Article rédigé par Roland Hureaux, le 06 avril 2011
Ayant désapprouvé les interventions armées en Yougoslavie, en Irak et en Afghanistan, nous nous trouvons pour une fois en phase avec Bernard-Henri Lévy pour approuver l'intervention en Libye, au moins dans son principe. Les conditions d'une guerre juste nous y semblent en effet pour la première fois réunies. Pourquoi ?
D'abord parce qu'il y avait, il y a toujours, une menace immédiate sur les habitants des villes révoltées si le régime les reconquiert : compte-tenu de l'état d'esprit du despote vieillissant, des représailles en forme de massacres de masse y sont à craindre.
Parce que le régime de Kadhafi est de nature véritablement totalitaire, ce qui est finalement rare aujourd'hui. Seuls en Afrique, le Rwanda de Kagamé et l'Erythrée d'Afeworki contrôlent au même degré leurs populations.
Une malfaisance continue
Parce que depuis quarante ans qu'il existe, ce régime n'a cessé d'étendre sa malfaisance à l'extérieur : en tentant de renverser presque tous les autres régimes arabes (qui ne s'attristent pas de ses malheurs !), en suscitant de multiples guerres en Afrique, notamment au Tchad, en détenant illégalement les malheureuses infirmières bulgares et en soutenant des actions terroristes. Les deux plus spectaculaires furent l'attentat de Lockerbie du 21 décembre 1988 contre le Boeing 747 de la Pan Am, Londres-New York (270 victimes) et l'attentat du Ténéré du 19 septembre 1989 contre le DC-10 d'UTA Brazzaville-Paris (170 victimes), mais il y en eut sûrement d'autres.
L'esprit évangélique n'ayant pas sa place dans les relations entre États, il n'est pas mauvais que les trois pays visés par ces attentats : la France, le Royaume-Uni et les États-Unis se vengent, même si c'est à retardement : ils n'en seront que plus respectés. Il est seulement regrettable que leurs dirigeants, en tous les cas les Français et les Anglais, aient eu, entre temps, des complaisances coupables envers le guide de la Jamahiriya libyenne : on se souvient de la ridicule parade qu'on lui permit de faire à Paris en décembre 2007. Le souci de jauger un futur ennemi en serait la seule excuse.
En définitive, c'est au régime nazi que celui de Kadhafi s'apparente le plus. Il ne saurait donc être mis sur le même plan que ceux de Moubarak en Égypte et de Ben Ali en Tunisie qui avaient le caractère de dictatures classiques, mais sans complaisance pour le terrorisme et sans agressivité extérieure. On peut, comme nous l'avons fait, recommander la plus grande réserve vis-à-vis des affaires intérieures de ces pays et, au contraire, approuver le principe d'une intervention armée en Libye.
Dernière raison qui justifie une intervention en Libye : bien davantage que celui l'Afghanistan, hôte très hypothétique d'Al Qaida, le devenir de la Lybie nous importe parce qu'elle se situe, elle, à nos portes et que les agissements de Kadhafi ont à plusieurs reprise interféré avec nos intérêts directs.
Compte-tenu de ces arguments, on ne pourra que se féliciter de l'esprit d'initiative du Président français, d'autant que pour la première fois depuis son élection, il ose prendre, nettement, ses distances avec l'Allemagne d'Angela Meckel dont le comportement dans cette affaire est rien moins qu'inquiétant : quelles obscures collusions cachent donc ces réticences à approuver l'intervention en Lybie (réticences que ne partage pas l'ancien ministre vert, Fischer) ? On se le demande. Müll Pacha, le personnage emblématique de Tintin au pays d'or noir, serait-il de retour ?
Le risque de l'enlisement
Fondée dans son principe, l'intervention n'en est pas moins plombée dans sa réalisation par plusieurs difficultés.
D'abord par les termes de la résolution 1973 du Conseil de sécurité, extrêmement restrictive, car il a fallu, pour qu'elle soit votée, composer avec les réticences de la Russie, de la Chine, de l'Allemagne et d'autres. Elle ne permet d'intervenir que pour protéger les civils, imposer une zone d'exclusion aérienne ou faire respecter l'embargo sur les armes. Elle interdit en particulier le déploiement d'une force d'occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n'importe quelle partie du territoire libyen .
Or si le vrai but de guerre est de détruire le régime de Kadhafi (que pourrait-il être d'autre ? Imagine-on un seul instant de lui demander, sans ridicule, de le démocratiser ? ), seule une opération chirurgicale à Tripoli, avec des troupes terrestres, le permettrait dans un délai rapide. Ce serait d'ailleurs le meilleur moyen d'éviter de couvrir le pays de bombes aux effets durables sur l'environnement. Non-ingérence, non-ingérence ! Encore une fois, il s'avère que l'enfer est pavé de bonnes intentions et qu'en l'occurrence, il risque de l'être par de milliers d'obus et de missiles occidentaux. Sans compter la possibilité d'un enlisement qui serait déjà une victoire de Kadhafi.
Faute d'un feu vert franc de l'ONU, les Alliés ne peuvent compter, pour venir à bout du Guide que sur les insurgés : hélas, la désorganisation politique et militaire de ceux-ci est par trop patente.
On dira légitimement que l'on ne s'était pas tant soucié de respecter le droit international pour bombarder la Yougoslavie en 1999 ! Mais alors, les dirigeant occidentaux étaient solidaires (une explication qui n'est nullement une excuse !), ce qui n'est pas le cas dans l'affaire libyenne : les hésitations américaines (qui effectuent cependant la majorité des frappes ), le refus de l'Allemagne, les réticences de la Turquie, de l'Italie et de bien de pays arabes laissent en définitive la France et l'Angleterre seules en première ligne. Avec le risque que, si elles étaient prématurément désavouées comme elles l'avaient été en 1956 à Suez, l'opération ne tourne court.
Car le temps joue contre nous dans cette affaire.
Fortes de l'appui allemand, la Russie et la Chine pourraient hausser assez vite le ton.
Les pressions pour y impliquer l'OTAN risquent de donner une allure de guerre des civilisations à une opération qui serait sans doute mieux passée auprès du monde arabe si elle était restée sous direction française. Que des ministres français mal inspirés parlent de croisade n'arrange rien.
Si les pouvoirs arabes (à l'exception de l'Algérie) n'ont aucune raison d'avoir la moindre indulgence envers Kadhafi, les foules arabes verront en lui, si le conflit se prolonge, un héros de la lutte contre l'Occident.
Dans cette entreprise, Sarkozy n'a pas droit à l'erreur. L'affaire étant engagée, il lui faut, coûte que coûte, la finir vite et bien.
Photo : ministère de la Défense
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