les enfants agités. À partir de cet instant, le nombre d'enfants diagnostiqués hyperactifs a soudainement explosé. Coïncidence sans doute... Le nombre d'ordonnances a augmenté de 600 % entre 89 et 96. Les critères d'administration sont devenus tellement vagues (" parle sans arrêt ", " ne range pas ses affaires ", etc.) que n'importe quel gamin distrait ou un peu turbulent peut être concerné.
En France, c'est encore un tabou. Mais peut-être plus pour longtemps. Le ministère de la Santé vient pour la première fois d'autoriser la vente sur ordonnance d'un antidépresseur pour enfants, le Zoloft du laboratoire américain Pfizer. Uniquement dans un premier temps pour soigner une maladie rare : les TOC, les troubles obsessionnels compulsifs. Une maladie que ces laboratoires voudraient faire passer pour massive, appliquant le fameux principe du Dr Knock " Tout bien portant est un malade qui s'ignore ". Une stratégie consistant, à grand renfort de pub et de marketing auprès des médecins et des journalistes, à promouvoir la maladie avant de promouvoir le remède. Une stratégie cynique ? En tout cas une belle réussite commerciale : Le Zoloft a dépassé les ventes de Prozac dans le monde, son chiffre d'affaires annuel s'élève à 2 milliards de dollars.
Damien Meerman est directeur du site www.drogue-danger-debat.org